Christian Gailly – Dernier amour
© Les éditions de Minuit 2004
Christian Gailly s’impose, livre après livre, comme un des meilleurs stylistes français contemporain. Son écriture est vive et concise. Les mots sont d’abord des tonalités auxquelles la syntaxe est subordonnée.
Dans Dernier amour, le compositeur Paul Cédrat sait qu’il va mourir très bientôt. Il décide de se retirer, seul. C’est l’occasion de comprendre pourquoi sa musique déplaît et de rencontrer un dernier amour. Dans ce passage, Paul assiste incognito à l’exécution d’une de ses sonates. L’opus 20 n°6 de Joseph Haydn précède l’exécution de son morceau.
Première lecture :
Paul est dans la salle. En bas. À l’orchestre. Au milieu du huitième rang. Personne ne le connaît. Il est discret. On lui fiche la paix1. Son coeur bat très fort. L’ambiance est un peu particulière. C’est l’été. Il fait chaud. On est au mois d’août. Le 18 exactement. Le public, dans l’ensemble plutôt jeune, est agité. Grande salle pleine. Beaucoup de monde. Pour Paul c’est une première. Jamais aucune de ses oeuvres n’a eu à se mesurer à la très large audience d’un festival d’été. Zurich, 1987.
Le silence tarde. Se répand dans la salle. Descend sur les têtes. Tape sur les plus distraites. Chacun bientôt se sentira responsable du silence. Pas peu fier de l’avoir obtenu pour eux, les musiciens. Ça y est presque. Quelqu’un tousse une dernière fois puis plus rien. On va pouvoir y aller. Les doigts pressent les cordes sur le manche. Les premières notes sont préformées. On n’attend plus que les archets. Les voilà. La levée de départ est donnée. Ça commence. C’est commencé. Tout compris ça va durer une quinzaine de minutes. Ça va bien se passer. Avec Haydn ça se passe toujours bien. Tout le monde l’aime. Il aimait tout le monde. Quatre mouvements pour ce quatuor en la majeur.
1On lui fiche la paix – On le laisse en paix, on ne le dérange pas