Philippe de la Genardière – Gazo
© Actes Sud, 1996
Philippe de la Genardière écrit des romans rythmés comme des poèmes.
Gazo est le nom d’un pompiste fou qui délire au bord de l’autoroute où il travaille. Le livre est l’odyssée de ses incantations jusqu’à l’explosion finale, c’est-à-dire son suicide. Gazo dit sa genèse lui-même. La deuxième personne “tu”, employée dans le roman, est perçue comme un langage de schizophrène.
Ce passage du début de l’ouvrage fait remonter le délire de Gazo aux sources du pétrole, dans la région d’Hassi-Messaoud, au Sahara, d’où sa mère est venue.
Première lecture :
La chose est difficile à dire, tu vis comme on nage, dans une mare, tu es une éponge, c’est ton histoire.
Tu as dû tombé dans un tonneau, à la naissance, le ventre de ta mère sentait le mazout, tu n’as pas pu t’en défaire, l’odeur te colle à la peau, cheveux, vêtements, tu empestes1 de partout, ta mère t’a laissé ça, une odeur effroyable de benzène, toi, tu as mis la chose dans ta bouche, tout de suite, tu es né alcoolique et tu n’as pas guéri.
Il y a des lustres2 que tu te soûles au fuel, voilà la chose.
C’est à cause du Sahara, tu es né dans les puits d’Hassi-Messaoud, d’où part un grand oléoduc, c’est ton cordon ombilical, ta mère était de là. Ton père, lui, était d’ailleurs, en bon soldat il montait la garde devant le temple de l’or, noir, tu es né entre deux mondes, sous la mer, c’est le naphte qui t’a fait grandir, dans un oléoduc, c’était à Hassi-Messaoud, dans une mare.
1tu empestes – “Empester” signifie “sentir mauvais”.
2Il y a des lustres – Il y a très longtemps