Eh les keufs et les meufs dans le RER,
La banlieue c’est pas rose,
La banlieue c’est morose,
Alors prends-toi en main!
C’est ton destin!
Ainsi chantaient nos rappeurs du trio comique Les Inconnus, Bernard Campan, Didier Bourdin et Pascal Légitimus. S’ils n’ont pas persévéré dans la chanson -on comprend pourquoi- ils font toujours bien carrière dans l’humour et au cinéma.
Le verlan
Le RER est le Réseau Express Régional de la banlieue parisienne. Mais les keufs et les meufs, ça veut dire quoi?
C’est du verlan, autrement dit c’est une manière de prononcer les mots à l’envers. On inverse les syllabes sonores. L’envers devient donc verlan.
Un flic est le mot populaire pour désigner un agent de police. Alors en verlan flic se dit keuf. (Keufli mais on dit keuf par commodité de prononciation.)
Il paraît que le terme correspond à l’anglais back slang.
Le verlan est une façon de se comprendre entre personnes d’un même milieu populaire, comme le cockney.
La caillera désigne la racaille c’est-à-dire les voyous, les bandits, vénère est mis pour énervé, il est trop vénère ce keum (ce mec). Un Céfran pour un Français et ta reum pour ta mère. C’est à la base la langue des rappeurs.
Le Chanteur Stromae, mais qui n’est pas un rappeur, a aussi formé dans un style talentueux son nom sur le verlan de Maestro. Parmi ses titres Papaoutai, Carmen, On danse, etc.. Son dernier a pour thème la maladie du cancer. Il s’appelle Quand c’est? Autrement dit Quand c’est que tu vas t’arrêter?
Avec le temps le verlan des banlieues s’est tellement répandu qu’il est devenu ringard, c’est-à-dire dépassé et tourné en dérision comme par les Inconnus.
Toutefois certains mots perdurent en termes politiques et sans connotation péjorative. C’est ainsi que le mot Beur est un néologisme politique désignant les premiers descendants des émigrés d’Afrique du Nord, des Arabes installés en France. Le mot fait au féminin Beurette. Un beur, une beurette. L’association SOS Racisme et le parti socialiste ont organisé une marche contre le racisme en 1983 qu’ils ont appelée La marche des Beurs, inscrite au dictionnaire Le Robert en septembre 1985.
Phénomène intéressant, ce mot inversé une première fois de Arabe en Beur l’a été une deuxième fois en Rebeu désignant alors tous les Arabes.
Ce langage marginal est assimilé à l’argot.
L’argot
Qu’est-ce que l’argot? Le mot remonte au Moyen Âge.
C’était au Moyen Âge la langue des gueux -les miséreux- et des voleurs
Pourquoi assimiler les gueux à des voleurs? Telle est la question, comme aurait dit Shakespeare. Or voici une réponse donnée :
Parce qu’au Moyen Âge, quand on était gueux, on n’avait d’autre choix pour survivre que de voler ou de mendier.
Les gueux
Les gueux vivent à la marge de la société, ce sont des pauvres… mais au fondement quelquefois de notre richesse culturelle.
Le poète Paul Fort rend hommage à Paul Verlaine – un paria appelé poète maudit, tout comme Arthur Rimbaud.
Le titre d’un poème de Paul Fort est L’enterrement de Verlaine, mis en musique par Georges Brassens.
L’enterrement de Verlaine
Et dont le plus beau jour fut un jour de beau froid?
Dieu! S’ouvrit-il jamais une voie aussi pure
Au convoi d’un grand mort suivi de miniatures?
Tous les grognards* -petits- de Verlaine étaient là
Toussottant, frissonnant, glissant sur le verglas
Mais qui suivaient ce mort et la désespérance,
Morte enfin, du premier rossignol de la France
Ou plutôt du second, François de Montcorbier
Voici belle lurette en fut le vrai premier.
N’importe Lélian*, je vous suivrai toujours!
Premier, second, vous seul en ce plus froid des jours
N’importe! Je suivrai toujours, l’âme enivrée,
Ha folle, d’une espérance désespérée
Montesquiou-Fezensac et Bibi-la-purée*
Vos deux gardes du corps, entre tous, moi dernier.
And whose finest day was a day of cold beauty
God ! Was ever city highway so pure opened up
For hearse of a great man with lesser folk behind?
All of Verlaine’s old crowd – little rated – were there
Coughing and shivering, slipping on the sheet ice
But who followed this corpse and the sense of despair,
Dead at last, of the first nightingale of France.
Or rather, the second. François de Montcorbier…
being, by a long chalk, the firstcomer.
No matter ! Lélian, I’ll follow you always.
The first ? Second ? Just you. On this coldest of days
No matter! I’ll follow always, soul enraptured-
Ah ! driven mad by a hope despaired of
Montesquiou-Fezensac and Bibi-la-purée
Your two pall-bearers among them, me, at the back.
le Boul’ Mich’*: C’est ainsi que les Parisiens appellent le Boulevard Saint-Michel
les grognards*: la vieille garde, les soldats les plus fidèles et les plus expérimentés de Napoléon
Lélian*: est le nom que se donnait à lui-même Paul Verlaine, c’est l’anagramme de son nom.)
Bibi-la-purée*: voir ici
Le François de Montcorbier cité ci-dessus par Paul Fort est François Villon 1431-1463 lequel a composé La Ballade des pendus, alors qu’il était condamné à mort. Il a été gracié, et puis on a perdu sa trace. Appelé poète malfaiteur, il est considéré comme le père de la poésie moderne.
La ballade des pendus interprétée par Serge Reggiani
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis*.
Vous nous voyez ici attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça* dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie* ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !