Nous autres à Vauquois est le titre d’un livre écrit par André Pézard. Nous présenterons l’auteur et son œuvre, considérable.
Arrêtons-nous sur la prononciation de
Nous autres à Vauquois
La lettre a est présente dans l’écriture en a-u qui se prononce o, on prononce nous autres. Quant à Vauquois, le son a est présent dans la prononciation de o-i où l’on entend le a (oua) qui, lui, n’est pas présent dans l’écriture. On dit:
oi, un doigt, du bois, le chiffre trois, un oiseau, Vauquois
Enfin, le à accent grave se distingue du verbe avoir conjugué:
tu as, il a, elle a, on a
Il y a en effet de quoi s’y perdre!
Nous autres, vous autres, eux autres sont des pronoms d’insistance. On les appelle aussi des pronoms toniques, des pronoms emphatiques puisqu’ils marquent l’emphase, ou, des fois, des pronoms catégoriels puisqu’ils permettent de distinguer, voire d’opposer des catégories différentes. Ils n’existent qu’au pluriel.
Réfléchissons sur quelques exemples en considérant, imaginons, un petit scénario. Prenons un groupe d’enfants, dans une colonie de vacances, qui forment deux équipes de foot simplifiées, il y a 6 maillots jaunes contre 6 maillots rouges. Un arbitre en maillot noir. C’est l’heure de la mi-temps. L’arbitre distribue le goûter.
L’arbitre : Qui veut des pains au chocolat?
Tous ensemble : Moi! Nous!
Ils se chamaillent :
– Non, pas eux! Ils ont perdu la première mi-temps! Ils ne méritent pas le goûter. C’est pas juste.
– C’est pas vrai! Vous, vous avez triché. Etc.
L’arbitre : Toi, tu te tais. Nous, on joue à l’amiable ici.
En termes de pronoms toniques, au singulier nous avons donc: moi, toi, lui ou elle, seulement :
Moi, je veux une tarte aux pommes. Toi, tu préfères une glace. Lui (ou Elle), il (ou elle) veut une menthe à l’eau.
Au pluriel, nous, vous, ils ou elles :
Nous, nous allons au cinéma. Vous, vous faites une partie de foot. Eux (ou Elles), ils (ou elles) vont faire une promenade.
Or au pluriel on a l’alternative d’utiliser nous autres, vous autres, eux autres comme pronom tonique :
Les vacances scolaires sont octroyées à des dates différentes selon les régions réparties en trois zones, A,B, C. En zone A, les vacances commencent et finissent une semaine avant la zone B, en zone C, une semaine après la zone B. Ceci a été instauré pour éviter une trop grande quantité de voitures sur les routes et une trop grande quantité de vacanciers dans les stations de ski, par exemple, en hiver. Les grandes vacances d’été sont aux mêmes dates pour les trois zones.
Nous autres en zone A, nous sommes en vacances avant eux autres en zones B et C. Eux autres, ils terminent les derniers.
En français ces formes se disent surtout dans les régions du nord et de l’ouest, quoique assez rarement de nos jours. Toutefois on les trouve employées de manière très usuelle en québécois, au Canada où ont émigré des Français des régions de l’ouest.
Historiquement, le livre
Paru aux Éditions de La Table Ronde en 2016 – Première publication à La Renaissance du Livre en 1918, Nous autres à Vauquois est un récit d’un épisode de la guerre de 14. André Pézard, envoyé dans les tranchées à partir de 1915 à l’âge de 22 ans, y tient un journal personnel jusqu’à la fin de l’année 1917.
Un extrait de la Préface du livre par Michel Bernard
André Pézard était l’un de ces élèves de l’École normale supérieure dont la scolarité fut interrompue par la Première Guerre mondiale. Reçu au concours d’entrée en 1914, il fut mobilisé la même année, puis après une courte période d’instruction militaire, rejoignit le 46e régiment d’infanterie qui tenait le secteur du front d’Argonne. À la tête de sa section, il devait prendre la butte de Vauquois, stratégique pour l’État Major, 25 kilomètres à l’ouest de Verdun. Cela dura pour lui 18 mois.
Chapitre III 17 février 1915
On me secoue; je me redresse et m’agenouille; j’ai les reins vides, les jointures douloureuses; mes hanches et mes épaules tremblent, tremblent, tremblent; j’ai les mains transies, les pieds transis; mes paupières froides larmoient, pleines de noir, et j’ai besoin de sangloter, et je tremble, idiot, par saccades molles et grandes, dans l’ombre du matin glacial.
Tels sont les faits qu’un style inouï vient authentifier par l’écriture des émotions. Dans la postface, Jean Norton s’intéresse entre autres à l’usage des onomatopées fait par André Pézard. « Pézard sème son récit d’onomatopées dont aucune n’est usée. Une balle dans le parapet: “Tacq!”, des balles sur les boucliers: “Tincq!… T’cain!… Tsincq!” Il y a des gouttières dans l’abri et l’eau tombe dans des gamelles: “Gluc… dleull… dloüll… dligg… glull…” » Et Jean Norton de poursuivre:
J’ai choisi ces exemples parce qu’ils offrent une démonstration facile et rapide de la méthode de Pézard pour transmettre à l’esprit du lecteur une gamme infinie d’impressions sensorielles, qui n’auraient, toutes seules, aucune importance, mais qui, jouant le rôle d’harmoniques auprès du son fondamental, accompagnent les faits racontés, constituent leur atmosphère, leur couleur locale, les rendent réels, déterminés, issus du front; Dès lors on ne peut plus les confondre avec ces faits légendaires, d’un usage universel, servant aux hâbleurs de Lorraine et d’Artois /Jean Norton cite ici des noms d’historiens et de journalistes / lesquels sont des abstractions commodes qui s’adaptent à tous les souvenirs. Leur adaptabilité vient de ce qu’ils n’ont pas ces harmoniques déterminatives, autrement dit, ils n’ont jamais eu de réalités nulle part. À leur origine il n’y a pas un individu témoin. Il y a un mythe et tout un peuple.
Page 338 éditions de La Table Ronde 2016
André Pézard devint universitaire, professeur au Collège de France. De surcroît, il a traduit la totalité de l’œuvre de Dante en français, s’évertuant à trouver des techniques de traductions inédites propres à coller à l’atmosphère et au sens voulu par l’auteur.
Quelques illustrations
Voici un lien où trouver la confirmation par une professeure Québécoise de l’emploi usuel des expressions nous autres, vous autres, eux-autres:
Une expression populaire familière qui accompagne souvent les témoignages de la guerre de 14, mais pas que, c’est mon colon. Le colon s’emploie dans plusieurs sens:
Le colon – en argot militaire, c’est le colonel ; c’est aussi, à une époque, et pas seulement dans un cadre militaire, une exclamation familière d’intensité, d’admiration, de surprise, une simple ponctuation exclamative signifiant mon ami, mes amis.
Voici un chant, dit de déplacement, encore appelé un chant de route. Un chant que chantaient les soldats quand ils changeaient de garnison, d’emplacement. Cela leur donnait, comme on dit, du cœur au ventre, chanter ensemble leur donnait du courage, quoi. Voici donc : Ah ! mon colon !
Ah! mon colon!
Quand le soldat change de garnison
Pour ne pas que l’ennui l’envoûte
Sans orchestre ni diapason
Il chante en chœur cette chanson de route :
Ah ! mon colon ! Mince que c’est long
Sacré chemin! On n’en voit pas la fin
Le général, il va-t-à cheval
Mais le pauvre troupier Il va toujours à pied !
Georges Brassens a composé une chanson sur la guerre de 14-18. Cette chanson que Brassens a conçue, selon ses propres dires, comme une chanson de paix, n’est en aucune façon un mépris des combattants. Jean-Pierre Elkabbach s’entretient avec Georges Brassens pour commémorer la Journée de la Paix:
JPE : C’est vous qui avez dit un jour que les Grognards de Bonaparte ne jetaient pas leur poudre aux moineaux…
GB : Oui, dans la Guerre de 14-18 qui m’a d’ailleurs valu pas mal de critiques; et qui m’en vaudra encore.
JPE : Parce qu’on n’avait peut-être pas tellement compris.
GB : Je crois qu’on n’avait pas tellement compris. Enfin, ceux qui savent, comme dit l’autre, me devinent. Parce qu’il est évident que je n’ai jamais eu l’intention de tourner en dérision les pauvres soldats qui étaient morts, ni leurs parents ni leurs veuves ni leurs enfants. Ça saute aux oreilles.
JPE : Pour vous, c’est une chanson pacifique.
GB : Il me semble que ça suggère ‘Vive la paix!’, cette chanson. Mais enfin vous savez… tout le monde ne sent pas la même chose.
La guerre de 14-18 de et par Georges Brassens.
Depuis que l’homme écrit l’Histoire,
Depuis qu’il bataille à coeur joie
Entre mille et une guerres notoires,
Si j’étais tenu de faire un choix,
A l’encontre du vieil Homère,
Je déclarerais tout de suite:“Moi, mon colon, celle que je préfère,
C’est la guerre de quatorze-dix-huit !”
Est-ce à dire que je méprise
Les nobles guerres de jadis,
Que je me soucie comme d’une cerise
De celle de soixante-dix ?
Au contraire, je la révère
Et lui donne un satisfecit,
Mais, mon colon, celle que je préfère,
C’est la guerre de quatorze-dix-huit !
Je sais que les guerriers de Sparte
Plantaient pas leurs épées dans l’eau,
Que les grognards de Bonaparte
Tiraient pas leur poudre aux moineaux,
Leurs faits d’armes sont légendaires,
Au garde-à-vous, je les félicite,
Mais, mon colon, celle que je préfère,
C’est la guerre de quatorze-dix-huit !
Bien sûr, celle de l’an quarante
Ne m’a pas tout à fait déçu,
Elle fut longue et massacrante
Et je ne crache pas dessus,Mais à mon sens, elle ne vaut guère,
Guère plus qu’un premier accessit,
Moi, mon colon, celle que je préfère,
C’est la guerre de quatorze-dix-huit !
Mon but n’est pas de chercher noise
Aux guérillas, non, fichtre non,
Guerres saintes, guerres sournoises
Qui n’osent pas dire leur nom,
Chacune a quelque chose pour plaire,
Chacune a son petit mérite,
Mais, mon colon, celle que je préfère,
C’est la guerre de quatorze-dix-huit !
Du fond de son sac à malices,
Mars va sans doute, à l’occasion,
En sortir une – un vrai délice ! –
Qui me fera grosse impression…
En attendant, je persévère
A dire que ma guerre favorite
Celle, mon colon, que je voudrais faire,
C’est la guerre de quatorze-dix-huit !