Françoise Le Roux
ABRACADABRA! est un mot magique à prononcer pour faire apparaître, ou disparaître, les choses comme on veut qu’elles soient. Le mot abracadabra est un mot très ancien comme le narre le lexicographe Alain Rey, qui fut directeur et certaines fois rédacteur des articles du dictionnaire Le Robert.
Abracadabra est un mot très ancien. Ambroise Paré, au seizième siècle, disait « ce beau mot de abracadabra ». C’est une formule avec abra, c’est-à-dire une modification de arba qui veut dire quatre et cela veut dire mot à mot « le quatre casse le quatre ». Cela paraît bizarre et absurde mais en réalité ça cache cela, c’est que l’Eternel, Dieu, qui maîtrise les quatre éléments, démolit les quatre éléments parce qu’il en fait ce qu’il veut, et il recompose le chaos pour en faire le monde.
C’est pour nous, couramment, un sortilège comme on en retrouve chez Harry Potter ou chez les trois bonnes fées de La Belle au bois dormant, et aussi la fée maléfique, ou encore le fameux « Sésame, ouvre-toi! » dans Ali Baba et les 40 voleurs.
abracadabrant
Le mot abracadabra est compréhensible dans beaucoup de langues. Ce qui est moins courant, c’est l’emploi, en français, de deux mots qui en dérivent. Premièrement, il y a l’adjectif abracadabrant. On parlera d’une nouvelle abracadabrante, une information difficile à croire tant elle est énorme, bouleversante, incroyable, comme l’incendie de la cathédrale Notre-Dame à Paris en avril 2019. On peut encore parler, autre exemple, d’un changement gouvernemental abracadabrant dans la composition de certaines lois, de certains programmes scolaires, la création de certains impôts, la suppression de certaines subventions.
abracadabrantesque
Ce n’est pas tout! Un autre qualificatif est né, relativement récemment. Il s’agit du néologisme abracadabrantesque. (Bonne chance à qui s’exerce à le prononcer!). C’est un superlatif de abracadabrant, c’est une chose encore plus incroyable, un événement absolument inouï. Le sens de ce mot n’est pas, au premier abord, parfaitement clair. Il comporte comme une ambiguïté voulue. Sa longueur et la difficulté de prononciation suggèrent quelque chose d’extrêmement comique jusqu’à l’absurde, ou tragique jusqu’au désespoir suivant le cas.
En voici des exemples attestés: Mario Proth est le fondateur de la Revue internationale cosmopolite. Dans son ouvrage Les Vagabonds en 1865 il décrit un personnage en ces mots:
Il a usé le plaisir sans trêve, les voluptés faciles, l’excentricité superbe, l’orgie abracadabrantesque.
Un deuxième cas nous laisse dans le désarroi dans le poème d’Arthur Rimbaud Le coeur supplicié en 1871:
Ô flots abracadabrantesques
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé.
Ithyphalliques* et pioupiesques**
Leurs insultes l’ont dépravé !*En sculpture, ithyphallique se dit d’un nu en érection.
**Un pioupiou désigne un soldat. C’est une onomatopée qui imite le cri des petits poussins, c’est donc un jeune fantassin, le pioupiou. Quant à ‘pioupiesque’ c’est un néologisme, une création de mot de Rimbaud.
Tous les spécialistes ne s’accordent pas sur l’interprétation du poème. Cela va du viol collectif au fantasme.
Quel que soit l’inventeur du mot abracadabrantesque, celui qui l’a popularisé est bien Jacques Chirac, président de la République française, en 2000, à la télévision, au cours d’un entretien avec une journaliste qui l’interrogeait sur une grave accusation de fraude à son encontre concernant le financement occulte de son parti. Jacques Chirac se fâche tout rouge en répliquant du tac au tac « On rapporte une histoire abracadabrantesque… » Le mot, tombé en désuétude, est ressuscité et il crée immédiatement le buzz. Les gens s’en délectent, principalement les journalistes et les animateurs de radio.
L’enfant et les sortilèges
L’enfant et les sortilèges est un opéra composé par Maurice Ravel dont le livret fut écrit par la romancière Colette.
Le livret conte les méfaits d’un enfant cruel envers les animaux qu’il maltraite et les objets qu’il malmène. Un vrai sale gosse récalcitrant qui fait de la peine à sa maman. Les animaux et les objets, par magie, se révoltent et s’apprêtent à lui faire payer cher sa cruauté. Or au dernier moment l’enfant terrible, qui a peur, appelle sa maman, il se métamorphose, soigne un écureuil blessé. Il se rachète et tout est bien qui finit bien!

Nous sommes en 1914. Jacques Rouché, directeur de l’Opéra de Paris demande à l’écrivain Colette d’écrire un livret de ballet-féerie, ce qu’elle fait.
En 1939, Colette décrit comment se sont passées les choses
Il aima mon petit poème, et suggéra des compositeurs dont j’accueillis les noms aussi poliment que je pus. — Mais, dit Rouché après un silence, si je vous proposais Ravel ? Je sortis bruyamment de ma politesse, et l’expression de mon espoir ne ménagea plus rien. — Il ne faut pas nous dissimuler, ajouta Rouché, que cela peut être long, en admettant que Ravel accepte…
Colette, 1939
Et Maurice Ravel accepta… cependant il était à la guerre, et cela prit du temps.
Chère Madame,
Dans le même temps que vous manifestiez devant Rouché le regret de mon silence, je songeais, du fond de mes neiges, à vous demander si vous vouliez encore d’un collaborateur aussi défaillant. L’état de ma santé est ma seule excuse : pendant longtemps, j’ai bien craint de ne pouvoir plus rien faire. Il faut croire que je vais mieux : l’envie de travailler semble revenir. Ici, ce n’est pas possible ; mais, dès mon retour, au commencement d’avril, je compte m’y mettre, et commencer par notre opéra. À la vérité, j’y travaille déjà : je prends des notes, sans en écrire une seule, je songe même à des modifications… N’ayez pas peur : ce n’est pas à des coupures ; au contraire. Par exemple : le récit de l’écureuil ne pourrait-il se développer ? Imaginez tout ce que peut dire de la forêt un écureuil, et ce que ça peut donner en musique ! Autre chose : que penseriez-vous de la tasse et de la théière, en vieux Wegwood (sic) noir, chantant un ragtime ? J’avoue que l’idée me transporte de faire chanter un ragtime par deux nègres à l’Académie Nationale de Musique. Notez que la forme, un seul couplet, avec refrain, s’adapte parfaitement au mouvement de cette scène : plaintes, récriminations, fureur, poursuite. Peut-être m’objecterez-vous que vous ne pratiquez pas l’argot nègre-américain. Moi qui ne connais pas un mot d’anglais, je ferais comme vous : je me débrouillerais. Je vous serais reconnaissant de me donner votre opinion sur ces deux points, et de croire, chère Madame, à la vive sympathie artistique de votre dévoué
Maurice Ravel
Voici un lien pour le livret écrit par Colette
Et ci-dessous une vidéo du spectacle :