Gare ! signifie Attention ! C’est ce qu’on appelle une interjection, pour prévenir quelqu’un d’un danger, ou l’avertir d’une menace. Le dictionnaire Le Grand Robert de la Langue Française signale la proximité avec les verbes se garer, se ranger, c’est-à-dire se mettre à l’abri.
Gare devant ! Freine ! Il y a un accident de voiture, et la circulation est interrompue.
(ou, Fais attention devant !)
De fait, l’expression est souvent gare à…
Gare à quelque chose :
Gare à la peinture fraîche !
Gare à quelqu’un :
Gare aux flics !
L’expression peut menacer, avertir un enfant qui a fait une bêtise:
Gare à toi si tu recommences !
Faire quelque chose sans crier gare, c’est agir sans avertir :
Des amis sont arrivés chez nous sans crier gare l’autre jour. Ils étaient de passage dans notre ville et ils nous ont fait la surprise de leur visite. Quelle bonne surprise, ce sont des amis très chers.
Il existe une expression voisine de gare à, c’est prendre garde à dont le sens est le même, c’est faire attention à. Un exemple fameux se trouve dans Carmen.
Carmen est un opéra en quatre actes de Georges Bizet, composé d’après un texte de l’écrivain Prosper Mérimée. Nous sommes au dix-neuvième siècle. La pièce se situe en Espagne. Carmen est une jeune bohémienne, emprisonnée pour quelque raison, qui séduit Don José afin qu’il la laisse s’enfuir de la prison. Elle le mènera à sa perte, non sans avertir les hommes de son inconstance: si je t’aime, prends garde à toi. C’est l’air de L’amour est un oiseau rebelle.
L’amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser,
Et c’est bien en vain qu’on l’appelle
S’il lui convient de refuser.Rien n’y fait, menace ou prière.
L’un parle bien, l’autre se tait.
Et c’est l’autre que je préfère.
Il n’a rien dit mais il me plait.L’amour ! L’amour ! L’amour ! L’amour !
L’amour est enfant de Bohême,
Il n’a jamais jamais connu de loi.
Si tu ne m’aimes pas, je t’aime;
Si je t’aime, prends garde à toi !Si tu ne m’aimes pas, si tu ne m’aimes pas, je t’aime,
Mais si je t’aime, si je t’aime, prends garde à toi
L’expression gare à s’illustre en littérature chez Gustave Flaubert dans ses Correspondances. En l’occurrence, il s’agit d’une lettre adressée à son ami de jeunesse, Ernest Chevalier, en 1835. Flaubert pressent des troubles à venir, des émeutes sanglantes. Il écrit :
Un jour, jour qui arrivera avant peu, le peuple recommencera la troisième révolution; gare aux têtes, gare aux ruisseaux de sang. Maintenant on retire à l’homme de lettres sa conscience, sa conscience d’artiste. Oui, notre siècle est fécond en sanglantes péripéties. Adieu, au revoir, et occupons-nous toujours de l’Art qui, plus grand que les peuples, les couronnes et les rois, est toujours là, suspendu dans l’enthousiasme, avec son diadème de Dieu.
Historiquement
Flaubert ne se trompait pas, puisqu’il y eut une insurrection sanglante en 1848, une autre en 1871. Cette dernière était une guerre civile, appelée la Commune. Le peuple de Paris se révoltait contre le gouvernement. On a appelé les révoltés des communards. À ne pas confondre avec les communistes. Le communisme est inspiré des écrits de Marx et Engels. En 1848 ils ont publié le Manifeste du Parti Communiste, qui est défini comme « une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». Le mouvement communiste, lui, plus tard, se développera sous Lénine et la Révolution d’Octobre en 1917.
Pour la petite histoire, on appelle aussi un communard dans les bistrots, un verre de mélange d’un bon vin rouge, un Bourgogne possiblement, avec de la liqueur de cassis, elle aussi originaire de Dijon, en Bourgogne.
Georges Brassens, poète, auteur compositeur, interprète Le Gorille. C’est ce que l’on appelle une chanson gaillarde, grivoise – dont le texte se positionne contre la peine de mort et les petits juges en bois brut – censurée à la radio à sa sortie en 1952. La chanson demeure populaire, et surtout le refrain : gare au gorille.
Le Gorille
C’est à travers de larges grilles
Que les femelles du canton
Contemplaient un puissant gorille
Sans souci du qu’en-dira-t-on*
Avec impudeur, ces commères
Lorgnaient* même un endroit précis
Que, rigoureusement, ma mère
M’a défendu de nommer ici
Gare au gorille !Tout à coup la prison bien close
Où vivait le bel animal
S’ouvre, on n’sait pourquoi, je suppose
Qu’on avait dû la fermer mal
Le singe, en sortant de sa cage
Dit « c’est aujourd’hui que j’le perds ! »
Il parlait de son pucelage
Vous aviez deviné, j’espère !
Gare au gorille !Le patron de la ménagerie
Criait, éperdu « nom de nom !
C’est assommant, car le gorille
N’a jamais connu de guenon* ! »
Dès que la féminine engeance*
Sut que le singe était puceau*
Au lieu de profiter de la chance
Elle fit feu des deux fuseaux !*
Gare au gorille !Celles-là même qui, naguère
Le couvaient d’un œil décidé
Fuirent, prouvant qu’elles n’avaient guère
De la suite dans les idées
D’autant plus vaine était leur crainte
Que le gorille est un luron*
Supérieur à l’homme dans l’étreinte
Bien des femmes vous le diront !
Gare au gorille !Tout le monde se précipite
Hors d’atteinte du singe en rut*
Sauf une vieille décrépite
Et un jeune juge en bois brut*
Voyant que toutes se dérobent
Le quadrumane accéléra
Son dandinement vers les robes
De la vieille et du magistrat !
Gare au gorille !« Bah ! soupirait la centenaire
Qu’on pût encore me désirer
Ce serait extraordinaire
Et, pour tout dire, inespéré ! »
Le juge pensait, impassible,
« Qu’on me prenne pour une guenon,
C’est complètement impossible »
La suite lui prouva que non !
Gare au gorille !Supposez que l’un de vous puisse être
Comme le singe, obligé de
Violer un juge ou une ancêtre
Lequel choisirait-il des deux ?
Qu’une alternative pareille
Un de ces quatre jours, m’échoie
C’est, j’en suis convaincu, la vieille
Qui sera l’objet de mon choix !
Gare au gorille !Mais, par malheur, si le gorille
Aux jeux de l’amour vaut son prix
On sait qu’en revanche il ne brille
Ni par le goût ni par l’esprit
Lors, au lieu d’opter pour la vieille
Comme l’aurait fait n’importe qui
Il saisit le juge à l’oreille
Et l’entraîna dans un maquis !
Gare au gorille !La suite serait délectable
Malheureusement, je ne peux
Pas la dire, et c’est regrettable
Ça nous aurait fait rire un peu
Car le juge, au moment suprême
Criait « Maman ! », pleurait beaucoup
Comme l’homme auquel, le jour même,
Il avait fait trancher le cou
Gare au gorille !le qu’en-dira-t-on : ce que les gens diront
Lorgnaient : lorgner, regarder avec insistance
guenon : la femelle
la féminine engeance : espèce
puceau : vierge
fit feu des deux fuseaux : partit à toute vitesse
un luron : un individu
en rut : en chaleur
en bois brut : ferme, incorruptible