Le chouchou, c’est la personne préférée, le chéri.
La prononciation du che
Le che produit un chuintement. On le prononce, dans la plupart des cas, sans chercher à placer, comme en anglais, un t devant, comme dans “a chimney”. On dit :
une cheminée
Il est vrai qu’il y a des cas où on le prononce différemment, comme dans le christianisme, un chrétien, c’est la même chose en anglais. Comme aussi le charisme. Avoir du charisme, être charismatique, pour une personne, c’est avoir un charme naturel qui séduit les gens. C’est le cas, par exemple en campagne politique, où il est bon d’avoir le don de mettre les autres en confiance pour obtenir leur vote.
Mais il y a des cas où, dans une même famille de mots, on le prononce parfois che, et parfois ke. Prenons la famille de
la psychologie
un / une psychologue
ou
la psychiatrie
un / une psychiatre
et l’on y trouve aussi :
le psychisme
l’adjectif :
psychique
Mais dans la famille de l’architecture, on prononce che tout le temps : un architecte, architecturer, c’est construire selon un plan:
L’architecture gothique se distingue de l’architecture romane par les vitraux qui apportent davantage de lumière.
Dans la famille de la chimie, la prononciation che est aussi une constante : un chimiste, l’alchimie c’est-à-dire l’illusion ou la magie.
Les alchimistes pensent transmuter des métaux en or par des manipulations complexes de mélanges chimiques.
Il vous est possible de vous référer, concernant le h et sa prononciation, à mes alphabets précédents, aux lettres « H comme… dehors » et « H comme… la lettre H elle-même », ainsi qu’ au cours avancé numéro 18 de mes leçons.
Mais, revenons à nos moutons!
La prononciation che comme dans cher / chère ou chéri (e), apparaît dans une expression cocasse : le chouchou.
Chouchouter quelqu’un, c’est gâter quelqu’un, le couvrir de tendresse, de cadeaux.
Les enfants aiment bien être chouchoutés à Noël.
Le chouchou, c’est donc le chéri, avec la connotation le favori, le préféré.
Mais chouchou est un petit mot à double tranchant. Traiter quelqu’un de chouchou, cela peut en effet avoir un sens affectueux et aussi un sens méprisant, dédaigneux : le chouchou du prof, c’est l’élève qui n’a pas de mérite parce qu’il est, de toute façon, le préféré du prof.
En littérature
Albert Camus, homme de lettres, a laissé à sa mort son dernier livre inachevé : LE PREMIER HOMME. C’est un livre autobiographique où Camus donne au personnage Jacques Cormery ses propres traits de caractère. Or dans son enfance, dans les années 1920, il a eu un instituteur exceptionnel : M. Germain qui, dans le livre, s’appelle M. Bernard.
En ce temps-là, les enfants étaient disciplinés en classe, mais entre eux, après la classe, il y avait d’autres lois. Voici quelques extraits du PREMIER HOMME, c’est-à-dire l’enfant. Camus alias Jacques Cormery, est un jour traité de chouchou par un élève après avoir été félicité par le maître d’école. Il raconte :
« Alors que Jacques se trouvait au tableau noir et que, sur une bonne réponse, Monsieur Bernard lui avait caressé la joue, une voix ayant murmuré :« chouchou » dans la salle, M. Bernard l’avait pris contre lui et avait dit avec une sorte de gravité :« Oui, j’ai une préférence pour Cormery comme pour tous ceux d’entre vous qui ont perdu leur père à la guerre. Moi j’ai fait la guerre avec leurs pères et je suis vivant. J’essaie de remplacer ici au moins mes camarades morts. Et maintenant, si quelqu’un veut dire que j’ai des ‘chouchous’, qu’il parle! » Cette harangue fut accueillie dans un silence total. À la sortie, Jacques demanda qui l’avait appelé ‘chouchou’. Accepter en effet ainsi une telle insulte sans réagir revenait à perdre l’honneur. ‘Moi’, dit Munoz… »
(Le Premier Homme -édition de La Pléiade- Albert Camus Oeuvres complètes livre IV page 834)
S’ensuivit une bagarre dans les règles, dans un champ, où Jacques porta un coup à Munoz, lequel tomba sur les fesses et tarda à se relever, ce qui fit déclarer Jacques vainqueur. Mis au courant par des traces sur le visage de Munoz le lendemain, M. Bernard jugea bon de punir Jacques qui fut mis au piquet (le dos tourné vers le mur) à la récréation, pendant une semaine. Mais Munoz fut puni lui aussi de facto car les autres enfants refusèrent de jouer avec lui pendant cette même semaine et il resta seul dans son coin.
Après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature en 1957, Albert Camus écrivit à son instituteur d’école primaire et cet instituteur lui répondit par une vibrante profession.
19 novembre 1957
Cher Monsieur Germain,
J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.
Je vous embrasse, de toutes mes forces.
Albert Camus
Réponse de Monsieur Germain à Albert Camus :
30 Avril 1959
Mon cher petit,
… Je ne sais t’exprimer la joie que tu m’as faite par ton geste gracieux ni la manière de te remercier. Si c’était possible, je serrerais bien fort le grand garçon que tu es devenu et qui restera toujours pour moi « mon petit Camus».
… Qui est Camus ? J’ai l’impression que ceux qui essayent de percer ta personnalité n’y arrivent pas tout à fait. Tu as toujours montré une pudeur instinctive à déceler ta nature, tes sentiments. Tu y arrives d’autant mieux que tu es simple, direct. Et bon par-dessus le marché ! Ces impressions, tu me les a données en classe. Le pédagogue qui veut faire consciencieusement son métier ne néglige aucune occasion de connaître ses élèves, ses enfants, et il s’en présente sans cesse. Une réponse, un geste, une attitude sont amplement révélateurs. Je crois donc bien connaître le gentil petit bonhomme que tu étais, et l’enfant, bien souvent, contient en germe l’homme qu’il deviendra. Ton plaisir d’être en classe éclatait de toutes parts. Ton visage manifestait l’optimisme. Et à t’étudier, je n’ai jamais soupçonné la vraie situation de ta famille, je n’en ai eu qu’un aperçu au moment où ta maman est venue me voir au sujet de ton inscription sur la liste des candidats aux Bourses. D’ailleurs, cela se passait au moment où tu allais me quitter. Mais jusque-là tu me paraissais dans la même situation que tes camarades. Tu avais toujours ce qu’il te fallait. Comme ton frère, tu étais gentiment habillé. Je crois que je ne puis faire un plus bel éloge de ta maman.
Une illustration en musique
Le chéri ou le chouchou nous ramène irrésistiblement à la Belle époque, c’est-à-dire au nom donné à la période d’insouciance et de réjouissances d’après-guerre. À Paris l’animation est particulièrement vive à Montmartre, entre Clichy et Barbès, où Maurice Chevalier chante Prosper, le chéri de ces dames.
Vous noterez, au passage, qu’il a le véritable accent parisien. Notez aussi que les Français de nos jours connaissent surtout, et en fait c’est tout, le refrain, en insistant sur yop la boum.
Prosper, yop la boum
C’est le chéri de ces dames
Prosper, yop la boum
C’est le roi du macadam
Quand on voit passer le grand Prosper
Sur la place Pigalle
Avec son beau petit chapeau vert et sa martingale*,
À son air de malabar* et sa démarche en canard*
Faut pas être bachelier* pour deviner son métier
Prosper, yop la boum
C’est le chéri de ces dames
Prosper, yop la boum
C’est le roi du macadam
Comme il a toujours la flemme*
Il ne fait jamais rien lui-même
Il a son Harem
Qui de Clichy à Barbès
Le jour et la nuit sans cesse
Fait son petit business
*sa martingale – un vêtement élégant à l’époque
*malabar – homme fort
*sa démarche en canard – un peu comme Charlie Chaplin
*bachelier – instruit, qui le a le diplôme du bac
*la flemme – la paresse