Historiquement
Il y a dans l’alphabet français vingt-six lettres dont deux i, le i simple et le i grec. Pour comprendre comment cette dernière, la vingt-cinquième de notre alphabet, est arrivée, il faut remonter dans le temps aux origines grecques de la langue française. En grec ancien la vingtième lettre de l’alphabet est le upsilon qui s’écrit en lettre majuscule Υ et en lettre minuscule u. Cette lettre se prononce u ( ύψιλον).
Pour des historiens philologues, cette lettre est vraisemblablement passée dans l’alphabet latin pour dénoter le son u absent du latin. Dans le latin tardif, et dans notre Moyen Âge, elle a finit par se prononcer i, la graphie y devenant une forme alternative de notre i.
Ainsi les scribes de langue latine au début du Moyen Age écrivaient-ils indifféremment lacrimas ou lacrymas (les larmes) selon leur fantaisie. Notre i grec garda cet emploi erratique jusqu’à l’émergence et pendant l’épanouissement de l’ancien français (soit du XIe au XIIIe siècle). Ce n’est d’ailleurs qu’à cette époque que l’on trouve la première mention du nom i grec.
Propos sur l’évolution de la langue française par Mickael Korvin, écrivain et traducteur franco-américain.
Ce propos se laisse illustré en citant les premières lignes de ‘l’advertissement’ de Montaigne au lecteur de ses Essais, en vieux français bien sûr, en 1580:
C’est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t’advertit dés l’entrée, que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privée : je n’y ay eu nulle considération de ton service, ny de ma gloire.
Montaigne Oeuvres complètes, Éditions Gallimard (1962)
Comme on le constate, le mot icy apparaît. Il a une alternative cy pour s’écrire plus tard et de nos jours encore ici et ci. C’est ainsi que l’on peut lire sur les tombes des cimetières ci-gît telle ou telle personne. Ici gît, ou ci-gît, du verbe à l’infinitif gésir, qui signifie être étendu rarement employé à l’infinitif, ne se conjuguant qu’à l’indicatif présent et imparfait sur le modèle du verbe lire et au participe présent gisant.
Une plaque RIP – Ci-gît la connerie humaine est apparue après les attentats à Charlie Hebdo. Rip est l’abréviation latine ‘Requiescat in pace’ ou des mots anglais ‘Rest In Peace’. En le traduisant en français, cela signifie « repose en paix ». De la sorte, le sigle est une expression utilisée lors de la disparition soudaine d’une personne, afin que son âme puisse reposer en paix.
Ci apparaît avec les adverbes ci-dessus, ci-dessous, pour signifier ce qui a été écrit, exposé plus haut (ci-dessus):
Comme nous l’avons dit ci-dessus…
ou dans ce qui va être écrit (ci-dessous). Ou encore ci vient appuyer un nom pour exprimer la proximité ou l’insistance:
La température refroidit ces jours-ci.
Je passerai te voir à l’occasion d’un de mes séjours en France, mais pas cette fois-ci car je n’aurai pas le temps.
Grammaticalement
Cette lettre est aussi un mot, un petit mot d’une lettre seulement. Il s’agit d’un adverbe de lieu: y (le i grec) comme dans “il y a” ou encore “je vais à tel endroit, j’y vais”.
Outre un adverbe de lieu, y peut être un pronom personnel complément indirect avec des verbes qui se construisent en à, lorsque le complément est une chose :
penser à, s’intéresser à, réfléchir à, participer à, croire à, jouer à
ce qui donne:
j’y pense, je m’y intéresse, j’y réfléchis, j’y participe, j’y crois, j’y joue
Pour plus d’information cf mes leçons en ligne sur la prononciation et tous les emplois de y dans les niveaux intermédiaires n°32 et avancés n° 9
Philosophie morale
Le Y était le symbole de la secte de Pythagore. Il se nomme alors “la lettre pythagoricienne” ou “la lettre pythagorique”
On appelle aussi cette lettre le bivium : “bi” comme deux. Deux voies qui représentent la croisée des chemins. C’est le choix que doit faire chaque adepte pour entrer dans la secte et suivre ses commandements, censés faire de lui un Sage. La branche de gauche est large et confortable, la branche de droite est étroite et difficile. Le choix de droite vous sauve, celui de gauche vous conduit à la damnation.
On trouve la mention du bivium dans nombre d’écrits anciens et d’illustrations.


Au quatorzième siècle, Pétrarque, érudit, poète, s’inspire de Saint Augustin. Il fait le récit d’une expérience dans une lettre écrite à son confesseur en 1335, en France, dans le Mont Ventoux. La lettre est intitulée “Mon ascension sur le mont Ventoux, Lettre à Dionigio da Borgo San Sepolcro, moine augustin”.
Jérôme Vérain, traducteur, a écrit un livre Pétrarque L’ascension du Mont Ventoux, pour lequel il écrit :
C’est une des lettres les plus célèbres de toute la tradition épistolaire occidentale. L’une des plus belles, l’une des plus essentielles aussi.
En voici un extrait. Comme il entreprend de gravir le Mont Ventoux en compagnie de son frère, Pétrarque choisit le chemin le plus facile.
Mon frère, par une voie plus courte, tendait vers le haut à travers les escarpements de la montagne ; moi, plus mou, je me dirigeais vers le bas, et comme il me rappelait et me désignait une route plus directe, je lui répondis que j’espérais trouver d’un autre côté un passage plus facile, et que je ne craignais point un chemin plus long, où je marcherais plus aisément. Je couvrais ma mollesse de cette excuse, et pendant que les autres occupaient déjà les hauteurs, j’errais dans la vallée sans découvrir un accès plus doux, mais ayant allongé ma route et doublé inutilement ma peine. Déjà accablé de lassitude, je regrettais d’avoir fait fausse route.
Et Pétrarque d’élargir la leçon de l’expérience:
Les épreuves que tu as endurées tant de fois, aujourd’hui, dans l’ascension de cette montagne, sache bien que tu les rencontres aussi, toi-même comme tant d’autres, dans la recherche du bonheur… nombre d’escarpements coupe cette route et fait avancer de vertu en vertu, par des degrés éminents. Sur le sommet et le but suprême, le terme de la route vers lequel tend notre voyage.
Pétrarque, « L’ascension du Mont Ventoux », 1336
Un petit détour contemporain par le Mont Ventoux. Depuis 1990, L’UNESCO a classé le Mont Ventoux Réserve de Biosphère, étant donné les conditions climatiques extrêmes régnant à son sommet, et permettant le refuge d’espèces végétales extrêmement rares. Il y fait souvent froid, et le mistral atteint des vitesses record, dépassant les 300 km/h. Mais si vous êtes amateur de cyclisme et du Tour de France vous connaissez certainement l’étape du Mont Ventoux.
Le Mont Ventoux est un sommet difficile de par sa pente mais également du fait de l’aridité de son sommet qui expose le cycliste au soleil en été, au froid rude en hiver et aux vents parfois très violents, le rendant aussi bien souvent peu convivial. Le Géant de Provence ne se laisse pas dompter facilement. Le cycliste averti le montera après une préparation sérieuse et ne devra jamais sous estimer la difficulté de ses pentes et son climat très changeant et souvent agressif.
Revenons à nos moutons!
Revenons, pour terminer sur une note poétique, à François Villon, poète du Moyen Âge, dont des extraits de l’oeuvre en vieux français.
Pour le sens et l’atmosphère, je vous le lis d’abord en
français moderne:
Je regrette le temps de ma jeunesse
Où plus qu’un autre je me suis amusé
Jusqu’à l’entrée de la vieillesse.
Il m’a caché son départ.
Il s’en est allé ni à pied
Ni à cheval. Hélas! Comment donc alors?
Il s’est envolé tout soudain
Et ne m’a rien laissé.Je le sais bien, si j’avais étudié
Au temps de ma folle jeunesse
Et m’étais consacré aux bonnes moeurs,
J’aurais maison et lit douillet.
Mais quoi! je fuyais l’école
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
Peu s’en faut que mon coeur ne se brise.
Ces extraits du Testament de François Villon en vieux français sont déclamés par Serge Reggiani.
XXII
Je plains le temps de ma jeunesse,
Auquel j’ai plus qu’autre gallé
Jusques à l’entrée de vieillesse,
Qui son partement m’a celé.
Il ne s’en est à pied allé,
N’à cheval ; hélas ! comment donc ?
Soudainement s’en est volé,
Et ne m’a laissé quelque don.XXVI
Hé ! Dieu, si j’eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes meurs dédié,
J’eusse maison et couche molle !
Mais quoi ? Je fuyaie l’école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
À peu que le coeur ne me fend.