J’ai nommé Le mot de Cambronne.
Au cours de l’histoire
Voici toute l’histoire : Face aux Anglais de Wellington et aux Prussiens de Blücher à la bataille de Waterloo, le 18 juin 1815, le général Cambronne commande une division de la garde impériale. En mauvaise position et sommé de se rendre par le général anglais Colville, Cambronne répond noblement : LA GARDE MEURT; ELLE NE SE REND PAS!
Le propos est rapporté par le Journal Général de France, à la gloire de son auteur, à la gloire de l’armée, la gloire de Napoléon, enfin celle du pays tout entier.
Oui mais! La réalité est que Cambronne n’est pas mort à Waterloo. Il s’est rendu et il a été fait prisonnier. Ensuite il a honnêtement nié avoir prononcé les paroles qu’on lui attribuait. « Je n’ai pas pu dire “La Garde meurt mais ne se rend pas”, puisque que je ne suis pas mort et que je me suis rendu » (G. Bechtel, Dictionnaire des révélations historiques et contemporaines).
Cambronne est mort le 28 juillet 1842.
Voilà donc la vérité rétablie.
Cependant, ce n’est pas la phrase, la garde meurt, elle ne se rend pas, que l’on appelle le mot de Cambronne, ou bien pudiquement, le mot de cinq lettres en utilisant une périphrase pour éviter de prononcer le mot merde!, considéré comme un gros mot – c’est-à-dire un mot grossier interdit aux enfants et aux adultes bien élevés.
Dans la littérature
C’est à Victor Hugo que nous devons de l’attribuer à Cambronne, dans Les Misérables (II. Cosette, livre I, 14, « Le dernier carré ») :
Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !
Et Hugo d’en déduire plus loin dans le texte que la France avait gagné la bataille!
L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu, l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne. Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.
La légende illustrée par Victor Hugo a fait école, et le mot de Cambronne reste associé au mot de cinq lettres. Les gens le laissent échapper sous l’émotion.
Un jour, un petit garçon que je connais bien entendit son père s’écrier Bordel de merde comme il venait de se taper sur les doigts avec un marteau. L’enfant reprit l’expression telle qu’il l’avait comprise, s’écriant à son tour Bord de mer, ce que le père s’abstint de corriger.
Au théâtre
Sacha Guitry, auteur en vue dans les années 1930, a écrit une courte comédie intitulée Le Mot de Cambronne. Vous pouvez la visionner ici
La scène se passe chez les Cambronne. Madame est anglaise, c’est historique, et elle est intriguée par ce que les gens appellent Le mot de Cambronne, son mari. Ce mot fait rire tout le monde en sa présence (parce qu’il l’a dit aux Anglais justement) et cela la ridiculise. Tout le monde rit sauf elle qui ne connaît pas le mot. Mais Cambronne refuse obstinément de lui révéler ce qu’il a juré de ne jamais prononcer sous son toit. Il veut oublier son langage d’ancien soldat pour acquérir de bonnes manières. Il demande donc à son épouse de patienter jusqu’à ce qu’elle entende quelqu’un d’autre que lui le dire. Elle insiste, supplie, réclame au moins des indices, à quoi il répond:
Il est singulier ce mot quand on est en colère. La bouche s’arrondit pour le dire. Il a l’air un peu de la gueule d’un canon. Ce n’est pas un mot, c’est un boulet de canon.
Puis, suite à une phrase que sa femme vient de prononcer, les illusions, il faut qu’on les perde, il ajoute que ce mot perde rime avec le fameux mot. A cet instant, la bonne laisse tomber le plateau et les tasses à cafés en s’écriant : Merde!
En chanson
Léo Ferré chante la vie d’un prisonnier enfermé au bagne de l’île de Ré sur l’Atlantique, et disant merde à l’architecte militaire de Louis XIV, Vauban, constructeur de la prison en 1690. Ce bagne est une véritable forteresse.
Bagnard au bagne de Vauban
Dans l’île de Ré
Je mange du pain noir et des murs blancs
Dans l’île de Ré
A la ville m’attend ma mignonne
Mais dans vingt ans pour elle je ne serai plus personne
Merde à Vauban
On se dit merde pour se souhaiter bonne chance
Le mot de Cambronne n’a pas que des connotations négatives, injurieuses ou irrévérencieuses.
Cette habitude vient du XIXème siècle dans les milieux du spectacle. Les aristocrates allaient en ce temps au théâtre en calèches tirées par des chevaux. Les cochets déposaient les gens devant le théâtre puis allaient les attendre plus loin avant de revenir à la fin du spectacle. Or les chevaux faisaient du crottin. Donc beaucoup de crottin signifiait beaucoup de spectateurs. C’était la preuve d’un succès.
Allez, je vous dis au revoir. Et merde pour 2018! Entendez santé, bonheur et prospérité!