Grammaticalement parlant
Trop est un adverbe de quantité qui marque un excès. Trop se distingue de très.
Pour prononcer la liaison devant une voyelle, observons les exemples suivants:
L’enseignement scolaire est très‿important.
L’enseignement scolaire est trop‿important pour qu’on le néglige.
Trop marque un excès de quelque chose. En tant qu’adverbe de quantité, il marque une quantité de quelque chose. Il est suivi de de devant un nom.
Il ne faut pas manger trop. Il ne faut pas dormir trop
(ou, il ne faut pas trop manger, trop dormir, c’est pareil)
mais, devant un nom
Il ne faut pas manger trop de sucre.
Il ne faut pas boire trop d’alcool pour la santé.
Un autre adverbe de quantité, beaucoup, se termine aussi par un p, qui se prononce lui aussi en liaison.
J’ai beaucoup‿appris pendant cette leçon.
J’ai beaucoup de plaisir à vous voir.
Beaucoup peut servir à mettre de l’emphase sur trop:
Tel produit est cher, trop cher, beaucoup trop cher, c’est ridicule.
Notez aussi cette expression substantivée (transformée en nom, en substantif) et qui prend un tiret:
le trop-plein
(overflow)
quand on dépasse les limites.
Qui trop embrasse mal étreint
Voici quelques emplois classiques de trop, comme c’est le cas dans le vieux proverbe
Qui trop embrasse mal étreint.
Voyons tout d’abord le sens de ce proverbe, en regardant les différentes significations usuelles du verbe embrasser.
Embrasser, c’est prendre dans ses bras. Étreindre, c’est serrer affectueusement dans ses bras.
Embrasser ses parents, ses enfants, ses amis en les étreignant.
Oui, mais pas que… (pas seulement). On dit aussi embrasser le paysage, ce qui signifie avoir la vue sur tout le paysage.
Du haut de la Butte Montmartre on embrasse tout Paris.
On dit aussi embrasser une carrière, c’est-à-dire s’engager dans une carrière, dans un métier. Et voici ce qui nous ramène au proverbe Qui trop embrasse mal étreint.
Le dictionnaire nous dit que
Le sens de l’expression est fort exact, car celui qui tient trop d’objets ne peut pas les serrer en même temps, parce qu’il ne peut pas replier ses bras autour de tous les objets.
Il en est des facultés de l’esprit comme des bras : les exercer sur trop de matières à la fois, c’est les affaiblir ; il faut les concentrer pour qu’elles aient toute leur force. Le verbe étreindre prend alors dans cette métaphore le sens de maîtriser.
On peut appliquer ce proverbe soit aux conquérants qui étendent trop leur empire à tel point qu’ils ne peuvent en maintenir l’unité, soit à des auteurs qui entreprennent de traiter plusieurs sujets en même temps et qui sont impuissants à les mener à bien, ou encore à ceux qui abordent l’étude de plusieurs sciences et qui ne peuvent acquérir qu’une connaissance imparfaite de chacune.’
Toutefois, il existe chez certains êtres une fureur de vivre irréfragable, positive. Ainsi Albert Camus revendique-t-il l’amour de vivre:
Dans ces heures vibrantes du cloître de San Francisco à Ibiza, j’étais immobile et tendu, sans force contre cet immense élan qui voulait mettre le monde entre mes mains. Je sais bien que j’ai tort, qu’il y a des limites à donner. À cette condition, l’on crée. Mais il n’y a pas de limites pour aimer et que m’importe de mal étreindre si je peux tout embrasser.
(L’envers et l’endroit)
Le magazine La Croix de mai 2020, cite un mot Camus vivant à fond ses engagements, sa création: « deux dangers menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction », ses amours « pourquoi faudrait-il aimer rarement pour aimer beaucoup? »
Il faut vivre avec son temps. Et parler…
Outre les emplois classiques de trop, notez et retenez, parce que vous l’entendrez, un emploi moderne de trop, dans le sens de très, comme si très ne suffisait pas parce que c’est très, très, très au-delà des mots.
Soupirs. C’est trop bon les frites. C’est trop beau les étoiles et la plage au clair de lune. Ce concert hier, c’était trop bien, trop cool, quoi.
En somme, on n’arrête pas le progrès, comme on dit, même en grammaire. Même si trop c’est trop, parfois, pour des interlocuteurs ringards (démodés).
Une illustration
Une fable de Jean de La Fontaine (1621 – 1695)
Jean de la Fontaine a marqué l’histoire par ses Fables. Son œuvre occupe une place de choix dans le patrimoine culturel français, et sa morale, à la fin de chaque fable, est inscrite dans la sagesse populaire. Il se trouve une autre fable de La Fontaine dans mon blog, à la lettre G comme la grenouille. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf.
Le Héron
Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;
Ma commère la carpe y faisait mille tours
Avec le brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord, l’oiseau n’avait qu’à prendre ;
Mais il crut mieux faire d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appétit.
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l’appétit vint : l’oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le rat du bon Horace.
Moi des tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
La tanche rebutée il trouva du goujon.
Du goujon ! c’est bien là le dîner d’un Héron !
J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !
Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu’il ne vit plus aucun poisson.
La faim le prit, il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons.
A long-legg’d heron chanced to fare
By a certain river’s brink,
With his long, sharp beak
Helved on his slender neck;
‘Twas a fish-spear, you might think.
The water was clear and still,
The carp and the pike there at will
Pursued their silent fun,
Turning up, ever and anon,
A golden side to the sun.
With ease might the heron have made
Great profits in his fishing trade.
So near came the scaly fry,
They might be caught by the passer-by.
But he thought he better might
Wait for a better appetite–
For he lived by rule, and could not eat,
Except at his hours, the best of meat.
Anon his appetite return’d once more;
So, approaching again the shore,
He saw some tench taking their leaps,
Now and then, from their lowest deeps.
With as dainty a taste as Horace’s rat,
He turn’d away from such food as that.
‘What, tench for a heron! poh!
I scorn the thought, and let them go.’
The tench refused, there came a gudgeon;
‘For all that,’ said the bird, ‘I budge on.
I’ll ne’er open my beak, if the gods please,
For such mean little fishes as these.’
He did it for less;
For it came to pass,
That not another fish could he see;
And, at last, so hungry was he,
That he thought it of some avail
To find on the bank a single snail.
Such is the sure result
Of being too difficult.
Would you be strong and great,
Learn to accommodate.
Get what you can, and trust for the rest;
The whole is oft lost by seeking the best.
Above all things beware of disdain;
Where, at most, you have little to gain.
The people are many that make
Every day this sad mistake.
‘Tis not for the herons I put this case,
Ye featherless people, of human race.
–List to another tale as true,
And you’ll hear the lesson brought home to you.
Translation Elizur Wright (1882)
Georges Moustaki
Une seconde illustration en chanson dont Georges Moustaki est l’auteur compositeur.
Georges Moustaki, né Giuseppe Mustacchi en 1934 à Alexandrie, mort en 2013 à Nice, est un auteur-compositeur-interprète d’origine italo-grecque naturalisé français en 1985. Il est aussi artiste-peintre, écrivain, acteur.
Il est trop tard
Pendant que je t’aimais, pendant que je t’avais
L’amour s’en est allé, il est trop tard
Tu étais si jolie, je suis seul dans mon lit
Passe passe le temps, il n’y en a plus pour très longtempsPendant que je chantais ma chère liberté
D’autres l’ont enchaînée, il est trop tard
Certains se sont battus, moi je n’ai jamais su
Passe passe le temps, il n’y en a plus pour très longtempsPourtant je vis toujours, pourtant je fais l’amour
M’arrive même de chanter sur ma guitare
Pour l’enfant que j’étais, pour l’enfant que j’ai fait
Passe passe le temps, il n’y en a plus pour très longtempsPendant que je chantais, pendant que je t’aimais
Pendant que je rêvais il était encore temps
Et dans l’ultime version