Un m’as-tu-vu – c’est un terme péjoratif – est une personne prétentieuse, quelqu’un qui veut toujours attirer le regard des autres. C’est quelqu’un qui veut briller, mais sans en avoir le talent.
Pour donner un exemple, prenons le cas d’un duel qui opposa Ségolène Royal, socialiste, à Nicolas Sarkozy (de droite) en 2007 lors du dernier débat télévisé avant les élections présidentielles. Or, tout le monde sait que Sarkozy sortit vainqueur et fut élu. Blessée, Ségolène Royal écrivit par la suite, dans un livre intitulé Femme debout, une critique de plusieurs personnages politiques dans laquelle elle égratigna salement son vainqueur en ces mots:
Sarkozy est bien plus fade qu’on ne le croit. Sa force vitale est impressionnante, mais c’est vraiment un m’as-tu-vu… Il est monté sur le plus grand cheval et il a décroché le pompon.
L’image du pompon se réfère au manège (marry-go-round) où les enfants montent sur des chevaux de bois. Ils essaient d’attraper, à chaque tour, un pompon qui se balance au-dessus de leur tête. C’est pour eux jubilatoire; en cas de succès, ils gagnent un tour supplémentaire, gratuit, toutefois, les petits enfants attachent surtout du prix au pompon.
Une autre citation d’un autre personnage nous aide à préciser l’usage de l’expression m’as-tu-vu. Jean d’Ormesson, écrivain de talent, journaliste, académicien, disparu en 2017, était connu pour son franc-parler, c’est-à-dire sa liberté de langage, et il exprimait parfois un certain mépris pour certains m’as-tu-vu:
Passer à la télévision est le rêve de tous les m’as-tu-vu qui, à tort ou à raison, s’imaginent avoir quelque chose à communiquer aux autres.
La grammaire
On repère les traits d’union qui permettent de former le mot composé.
Tu m’as vu?
C’est une question.
M’as-tu vu?
C’est la même question où le sujet du verbe, tu, est inversé par rapport au verbe. Cela se dit pour attirer l’attention.
Est-ce que tu m’as vu? Tu me vois bien?
Autrement dit:
Regarde-moi! Vois comme je suis intelligent! Regarde comme je suis beau !
Les mots composés avec l’utilisation de traits d’union sont fréquents. En voici quelques exemples:
Un non-dit, des non-dits, c’est-à-dire des situations dont on ne parle pas parce qu’elles sont dérangeantes, certains secrets de famille par exemple.
Le qu’en-dira-t-on, c’est l’opinion des autres, ce que disent les autres à propos de vous, leurs commentaires, leurs jugements sur vous. La phrase typique est :
Je me moque du qu’en-dira-t-on,
l’opinion que les autres ont de moi, je m’en moque, ça m’est égal, je m’en fiche.
Un va-t’en-guerre, c’est quelqu’un qui a un tempérament belliqueux, agressif. Quelqu’un qui veut la guerre, qui a l’esprit va-t’en-guerre.
On trouve aussi pas mal de mots composés à l’aide de traits d’union dans les langages régionaux, les langues vernaculaires, c’est-à-dire les langues courantes, populaires.
Pas de Monsieur-c’est-pas-moi! Dans la région de Lyon, par exemple, lorsque quelqu’un, un enfant peut-être, a fait une bêtise et le nie en criant « c’est pas moi! », on lui oppose :
Non, non, non il n’y a pas de Monsieur-c’est-pas-moi!
Un on-m’y-a-dit: C’est toujours dans la région de Lyon, pour parler d’un bruit qui court, pour exprimer un événement dont on a entendu parler, quelque chose qu’on m’a dit, une rumeur, on dit: c’est des on-m’y-a-dit. En fait, on me l’a dit, on m’a dit cela, mais les Lyonnais utilisent le y au lieu de le ou cela, ça.
C‘est ainsi que Erik Orsenna, l’écrivain auteur, entre autres, du livre Les Chevaliers du Subjonctif, transpose les conjugaisons dans le monde merveilleux de l’imaginaire, avec humour et poésie. Les Verbes habitent dans des îles nommées en fonction du mode grammatical qui est le leur, il y a tout un archipel, c’est-à-dire l’île des Infinitifs, celle des Indicatifs, celle des Impératifs, celle des Conditionnels et… celle des Subjonctifs.
Il y a dans ce monde une fillette ingénue âgée de 12 ans, Jeanne, qui ne doute de rien, elle ose, un jour, questionner le dictateur de l’archipel, lequel envisage de détruire tous les Subjonctifs sous prétexte qu’ils sont subversifs. Ce dictateur, Nécrole, se fait appeler Monsieur-le-président-à-vie-et-même-au-delà, avec plein de traits d’union pour bien marquer son autorité. En voici un extrait du livre, Jeanne raconte ce qu’elle ose faire:
-Pardonnez-moi, Monsieur-le-président-à-vie-et-même-au-delà, mais pourquoi craignez-vous tant les Subjonctifs?
Stupeur. Et tremblement. Oser questionner le Tout-Puissant! La foudre allait tomber. La terre s’ouvrir pour avaler l’audacieuse, une vague surgir pour l’engloutir. Plus personne ne respirait dans la salle du trône, pas même les oiseaux. Dans le jardin, ils s’étaient arrêtés de chanter. Le monde entier attendait la punition terrible et méritée qu’allait me valoir ma faute.
La Maître non plus ne bougeait pas. Les yeux seulement avaient grandi. Des yeux immenses et ronds, des yeux d’enfant face à quelque chose de parfaitement nouveau: une jeune fille s’était permis de lui parler. Il dut goûter cet étonnement car un sourire finit par lui venir. Et c’est d’une voix très calme, amusée, qu’il me répondit:
-Les Subjonctifs sont les ennemis de l’ordre, des individus de la pire espèce. Des insatisfaits perpétuels. Des rêveurs, c’est-à-dire des contestataires. « Je veux que tous les hommes soient libres. » Bonjour le désordre! « Je ne crois pas que notre président réussisse. » Merci pour le soutien! Du matin jusqu’au soir, ils désirent et ils doutent. A-t-on jamais construit une civilisation à partir du désir et du doute?
Les conseillers du dictateur, flatteurs et courtisans, comme tous les conseillers, hochaient la tête en cadence.
– Comme vous avez raison, Monsieur-le-président-à-vie-et-même-au-delà, le rêve est la plus malfaisante des maladies.
– Bien sûr que non, Monsieur-le-président-à-vie-et-même-au-delà. Personne n’a jamais pu bâtir une société vivable avec de tels enfants gâtés !
Nécrole, d’un geste, fit taire ces baveux.
– J’ai réussi à soumettre tout l’archipel. La tribu des Infinitifs, facile: ils ne savent pas ce qu’ils veulent. (Effectivement, un infinitif représente l’infini, c’est vague, imprécis, cela peut dire la chose et son contraire). Les impératifs, de même: ils n’arrêtent pas de se battre entre eux. (Effectivement, ils donnent des ordres et des contrordres). Les Conditionnels? On n’a pas de mal à écraser des gens qui passent leur temps à faire des hypothèses et qui n’osent jamais affirmer ce qu’ils pensent. Restent les Subjonctifs. Ceux-là sont beaucoup plus redoutables. Mais faites-moi confiance, je vais m’occuper d’eux. Une bonne fois pour toutes.
Erik Orsenna, Les Chevaliers du Subjonctif
La grammaire
M’as tu vu? Vu est le participe passé de voir. C’est un verbe intéressant, il fait partie d’une famille, pour parler comme Erik Orsenna. Celle d’infinitifs qui se terminent en -oir.
Voir, devoir, savoir, vouloir, pouvoir.
Ces 5 verbes ont des choses en commun.
-Ils se terminent au présent de l’indicatif au singulier en -s, -s, -t:
je vois, tu vois, il voit
je dois, tu dois, il doit
je sais, tu sais, il sait
Ou en -x, -x, -t pour vouloir et pouvoir:
je veux, tu veux, il veut
je peux, tu peux, il peut
Et puis ils basculent sur un autre radical au pluriel de l’indicatif:
nous voyons, vous voyez, elles voient
nous devons, vous devez, elles doivent
nous savons, vous savez, elles savent
nous pouvons, vous pouvez, elles peuvent
Concernant le subjonctif présent (il faut que je…) il se terminera toujours en -e, -es, -e, -ions, -iez, -ent mais de manière irrégulière :
Voir fait:
Il faut que je voie, que tu voies, qu’il voie, que nous voyions, que vous voyiez, qu’elles voient.
Devoir fait:
Bien que je doive partir, que tu doives, qu’il doive, que nous devions, que vous deviez, qu’elles doivent
Savoir fait:
Quoique que je sache écrire ce mot, je suis incapable de le prononcer, que tu saches, qu’il sache, que nous sachions, que vous sachiez, qu’elles sachent
Concernant quoique suivi obligatoirement du subjonctif, voir LA LETTRE Q
Vouloir fait:
Quoi que je veuille faire, on me l’interdit, que tu veuilles, qu’il veuille, que nous voulions, que vous vouliez, qu’elles veuillent
Pouvoir fait:
Pour que je puisse sortir, que tu puisses, qu’il puisse, que nous puissions, que vous puissiez, qu’elles puissent
Ces 5 verbes ont le participe passé en u:
J’ai vu quelque chose d’intéressant dans le magasin, j’ai dû renoncer à l’acheter à cause du prix élevé; j’ai su me retenir de faire une grosse bêtise, je suis fière de moi; j’ai voulu réfléchir ; j’ai pu résister à la tentation ainsi.
Une illustration
Georges Brassens – Les funérailles d’antan
Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain
(vous invitaient, vous faisaient participer)
De bonne grâce ils en faisaient profiter les copains
(si vous voulez)
” Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez le pleurer avec nous sur le coup de midi… “
Mais les vivants aujourd’hui ne sont plus si généreux
Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux
C’est la raison pour laquelle, depuis quelques années
Des tas d’enterrements vous passent sous le nez
(vous échappent, vous privent)
Refrain
Mais où sont les funérailles d’antan?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-pères
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croque-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les reverra plus
Et c’est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans
Maintenant, les corbillards à tombeau grand ouvert
Emportent les trépassés jusqu’au diable vauvert
(très loin, à de grandes distances)
Les malheureux n’ont même plus le plaisir enfantin
De voir leurs héritiers marron marcher dans le crottin
(sans héritage, bernés)
L’autre semain des salauds, à cent quarante à l’heure
Vers un cimetière minable (tout petit, sans gloire) emportaient un des leurs
Quand, sur un arbre en bois dur, ils se sont aplatis
On s’aperçut que le mort avait fait des petits
Au refrain
Mais où sont les funérailles d’antan?
Plutôt que d’avoir des obsèques manquant de fioritures
(d’ornements)
J’aimerais mieux, tout compte fait, me passer de sépulture
J’aimerais mieux mourir dans l’eau, dans le feu, n’importe où
Et même, à la grande rigueur, ne pas mourir du tout
O, que renaisse le temps des morts bouffis d’orgueil
(plein d’orgueil)
L’époque des m’as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil
Où, quitte à tout dépenser jusqu’au dernier écu
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul
(plus haut que leurs moyens)