Françoise Le Roux
Proverbes et dictons
L’expression Qui vivra verra est-elle un proverbe… ou un dicton ? Au fait, quelle est la différence entre un dicton et un proverbe ? C’est difficile à dire. Cependant, des spécialistes classent le dicton dans la catégorie des constats usuels dans la nature des choses.
Par exemple :
S’il pleut à la saint Médard, il pleuvra quarante jours plus tard, à moins que saint Barnabé ne vienne le tirer du fossé.
Dans le calendrier, la saint Médard est le 8 juin et donc s’il pleut le 8 juin, il pleuvra pendant quarante jours de suite. Mais il y a un espoir « à moins que… ».
A moins que… signifie sauf si…, excepté si…. Dans ce cas, il pleuvra quarante jours plus tard, sauf si à la saint Barnabé, fêtée le 11 juin, 3 jours plus tard, il fait beau. S’il fait beau à la saint Barnabé, alors la malédiction de la saint Médard sera annulée. Et les cultures des paysans seront sauvées.
Voilà le profil du dicton. C’est un constat concret, une tradition pratique, une expression de la sagesse populaire.
Autre exemple:
Chat échaudé craint l’eau froide.
On pourrait dire qu’un chat tombé dans l’eau chaude (c’est-à-dire un chat échaudé) a définitivement peur de l’eau, même de l’eau froide. Autrement dit, une mauvaise expérience rend excessivement méfiant, excessivement prudent.
Concernant le proverbe, il est davantage d’ordre humain en général, d’ordre moral. En ce sens, on peut dire que qui vivra verra est un proverbe. L’homme découvrira l’avenir au cours de sa vie, au fur et à mesure de son parcours. C’est une philosophie de la confiance. Un abandon optimiste. On verra bien!
Autre exemple, de moralité celui-ci:
Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger!
Mais revenons à nos moutons!
En grammaire
Les verbes vivre et voir ne sont pas sans intérêt.
Commençons par le verbe vivre et tous ses aspects.
Indicatif présent: je vis, tu vis, il vit, nous vivons, vous vivez, ils vivent
Participe passé: j’ai vécu – j’ai vécu en Europe pendant pas mal de temps
Futur simple: je vivrai, tu vivras, qui vivra verra, nous vivrons, vous vivrez, ils vivront
Les autres conjugaisons de vivre sont conformes aux règles de base.
Soulignons que je vis, tu vis, il vit est aussi le passé simple du verbe voir :
je vis, tu vis, il vit, nous vîmes, vous vîtes, ils virent.
Je me promenais dans la forêt tranquillement, quand soudain je vis un chevreuil traverser le chemin sans faire la moindre attention à moi.
Le verbe voir a aussi ses particularités, en effet.
Au présent de l’indicatif :
je vois, tu vois, il voit, nous voyons, vous voyez, elles voient
Au futur simple (indicatif):
je verrai, tu verras, il verra, nous verrons, vous verrez, elles verront
Reportez-vous aux LETTRES précédentes R comme… riquiqui, S comme… un stratagème, T comme… attirant, et U comme… un ou une m’as-tu-vu concernant les sous groupes de verbes irréguliers.
L’emploi
Le sens de qui vivra verra est nuancé. On peut l’employer avec légèreté, de manière insouciante, sur le ton de quelqu’un qui ne s’embarrasse pas trop de principes dans la vie. Quelqu’un qui n’a pas d’inquiétude à propos de son avenir. Et puis, à l’opposé, qui vivra verra peut être alarmant, concernant un avenir incertain, un futur noir de toute façon; mais qu’il faut affronter. Ce deuxième sens apparaît dans un poème de Louis Aragon, mis en musique et interprété par Jean Ferrat.
QUI VIVRA VERRA
Poème de Louis Aragon
Dans les premiers froids de Madrid, j'habitais la Puerta del Sol Cette place, comme un grand vide, attendait quelque nouveau Cid Dont le manteau jonchât le sol et recouvrît ces gueux sordides Qu'on jette aux mendiants l'obole, montrez-moi le peuple espagnol Qui vivra verra, le temps roule roule Qui vivra verra quel sang coulera ? Passant les bourgs de terre cuite, les labours perchés dans les airs Sur un chemin qui fait des huit Comme aux doigts maigres des jésuites Leur interminable rosaire, le vent qui met les rois en fuite Fouette un bourricot de misère vers l'Escorial-au-Désert Qui vivra verra, le temps roule roule Qui vivra verra, quel sang coulera ? D'où se peut-il qu'un enfant tire ce terrible et long crescendo ? C'est la plainte qu'on ne peut dire, qui des entrailles doit sortir La nuit arrachant son bandeau, c'est le cri du peuple martyr Qui vous enfonce dans le dos le poignard du cante jondo Qui vivra verra, le temps roule roule Qui vivra verra, quel sang coulera ? Qu'au son des guitares nomades, la gitane mime l'amour Les cheveux bleuis de pommade, l'œil fendu de Schéhérazade Et le pied de Boudroulboudour, il se fait soudain dans Grenade Que saoule une nuit de vin lourd, un silence profond et sourd Qui vivra verra, le temps roule roule Qui vivra verra quel sang coulera ? Il se fait soudain dans Grenade Que saoule une nuit de sang lourd, une terrible promenade Il se fait soudain dans Grenade un grand silence de tambours.