Françoise Le Roux
La grammaire
Nous sautons de la lettre V à la lettre X dans notre alphabet pour la bonne raison que le W (le double v) n’est entré dans l’alphabet français que relativement récemment. Le dictionnaire Le Grand Robert la reconnaît comme 23e lettre de l’alphabet en 1964 seulement. Elle appartient aux langues du Nord et ne concerne en français que des mots empruntés à ces langues avec leur orthographe et leur prononciation d’origine.
Vous pouvez trouver quelques tentatives d’exploiter la lettre W couramment passée en français dans ces deux éditions de La LETTRE de Françoise: W comme…Waouh! et W comme dans… la Wallonie
Quant au X, lui, il est depuis belle lurette (depuis longtemps), présent dans notre alphabet. Il apparaît, entre autres, dans le mot mieux.
Mieux est le comparatif de bien. C’est bien, c’est mieux.
Au superlatif, c’est très bien ou c’est le mieux
Mieux est un adverbe, il est donc invariable, c’est-à-dire sans masculin ni féminin, sans singulier ni pluriel. De même, le mieux est adverbial, comme pour le mieux (faites pour le mieux), au mieux (faites au mieux).
Pour aller de Paris à Lyon, le mieux, c’est de prendre l’autoroute A6.
Il est presque impossible de faire disparaître la tache sur ce vêtement, faites au mieux, (ou faites de votre mieux).
Il peut s’accompagner d’un autre adverbe pour se renforcer: c’est bien mieux, c’est beaucoup mieux, ou à l’inverse, ce n’est pas mieux, pas beaucoup mieux.
Par exemple :
Le malade va beaucoup mieux après un traitement énergique. Il va chaque jour de mieux en mieux maintenant. La guérison sera rapide.
Pour exprimer la comparaison, on dit ‘mieux que…’.
J’aime mieux l’été que l’hiver. Le béret convient mieux aux Français que le chapeau melon des Anglais.
Un autre exemple est employé dans la conception divine du monde selon le philosophe allemand Leibnitz:
Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Une vision naïve, selon Voltaire, lequel s’empresse d’y ajouter malicieusement un bémol dans Candide:
Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.
Dans la sentence proverbiale le mieux est l’ennemi du bien, mieux est employé comme un nom masculin (le mieux). Cela nous renvoie encore une fois à Voltaire dans un conte moral intitulé La Bégueule (dans Les Contes en vers – 1772)
Une bégueule désigne une femme exagérément prude qui se donne des airs de vertu. Au temps de Voltaire, c’était surtout une femme méprisante et éternellement insatisfaite, se croyant au-dessus de tout et de tous. Voltaire donne ici une leçon de morale à la belle Arsène, dite la bégueule.
Le conte est assez long, mais en voici la trame en quelques extraits
La bégueule
Dans ses écrits, un sage Italien Dit que le mieux est l’ennemi du bien; Non qu’on ne puisse augmenter en prudence, En bonté d’âme, en talents, en science ; Cherchons le mieux sur ces chapitres-là ; Partout ailleurs évitons la chimère. (l’illusion) Dans son état, heureux qui peut se plaire, Vivre à sa place, et garder ce qu’il a ! Or ce n’était pas la sagesse de la belle Arsène... Elle était jeune ; elle avait à Paris Un tendre époux empressé de complaire À son caprice, et souffrant son mépris. (supportant son mépris) Toutefois, rien ne la comblait. Jamais contente, elle voulait toujours plus. Or elle avait pour marraine une fée à qui elle demanda... « Je veux aller à la sphère divine : Faites-moi voir votre beau paradis » Elle s’y ennuya rapidement. Pas d’hommes à tyraniser ! « Dans ce palais point de barbe au menton ! À quoi, dit-elle, a pensé ma marraine ? Point d’homme ici ! Suis-je dans un couvent ? Je trouve bon que l’on me serve en reine ; Mais sans sujets la grandeur est du vent. J’aime à régner, sur des hommes s’entend (bien sûr) ; Ils sont tous nés pour ramper dans ma chaîne : C’est leur destin, c’est leur premier devoir ; Je les méprise, et je veux en avoir. » Elle s’échappa du paradis de la fée pour revenir chez elle, rencontra un rustaud auquel, effrayée à la tombée de la nuit, elle demanda de l’héberger. « Çà, donnez-moi votre bras, ma mignonne ; On recevra ta petite personne Comme on pourra. J’ai du lard et des œufs. Toute Française, à ce que j’imagine, Sait, bien ou mal, faire un peu de cuisine. Je n’ai qu’un lit ; c’est assez pour nous deux. » Disant ces mots, le rustre vigoureux D’un gros baiser sur sa bouche ébahie Ferme l’accès à toute répartie ; Arsène appela au secours sa marraine la fée qui survint par magie « Vous voyez bien, dit-elle à sa filleule, Que vous étiez une franche bégueule. Ma chère enfant, rien n’est si périlleux Que de quitter le bien pour être mieux. » Moralité La leçon faite, on reconduit ma belle Dans son logis. Tout y changea pour elle En peu de temps, sitôt qu’elle changea. Pour son profit elle se corrigea.
Une illustration
Claude Lelouch a fait un film, sorti en salles en 2022, dont le titre est L’amour est mieux que la vie. En voici le pitch :
Gérard, Ary et Philippe se connaissent depuis 20 ans, à une époque où ils étaient en prison. Ils ont choisi alors de devenir honnêtes ‘avec l’aide de Dieu’. Mais Gérard souffre maintenant d’une maladie létale. Désespérés pour leur ami, Ary et Philippe lui offrent une dernière histoire d’amour, par un stratagème peu banal, puisque, selon Gérard, l’amour, c’est mieux que la vie, comme il a l’habitude de le répéter. Voici un extrait d’une des premières scènes
Ary et Philippe : Bonjour mademoiselle.
Une hôtesse : Messieurs
Ary : Bonjour, on a rendez-vous avec madame Sandrine Massaro.
L’hôtesse : Je crois qu’elle vous attend au fond du restaurant, Monsieur.
Les deux : Merci beaucoup. Merci.
Philippe (en aparté) : Avec une femme de ménage comme ça, je ne bouge pas de la maison.
Les trois : Bonjour
Ary : Vous êtes Sandrine Massaro?
Sandrine : Oui, tout à fait. C’est avec moi que vous avez rendez-vous.
Ary : Super.
Sandrine : Hé bien, écoutez, avec le confinement, le restaurant est vide, donc on va pouvoir se mettre là où on veut. Là?
Philippe : Parfait, très bien.
Sandrine : Vous voulez boire quelque chose?
Philippe : Volontiers. Qu’est-ce que tu bois, toi?
Ary : Moi, je prends un Coca
Philippe : Et puis moi une eau plate, ça m’ira.
Sandrine : Cécile, un coca et une eau plate pour ces messieurs
Cécile : Je vous l’apporte
Sandrine : Et moi, je voudrais mon petit Martini.
Sandrine : Installez-vous.
Le pianiste : Le piano ne vous dérange pas?
Sandrine : Non. Alors excusez-moi, mais j’ai juste pas très bien compris ce que vous me demandiez par téléphone.
Philippe : Bon
Sandrine : Est-ce que c’est pour vous deux? Ou est-ce que c’est pour un ami?
Les deux : Non, non, non. C’est pour un ami
Philippe : En effet, c’est pour un ami qui nous est très, très cher, voilà.
Sandrine : Et vous voulez quoi au juste ?
Ary : J’avoue qu’on vient un peu vous demander l’impossible, mais…
Sandrine : S L’impossible a toujours un prix.
Philippe : Bon! En fait, c’est simple, voilà. Notre ami, il va… il va bientôt nous quitter. Il lui reste quelques mois, quelques semaines, je ne sais pas, et nous on aimerait lui offrir… pas une nuit, mais sa dernière histoire d’amour. Parce qu’il nous a toujours dit que l’amour c’est mieux que la vie.
Sandrine : Et vous, vous pensez que l’amour, c’est mieux que la vie?
Philippe : Maintenant, oui. En fait, il passe son temps à répéter que tout ce qu’on fait dans la vie de bien ou de mal d’ailleurs, c’est pour aimer ou pour être aimé. Alors je dis que l’amour, même quand ça fait mal, c’est mieux que la vie.
Sandrine : S’il faut l’accompagner jusqu’au bout, ça va vous coûter cher.
Ary : Oui, ben, pour ça, c’est pas un problème. Non, s’il arrive à croire à cette histoire, alors ça n’a pas de prix, madame.
Sandrine : Moi, je peux lui donner le parfum de l’amour mais pas l’amour. Il est célibataire?
Philippe : Il est célibataire veuf. Mais surtout malade.
Sandrine : Mais s’il est malade, c’est peut être une infirmière qu’il faudrait?
Philippe : Oui, enfin, pas que…
Sandrine : Il a quel âge ?
Philippe : Il a la soixantaine.
Ary : Bon, enfin, la belle soixantaine. C’est un beau mec. Il plaît beaucoup aux filles.
Philippe : Vous voulez le voir en photo ?
Sandrine : Oui, je veux bien. Oui, c’est un peu jeune pour partir, la soixantaine?
Philippe : Voilà c’est lui.
Ary : Là, il est un peu plus jeune.
Sandrine : Ah oui!
Philippe : Il est toujours aussi sexy.
Sandrine : Oui, il est beau gosse.
Philippe : Ben oui.
Ary : C’est pour ça qu’il mérite vraiment…
Sandrine : Mais, dites-moi, s’il plaît tant aux femmes, pourquoi vous faites appel à moi?
Philippe : Parce que lui, c’est que, comme il sait qu’il ne lui reste pas beaucoup de temps à vivre, il n’aura pas le courage de se lancer dans une histoire d’amour.
Sandrine : Et vous le voyez comment ce miracle ?
Philippe : C’est-à-dire, dès que vous avez choisi la personne adéquate, on vous donnera son emploi du temps. On vous dira tous les endroits qu’il fréquente. Et puis, après, la personne que vous aurez choisie pour le voir… le rencontrer.
Ary : Par exemple, il a toujours vécu à Montmartre et il adore ce coin-là. Il y passe ses journées, il connaît toutes les rues par cœur. Si, par exemple, la femme que vous aurez choisie peut se rendre, un matin, dans le café ou il prend tous les jours son petit dèje, ça, par exemple, ça pourrait être le début d’un joli petit miracle, non?