La Périchole est un opéra de Jacques Offenbach présenté en 1868. C’est un opéra bouffe, de l’italien buffo qui signifie qui est ridicule, qui prête à rire. C’est l’opposé de l’opéra tel qu’il a été créé à l’époque de Monteverdi, lequel se termine toujours tragiquement.
Il y avait eu au dix-septième siècle la querelle des Bouffons opposant la composition musicale italienne à la composition française. Jean-Jacques Rousseau, prenant le parti de la musique italienne, en parlait comme d’un modèle de chant, d’unité de mélodie, de dialogues et de goût.
Offenbach compose des rythmes entraînants, telle une séguedille, danse espagnole d’origine andalouse apparue au XVII siècle. Au début de La Périchole, un couple de chanteurs, La Périchole et Piquillo, chante une séguedille dans la rue, pour gagner son pain. Voici une version chantée par Sheila et Marcel Amont.
Piquillo
Vous a-t-on dit souvent “Ecoutez-moi la fille” ?
Vous a-t-on dit souvent que vous étiez gentille ?
La Périchole
On me l’a dit vraiment mille fois plutôt qu’une
On me l’a dit vraiment, bien des fois à la brune,
Piquillo
Si l’on vous le disait, en promettant merveille
Si l’on vous le disait, fermeriez-vous l’oreille ?
La Périchole
Monsieur ça dépendrait, on dit tout quand on cause
Monsieur ça dépendrait d’une certaine chose
Les deux
Quelle chose ? Une chose – Quelle chose ? Une chose
Ah… En avant vite, vite, ma mule va grand train
Et n’allons pas si vite, n’allons pas si grand train
Sur cet air-là petite, on doit faire du chemin
Sur cet air-là petite, tu ferais trop de chemin
Hop là, hop là, hop là, hop là, hop la la
Sur cet air-là petite, on doit faire du chemin
Hop là, hop là, hop là, hop là, hop la la
Sur cet air-là petite, tu ferais trop de chemin
Piquillo
Si l’on te promettait… Dieu! Comme je m’engage !
Si l’on te promettait le joli mariage ?
La Périchole
Oui ça me suffirait, si l’offre était sincère
Oui cela suffirait, cela pourrait se faire
Piquillo
Alors embrassons-nous, oh ma belle Andalouse
Alors embrassons-nous, dès demain je t’épouse
La Périchole
Tout doux, hé là tout doux, monsieur, pas de bêtise!
Tout doux, hé là tout doux, car je suis déjà prise
Les deux
Déjà prise ? Déjà prise ! Déjà prise ? Déjà prise !
Ah…
Et voici une autre version chantée par Nana Mouskouri et Thierry Le Luron. Faites-vous votre idée! Il en existe de nombreuses autres versions et l’oeuvre est toujours mise en scène de nos jours.
Dans les années 1850 à 1870, nous sommes sous le second empire, le règne de Napoléon III, un neveu de Napoléon 1er qui fait évoluer le régime autoritaire vers davantage de libéralisme, mais qui n’entretient pas moins l’esprit du colonialisme, au Mexique par exemple.
Pour ne pas critiquer trop ouvertement l’empereur, Offenbach situe l’action au Pérou.
ACTE I
Le vice-roi donne une fête au peuple et offre à boire gratuitement à ceux qui disent du bien de lui. C’est l’air de l’Espagnol et la jeune Indienne, où il faut lire entre les lignes pour comprendre que le colonialisme est partout de la même nature. Tout est mélangé ici de manière grotesque: le conquérant est espagnol, mais le mot fatma, qui désigne la jeune indienne, était utilisé pour une femme arabe, une domestique, dans le français d’Afrique du Nord, au temps de la colonisation. Le conquérant se voit comme un être noble et respectable, mais il tutoie la jeune fille et appelle sa famille ta tribu sauvage.
Le conquérant dit à la jeune Indienne :
«Tu vois, Fatma, que je suis ton vainqueur
Mais ma vertu doit respecter la tienne,
Et ce respect arrête mon ardeur.Va dire, enfant, à ta tribu sauvage,
Que l’étranger qui foule ici son sol,
A pour devise : Abstinence et courage !
On sait aimer, quand on est espagnol ! »À ce discours, la jeune Indienne, émue,
Vers son vainqueur soulève ses beaux yeux ;
Elle pâlit et chancelle à sa vue,
Car il lui plaît, ce soldat généreux.
Un an plus tard, gage de leur tendresse,
Un jeune enfant dort sous un parasol
Et ses parents chantent avec ivresse :
« Il grandira, car il est espagnol ! »
C’était en France l’époque des fêtes impériales luxueuses données par l’impératrice, Eugénie de Montijo, issue d’une grande famille espagnole.
L’on dit que cette impératrice Eugénie, qui avait la réputation de favoriser les Espagnols à la cour, fut contrariée de Il grandira car il est espagnol.
Or donc le Vice-Roi est dans la foule incognito pour espionner ce qu’on dit de lui. Il tombe sous le charme de la pauvre musicienne des rues épuisée par la faim, endormie pendant que son compagnon tente de gagner de l’argent un peu plus loin. Le souverain veut aussitôt en faire sa maîtresse et l’invite au Palais. Désespérée, elle accepte et fait une lettre d’adieu à Piquillo.
À partir de ce moment-là Offenbach transforme le rire en une satire tragique: celle des gens de pouvoir qui affament le petit peuple. Cet air s’appelle L’AIR DE LA LETTRE.
Oh mon cher amant je te jure
Que je t’aime de tout mon coeur,
Mais vrai, la misère est trop dure,
Et nous avons trop de malheurs !
Tu dois le comprendre toi-même
Que cela ne saurait durer
Et qu’il vaut mieux. Dieu que je t’aime !
Et qu’il vaut mieux nous séparer !
Crois-tu qu’on puisse être bien tendre
Alors que l’on manque de pain,
A quels transports peut-on s’attendre,
En s’aimant quand on meurt de faim !
Je suis faible, car je suis femme,
Et j’aurai rendu quelque jour,
Le dernier soupir, ma chère âme,
Croyant en pousser un d’amour !
Ces paroles-là sont cruelles,
Je le sais bien, mais que veux-tu ?
Pour les choses essentielles,
Tu peux compter sur ma vertu !
Je t’adore si je suis folle,
C’est de toi, compte là-dessus,
Et je signe la Périchole,
Qui t’aime mais qui n’en peut plus !
ACTE II
Il est écrit dans la Constitution de ce pays fantasque que, pour épouser le Vice-roi, une femme doit avoir déjà un mari. Les ministres cherchent donc un brave homme qui veuille bien accepter d’épouser la Périchole. Il mettent la main sur Piquillo, le font boire et l’emmènent célébrer la noce. Aïe! aïe! aïl! Piquillo reconnaît son amoureuse (s’il ne sont pas encore mariés, c’est qu’ils sont trop pauvres. Peut-être le mariage est-il taxé, qui sait?) Elle veut lui expliquer qu’ils peuvent tirer parti de la situation, profiter de la nourriture et des riches cadeaux, qu’elle ne cèdera pas au roi, et que, après les fêtes, ils s’en iront tous les deux. Piquillo proteste. On le met en prison. La Périchole est irritée: Mon Dieu! que les hommes sont bêtes!
Que veulent dire ces colères
Et ces gestes de mauvais ton?
Sont-ce là, monsieur, les manières
Qu’on doit avoir dans un salon?
Troubler ainsi l’éclat des fêtes
Dont je prends ma part pour ton bien!
Nigaud, nigaud, tu ne comprends donc rien?
Mon Dieu! Que les hommes sont bêtes!Comment? Tu vois que j’ai la chance
Et tu veux tout brouiller ici!
Manquerais-tu de confiance?
C’est un défaut chez un mari.
Laisse-les donc finir, ces fêtes,
Et puis après tu verras bien…
Nigaud, nigaud, tu ne comprends donc rien?
Mon Dieu! Que les hommes sont bêtes!
ACTE III Finale
Tout finit par s’arranger. Ils sont d’abord mis en prison tous les deux mais le Vice-Roi pardonne. Et comme on dit En France tout finit en chanson. C’est la reprise du début. Il grandira, car il est Espagnol!