Version Ralentie
‘Cet amour-là’, et pas un autre justement, est à divers égards, hors du commun.
‘Cet amour-là’, tel est le titre du film de Josée Dayan qui vient juste de sortir sur les écrans français.
Le film est l’adaptation d’une autobiographie de Yann Andréa, lequel a partagé la vie de Marguerite Duras, femme de lettre, pendant plus de 16 ans et jusqu’à ce qu’elle meure.
Il devait avoir 26 ans, elle en avait 66 au début de leur relation. A la mort de Duras, Yann revit des années de passion, sublimes et douloureuses. C’est l’origine du livre.
A l’origine du film se trouve Jeanne Moreau, une grande dame du cinéma:
…J’ai très bien connu Marguerite Duras pendant une période assez longue
et puis Josée Dayan, metteur en scène, intéressée par un tournage avec Jeanne Moreau:
Simplement, on avait ce désir de faire un film ensemble, et il fallait que le sujet, en tout cas à nos yeux, soit digne de cette envie. Et c’est vrai que quand Jeanne m’a proposé cette histoire-là, moi, j’ai été bouleversée, voilà.
On entre en effet dans l’intimité délirante, hors du temps, hors des normes, de deux êtres rares qui vivent une relation d’exception.
Duras est dans une période de solitude et elle a pratiquement arrêté d’écrire avant de rencontrer Andréa: la grande romancière, auteur du Marin de Gibraltar, n’arrive plus à écrire que quelques articles de journalisme. Yann, un jeune admirateur, avide lecteur de ses romans, parvient à percer les barrières d’isolement que Duras avait construites autour d’elle, et il devient la source d’une nouvelle période d’inspiration artistique.
Quant à la différence d’âge…
Je crois que ça s’est pas posé entre eux. C’est une chose qui… Elle, elle a dû y penser. Elle, elle a dû y penser et c’est, sans arrêt, sans doute la raison pour quoi sans arrêt elle lui dit: est-ce que vous m’aimez?
Mais comme ils ont vécu enfermés, pas tout le temps, tout le temps. Ils avaient des amis, mais ce sont des gens à part, quand même, c’est pas… Elle s’en foutait, et lui aussi quelque part, il s’en foutait. Mais c’est ça qui a donné naissance à l’écriture, parce qu’il faut pas oublié que quand il l’a vue, elle écrivait pas, hein et peut-être que l’usure due à l’alcool commençait à faire son travail… Donc il est arrivé au moment où elle était, si je puis dire, à sec devant sa page blanche, et ça a donné le sursaut. C’est pour cela que, au delà de l’amour, ça a donné un enfant, ça a donné les livres qui l’ont rendue célèbre dans le monde entier, qui lui ont fait gagner un fric fou. Quand elle dit; ‘Allez, on a besoin de gagner de l’argent pour cet hiver, on va écrire un livre, allons, on y va.’
Jeanne Moreau est une actrice subtile, intelligente et belle. Orson Welles l’a appelé la meilleure actrice du monde. La vedette de Jules et Jim et de Le Procès est peut-être la seule actrice en France aujourd’hui ayant l’envergure et la finesse nécessaire pour jouer Duras à cet âge avancé de sa vie.
L’ironie est que c’était bien plus difficile de trouver l’homme qui devait jouer en face d’elle. Après l’avoir beaucoup cherché, Josée Dayan a fini par trouvé l’acteur idéal en la personne d’Aymeric de Marigny:
J’ai eu beaucoup de mal à trouver l’interprète pour interpréter Yann, parce que justement je voulais quelqu’un qui ait la particularité d’Aymeric. C’est l’aptitude à écouter, l’aptitude à… qu’on puisse imaginer qu’il puisse comprendre les livres de Duras. Qu’on puisse imaginer qu’il a à la fois cette discrétion et cette émotion en rencontrant ce personnage qui l’a fasciné depuis 5 ans, sur lequel il a fantasmé et à la fois qu’il existe vraiment sans servilité, qui ait pas la moindre ambiguïté sur une possibilité de gigolo ou autre. Je voulais qu’il y ait une relation magnifique, comme celle qu’il y a eu entre Yann et Marguerite. Je voulais donc quelqu’un qui dégage cette… à la fois cette pureté et ce calme placide, voilà.
Alors, ce film-là épousa totalement cet amour-là, jusqu’à l’osmose. Interrogé sur son rôle, Aymeric répond sans hésiter:
J’ai eu vraiment l’impression de le vivre, et de toute façon, je crois que Jeanne ne m’aurait pas laissé jouer le rôle…
Moi non plus
… et Josée encore moins.
Jeanne Moreau explique ce comportement qui peut paraître étrange:
J’ai oublié complètement Marguerite comme je vous le disais, et vraiment ce qui m’a nourri tout le temps pendant la préparation du film. C’est vraiment tout ce qu’elle a écrit, tout ce qu’elle a écrit et tout ce que Yann a écrit.
Mais… j’ai pas pensé à jouer. Je dis très souvent que mon ambition au fur et à mesure que les années passent, c’est d’arriver à l’oubli de soi-même, de moi-même, le lâcher-prise, d’être un espèce de tuyau d’arrosage, entretenir le tuyau d’arrosage pour qu’il ne soit pas bouché… et que ça traverse. Voyez? C’est pas à la mentale*… C’est une espèce… On emploie pour les poètes au dix-huitième, dix-neuvième siècle, on dit: l’inspiration. Moi j’y crois beaucoup.
Concrètement pendant le tournage, les scènes ont été pour ainsi dire vécues jour après jour, en 4 semaines, le plus souvent avec des prises de vue uniques, sans reprises.
Ça a été tourné dans l’ordre, du début à la fin. J’étais dans une vie à part. Et ce qui m’a beaucoup aidé, c’est que Josée ait rencontré et choisi Aymeric, parce que Aymeric n’a pas de passé pour moi. J’avais pas d’images projetées de films qu’il avait pu faire, voyez où… Personne ne m’a dit: il est comme ci, il est comme ça. On s’est rencontrés tous les deux, comme si… bon… comme on fait dans la vie, quoi, voyez?
Présence! Il y a une relation de corps à corps et d’âme à âme…
Bien inspirée, traversée, Jeanne Moreau est Marguerite Duras. Elle partage et veut faire partager l’expérience.
J’espère qu’un jour vous vivrez ça…