Version Ralentie
C’est certain que les hommes ont peur de leur bonheur et le fuient, j’interviens. Pour supporter ma condition d’être humain, moi j’écris, moi j’écris, voilà le sens de ma vie. Et je crie, et je crie que j’écraserai toutes les fourmis!
C’est certain que les hommes ont peur de leur bonheur et le fuient, j’interviens. Pour supporter ma condition d’être humain, moi j’écris, moi j’écris, voilà le sens de ma vie. Et je crie, et je crie que j’écraserai toutes les fourmis!
‘Le slam’ c’est la poésie récitée par les amateurs pour les amateurs. Au cours de cette soirée-là, une quarantaine de slameurs s’expriment tour à tour. Ces derniers disent leurs textes, leurs poèmes, par coeur ou bien en les lisant, des fois en improvisant. Ils expriment leurs envies, leurs regrets, leur colère, leur humour aussi, avec talent et sincérité:
Je suis devant le mot poésie
Je regarde le mot poésie
Je ne vois rien
Je n’entends rien, je regarde visuel
Je ne vois rien. Je n’entends rien. Je convoque mon souffleur. Je lui s? sonore.
Je ne le vois pas mais je sais qu’il regarde ailleurs. Il regarde action. Je suis seul immobile avec mon s? qui ne me s? rien sauf des trucs illisibles par exemple : n?., et d’autres encore?. l’in.. fini. Je? sonore. Pas bien loin de poésie. Brièvement j’entends poésie sonore, mais ça ne tient pas.
Je s? au fond de mes ?. Je ? rien.
ou encore
Ils vont se succéder sur la scène toute la soirée sous l’impulsion de Marco. Chacun n’a que cinq minutes pour s’exprimer. C’est un format qui vient de l’étranger:
Ça vient des Etats-Unis, ça vient de Chicago. C’est américain, mais nous on l’a retraduit à notre version française et adapté à ce qu’est Lyon, quoi, mais aussi à tout ce qui peut se faire en France, quoi. Effectivement les Américains ont inventé ça mais nous n’avons pas la même langue, les Américains parlent pas le français, les Français parlent très peu l’anglais et inévitablement ça donne autre chose qui ressemble à ce qu’on est nous, quoi.
Marco réinvente le slam. Depuis 97 il en redéfinit les règles à son idée:
Section Lyonnaise des Amasseurs de Mots, la Camaria, c’est 5 minutes par personne sans support musical en s’inscrivant avant et puis on dit ce qu’on veut comme on a envie, et derrière* on boit un coup, voilà, en gros c’est ça. Un texte égale un verre, cinquante textes égalent un verre. C’est pas une tribune beuverie. C’est plutôt un endroit où on vient s’exprimer.
Librement, s’exprimer librement. Mais pourquoi dans ce cas, empêcher les gens de s’exprimer plus de cinq minutes ? Pourquoi cette obligation de s’inscrire aussi ?
Pourquoi ? Parce que moi, venant du rap, je sais, venant du Hip Hop je sais exactement comment ça va finir : les plus bavards garderont le micro et il faudra leur arracher à quatre*, et les autres ne pourront pas s’exprimer. Cinq minutes. Pas plus. Merci. Et on ne vient pas au dernier moment alors que tous les autres font la queue. Moi je ne supporte pas dans une boulangerie qu’on passe devant moi si je suis le quatrième. Pour plusieurs raisons. La première c’est que quand je rentre dans une boulangerie, j’ai faim, donc j’aimerais bien manger le plus vite possible. La deuxième, c’est que je respecte les autres et que je ne supporte pas qu’on me respecte pas. La troisième c’est que le temps c’est de l’argent, mais celle-là, c’est bien la troisième quand même?
Ce qui frappe immédiatement c’est la diversité des profils.
Certains sont en sciences du langage, d’autres ont fait du graphe*, sciences po*, d’autres sont comédiens en formation, d’autres ont été journalistes, d’autres ont écrit des nouvelles et d’autres ont zéro diplômes comme moi, sortent de nulle part. On va dire que plus de 50% est issu de rap, pas du rap en tant que rap mais du Hip Hop. Moi j’ai été un des premiers à monter le Hip Hop à Lyon en 79, c’est vieux. Et effectivement, je ne renie pas d’où je viens, quoi. Mais ce qui m’intéresse c’est le biais de l’écriture.
Et le dénominateur commun?
L’amour du mot, et le fait que personne ne se connaissait il y a 12 mois, le fait que tout le monde a scotché* tout le monde. Donc il y a un équilibre existant et réel, ce qui fait qu’il y a une certaine unité pour aller dans le même sens, mais bon, c’est un collectif d’individualistes, hein !
Il n’y a pas de double emploi dans la section. Chacun est différent. Chacun a un concept différent, ce qui fait qu’on a un acamédicien*, on a un poéturien*, un lyriciste*, moi je suis un bavardeur*.
Certes on violente un peu les mots? mais n’est-ce pas un juste retour des choses? Pourquoi les laisser au plaisir des seuls académiciens qui font des règles ? Et si on contournait ces règles, messieurs les aca?médiciens, médecins. Le langage n’est pas malade. Il est au contraire plein de vie. Il est brave et plein d’ardeur?
Je ne suis qu’un bravardeur qui se perd dans le noir sans cafard? qui aime le sordide romantique, le ludique lubrique, les fleurs qui poussent en Balnavie, les lyricistes existentiels, les acamédiciens plus de cinq minutes, les poéturiens semeurs de discorde et les ex-statiques qui pulvérisent par versatilité les records de vitesse par leurs verves amasseuses de mots.
Il y a des choses qui nous irritent et qu’on ne peut pas s’empêcher de dénoncer. Alors évidemment, on ne fait pas partie de donneurs de leçons qui ont toujours une solution mais ce que nous n’aimons pas nous le dénonçons systématiquement. Nous ne laissons jamais passer*. Donc effectivement la télé-poubelle, les réactionnaires qui viennent de prendre le pouvoir il y a quelque temps, nous irritent tout autant que les pollueurs de cette planète, tout autant que des tas de choses invraisemblables qui existent au jour le jour et que nous sommes obligés de subir, voilà.
Donc pour moi ça reste un contre-pouvoir verbal et une des dernières aires de liberté. Le slam est gratuit, le fait de monter aussi. Toute personne peut s’exprimer, donc on règle le problème sous cet angle-là, au moins. C’est la seule chose qu’on peut faire d’ailleurs.
Je n’ai besoin de personne en Harley Davidson?
Je ne reconnais plus personne en Harley Davidson?
Je vais à plus de 100
Et je me sens à feu et à sang
Peu m’importe de mourir les cheveux dans le vent?
Comme Brigitte Bardot sur sa Harley Davidson, nous fonçons, nous fonçons,
Respirons cet air nouveau, inhalons cette alchimie envahissante.
Nous fonçons, le monde est une découverte incessante?
On s’aime, on sème et on continue :
On a été à Nantes, à Saint-Brieux, on a été dans le Pas-de-Calais, à côté de Lille, on va à Genève, là on part à Lausanne, de partout les gens ont envie, ont soif, ont envie d’écouter. Alors il y a un petit phénomène de mode mais je crois que ça va devenir autre chose qu’une mode au bout d’un moment, parce que tout le monde prend la parole partout où on passe, quoi. Et nous notre délire c’est de l’installer partout où on va jusqu’à ce que ceux du coin se l’approprient et qu’on recommence ailleurs, quoi. Qu’ils nous mettent dehors, quoi ! En gros c’est le but recherché, c’est celui-là. C’est-à-dire qu’on veut être comme une maladie extrêmement contagieuse. La peste verbale. Mais la bonne, hein? pas celle qui tue. Enfin celle qui tue*, qui donne l’émotion, qui donne envie de rire, de taper dans les mains, de reboire un verre, etc. quoi?
Nous, ce qui nous intéresse par rapport à ça, c’est que on est heureux que la personne soit montée donc, soyons conviviaux, invitons-les à boire un coup avec nous et il est évident qu’on peut boire de l’eau plate. Mais invitons-les à partager un verre avec nous, puisqu’ils sont montés, ils ont eu le courage de le faire. C’est de la convivialité en ce qui nous concerne, hein.