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Il y en a un qui me plaît beaucoup c’est «L’été indien», qui est pas très connu, mais c’est l’histoire d’une femme qui a épousé un officier de la marine nationale et son mari va être nommé, après la guerre, aux États Unis pour reprendre des bateaux américains qui ont été accordés à la France, en Angleterre et tout ça. Et là-bas, lui, il va rencontrer une Américaine, bien-sûr. Et elle le sait pas, mais elle a l’occasion d’aller là-bas parce que son père étant commandant de paquebot, elle a une place. Donc elle va là-bas, et elle va découvrir le pot aux roses. Et donc elle est furieuse, bien sûr, et elle va revenir, elle va reprendre le même paquebot, et là elle fait une lettre à son mari pour dire «c’est fini,il y en a ras-le-bol, c’est terminé» et là – extraordinaire au milieu de l’Atlantique – elle déchire la lettre. Parce qu’elle sait que -je l’ai senti comme ça- elle sait que c’est… que le marin, c’est vrai, il y a l’attirance et tout ça, parce que ça fait plusieurs mois qu’il est parti, c’est profondément humain, et là elle va déchirer la lettre parce qu’elle sait que quand il va revenir, ça sera fini.
René Moniot-Beaumont nous fait partager son amour pour les oeuvres de Roger Vercel. Et si on est mordu de littérature maritime, ou si on cherche à l’être, il faut se précipiter à St-Gilles-Croix-de-Vie pour passer un après-midi en compagnie de M. Moniot-Beaumont. Cet ancien marin a en effet un enthousiasme contagieux pour son sujet ; il a des connaissances inépuisables; et le comble est que sa propre histoire est aussi belle que les romans qu’il nous raconte.
Quand on rentre dans la marine, on y rentre soit parce qu’on est obligé, parce qu’il faut bien manger et travailler et donc, ça c’est en Bretagne, et puis vous avez des gens comme moi ils y rentrent parce qu’ils ont beaucoup lu et donc ils veulent être marins sans avoir… moi j’ai vu la première fois la mer à St-Gilles-Croix-de-Vie à 12 ans, vous voyez, je savais même pas comment c’était fait. Et j’ai fait 25 ans dessus.
Ma mère travaillait aux éditions Denoël et j’avais beaucoup de livres de marine qui venaient -mais j’étais tout petit, tout gamin-. Et au fur et à mesure que je grandissais je lisais ces livres. C’était ‘Us et coutumes à bord des long-courriers’ par le commandant Hayet par exemple, c’est les ouvrages du commandant Lacroix, c’est certains… eh bien, c’est ‘L’île au trésor’ *, incontournable, je l’ai lu au moins quarante fois, oui, oui, oui, je le connais par coeur, c’est Jack London, c’est Mac Orlan, mais Mac Orlan un peu plus tard. Selon les âges, je suis passé dans toute la littérature maritime.
Marin et lecteur insatiable, René est bibliophile aussi. Aujourd’hui il possède 3000 beaux exemplaires de belles éditions et une connaissance parfaite de sa collection:
Quand je parle littérature je parle un peu littérature mondiale, parce qu’il y a des Brésiliens qui sont pas mauvais, des Espagnols, des Italiens, des Américains, des Anglais, bien sûr, énormément… mais on va parler de la littérature française. Alors, la littérature française dans le maritime elle démarre pratiquement aux Croisades. C’est-à-dire le premier qui commence à parler de la mer et qui commence à parler de ses expériences et de ses idées et de ses impressions c’est Joinville, le Sire de Joinville, qui est le compagnon de Saint-Louis. Donc il va écrire, quand il va être en Haute Marne, chez lui à Joinville, il va écrire l’aventure Saint Louis, et là il va y avoir un texte maritime, sur les bateaux, comment ils étaient transportés, les attaques et tout. Et c’est les premières impressions d’un gars qui n’est pas du tout marin, qui n’a rien à voir*, et il se pose la question -si mes souvenirs sont bons- il se pose la question quand Marseille disparaît, il se dit, "Ca y est, c’est fini, c’est l’enfer. Où on est partis?", il comprend plus, quoi. Alors, heureusement qu’il y a un pilote à bord qui connaît. Mais lui, il comprend plus ce qui se passe. Mais il va l’écrire.
Il y a une grande période de flou où la mer n’intéresse pas du tout la France, à défaut de l’Angleterre*, des îles Britanniques, qui eux pour manger sont obligés d’aller sur la mer, les Français pour manger ils tournent le dos à la mer et ils font des pommes de terre.
Et là, le second c’est Rabelais. Et il va rédiger un livre qui est très maritime, avec le langage du temps, et en plus il va aller voir Jacques Cartier, à St-Malo, pour lui demander des renseignements, pour dire comment ça se gouverne un bateau. Alors le quart-livre c’est complètement… ça sort de l’esprit mais c’est très maritime. Il a réussi quelque chose, avec son langage, qui est assez formidable. À partir de Rabelais, on va commencer à voir des écrivains de la mer, des grands découvreurs comme James Cook par exemple, eh bien, là ici vous avez Bougainville qui va écrire, vous avez des gens qui vont écrire leurs impressions et tout ça. Et la grande… je fais court*, mais la grande époque de la littérature maritime, du genre littéraire, c’est le 19ème siècle où là vous allez commencer par Chateaubriand, qui va, lui, écrire sur la mer et en plus qui va avoir une expérience : il va se faire attacher à un mât en traversant pour aller en Amérique, à un mât pour voir une tempête, alors il paraît que pendant plusieurs heures il prenait des vagues sur le museau* Marrant! Bon, s’il veut… Vous aurez Eugène Sue, par exemple, Eugène Sue, qui est la personne qui a écrit Les mystères de Paris, Eugène Sue c’est un officier de marine au départ et il va écrire énormément de bouquins là-dessus. Vous avez Lallendelle, vous avez des grands écrivains qui ont essayé, il y en a qui se sont même plantés*, qui n’ont pas réussi… qui ont pas senti le truc.*Vous avez Victor Hugo, qui a fait quand même aussi des choses. Jules Verne, bien sûr.
Dans ce rapide tour de l’horizon, on a écouté les grands noms de la littérature française. Mais les conseils de lectures personnelles de René sont plus insolites:
Comme marin, je vais vous citer trois auteurs marins*. Vous avez donc Édouard Peisson qui sent bien… alors moi ça me touche beaucoup parce que je retrouve mon métier, automatiquement ça me plaît beaucoup puisque ça me rappelle énormément de choses: quand il parle d’un, je sais pas… d’avarie sur les bateaux, moi j’ai connu ces trucs-là. C’est vraiment ce qu’on a vécu, c’est vraiment ce qu’on a ressenti. Hein, c’est ce que moi j’ai ressenti et quand je le lis je prends une cure de jouvence et une cure de jeunesse parce que c’est ce que j’ai senti quand je navigais. C’est vraiment ça, j’ai senti ces choses-là. Alors, ça me plaît beaucoup.
Le deuxième qui n’est pas marin, mais c’est Roger Vercel parce que Vercel il avait, il a eu le pouvoir de transcrire les émotions maritimes et alors il faisait quelque chose d’extraordinaire, il écrivait un livre et il convoquait ses amis capitaines aux long cours ou capitaines cap-horniers * ou capitaines morutiers* pour leur dire, ‘est-ce que c’est comme ça qu’il faut voir la chose?’ Et eux, corrigeaient. Et là, vous le sentez, vous sentez que c’est dedans.
J’aime bien des aventures comme celle de Moitessier par exemple. Un type original, peut-être un peu fou. Donc, ce plaisancier qui fait la course autour du monde qui gagne des courses et puis il est engagé dans la course autour du monde et au Sud, dans l’Atlantique Sud, il dit «Bon, eh bien, moi de toute façon la course j’en n’ai rien à faire*». Et là il va décréter que dans un sens la course pour lui c’est fini et il fait cap sur Tahiti et voilà. Je trouve ça, ça a du panache quand même. Il remonte pas, c’est un personnage curieux.
René constate que cet esprit un peu fou manque parmi les bestsellers d’aujourd’hui:
Ce qui est un peu malheureux c’est qu’il y a beaucoup de gens qui écrivent leur expérience, mais c’est pas assez original. C’est-à-dire que, c’est mon avis, ils pourraient donner leurs impressions, ils les donnent, mais actuellement c’est beaucoup sur la course, par exemple, qui est très bien, mais ça a perdu son… il y a le côté sportif mais il y a pas le côté maritime que des gens comme moi sentent, les émotions du marin. Parce que la marine, on peut s’amuser, il peut y avoir la course du Figaro, je trouve ça très bien, mais il y a aussi tout le reste. Il y a tous ces gens qui sont morts, il y a tout ces gens qui ont voyagé, il y a tous ces gens dont les familles ont éclaté, il y a les veuves qui étaient là, les gamins qui voulaient rentrer dans la marine, ils savaient faire que ça. Il y a toute une histoire.
Sa carrière de marin est maintenant terminée, mais pour René une nouvelle aventure est en train de démarrer:
Hein, je suis un ancien de la marine marchande, un ancien navigant au long cours, un ancien aussi affréteur de navires, à la société Shell, et maintenant préretraité et donc heureux comme un roi. Et pour occuper ma retraite, eh bien j’ai créé un site littéraire qui s’appellera Maison des écrivains de la mer. Alors, dans cette maison on mettra une très grosse bibliothèque maritime, mais de littérature, avec des livres qui soient de beaux livres. Il est pas question… on aura des livres de poche, mais ça c’est pour travailler, mais on aura de très beaux livres. C’est-à-dire que je voudrais ici qu’on fasse un peu ce qui existe à Célestin en Alsace, avec la bibliothèque humaniste, une très belle bibliothèque de littérature maritime, avec des dossiers sur les écrivains, des renseignements, les livres qui les ont inspirés, des photos, des documents, quelques objets… c’est pas un musée, c’est un site littéraire.
Comme avant-première pour son projet, René a monté une petite exposition sur les flibustiers et les pirates que l’on peut découvrir actuellement à St-Gilles. Le piratage, c’est un sujet que René connaît d’expérience :
J’ai été attaqué par les pirates aux Philippines, mais une véritable attaque. Alors, nous avec un cargo, des chargeurs réunis, et les pirates avec des pirogues, armés, et qui ont attaqué le bateau. Et comme nous on n’est pas armés, évidemment, c’est difficile, on a un malheureux révolver à bord, donc on ne fait rien. Mais coup de chance, ça a duré une heure à peu près, mais coup de chance il y a un navire de guerre philippin qui est passé à côté, et ça a arrêté l’attaque. Mais bon j’ai connu ça. J’avais 22, 23 ans, j’étais jeune lieutenant. J’étais très content, c’était, c’est une belle aventure. Le problème, c’est un peu dans le monde entier, maintenant, c’est quand vous faîtes de la plaisance, par exemple, si vous êtes pas armé, si vous avez pas donné vos coordonnées, si on peut pas vous repérer, on peut vous tuer, vous voler, couler le bateau et on sait pas ce que vous êtes devenu. Donc il faut faire très attention parce que la piraterie augmente. Et malheureusement, comme il y a des pays qui deviennent pauvres, c’est malheureux, mais eh bien ça génère de la piraterie.
Comment ce rêveur a-t-il vécu aux côtés de marins arrivés à leur métier par la voie la plus traditionnelle, de père en fils?
J’étais un peu considéré comme une exception parce que les marins sont des gens qui vivent toujours une aventure, et dans un sens ils en ont pas besoin, de livres de mer. Mais moi, j’aimais bien vivre l’aventure, mais j’aimais bien aussi la rêver, donc le livre c’est la première porte du rêve, hein.
La vie de famille, ça ne devait pas être facile non plus?
Non, très dur. Très dur, sauf si vous trouvez une épouse qui tient le choc, et moi j’en ai trouvé une. C’est une Auvergnate* et elle a tenu le choc et ça c’est relativement bien… ça se passe même très bien, puisque j’ai 37 ans de mariage, donc vous voyez, c’est quand même pas mal…
Il a eu des expériences inoubliables:
Vous avez des couchés de soleil, des fois dans l’océan indien moi, je trouvais ça extraordinaire, et comme je suis un marin de la vieille école, j’ai appris à manoeuvrer des voiliers, eh bien quand je faisais un point d’étoiles*, par exemple, moi, mon plaisir c’était de voir le ciel et de faire un point, en choisissant mes étoiles, en les connaissant très bien. Ça, c’était extraordinaire. C’est, allez on va le dire, c’est de la poésie, de la poésie maritime.
Mais est-ce que la vie de marin était aussi belle qu’il l’avait imaginée dans son enfance? Eh bien c’est triste à dire, mais René n’a pas eu besoin de réfléchir avant de répondre:
Non, non. J’ai eu une bonne époque au début de la marine marchande, quoi, quand j’ai commencé en 64, j’ai eu une très bonne époque puisque c’était… il y avait encore …. la terre était encore… elle était pas uniforme… Quand vous alliez à Singapour, il y avait le quartier chinois, il y avait le quartier malais, il y avait le quartier indien. Maintenant, vous allez à Singapour, c’est New York! Donc ça n’a plus rien à voir*. Alors, moi j’ai eu une très bonne époque, j’ai connu encore ça, où on restait 15 jours, un mois dans les ports. Parce que le métier de marin, c’est bien la mer, mais les ports aussi, c’est très bien.
Soulagé aujourd’hui des fardeaux du travail, René est à nouveau libre de rêver. Et justement, si vous croyiez que l’époque des îles au trésor était terminée…
Alors, là vous avez la dernière île au trésor qui s’appelle l’île de Coco ou l’île Coco. Donc vous avez son adresse, là, en latitude et en longitude. Pour vos auditeurs je peux la donner : c’est 5° 32′ 08" nord, et 87° 03′ 08" ouest, et ça… vous avez trois trésors, plusieurs tonnes de lingots d’or, lingots d’argent, tout un tas de choses, qui vous attendent. On le sait parce qu’on connaît l’histoire, l’un des trésors a été volé au début du 19e. Ils se sont réfugiés là, les pirates, et on sait qu’ils sont là, il n’y a aucun problème, on a les preuves. Mais, on n’arrive pas à les trouver, à cause de la végétation, qui est luxuriante, c’est pratiquement sur l’équateur, et puis il y a des secousses, des tremblements de terre, donc on sait pas si tout ça c’est… a bougé. Et à mon avis il faudrait des bulldozers, ça serait peut-être pas mal.
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