Version Ralentie
Jean Revol est un grand artiste. Ses tableaux au couteau et ses desseins sont témoignes d’un immense force spirituel et intellectuel, avec une maîtrise téchnique qui viennent de 60 ans de vie dédié à l’art. Mais c’est aussi un hommes qui abhore de faire des compromis, et qui, donc, a choisi de rester dehors le monde mondaine de l’art moderne, pour rester fidèle à lui même. Une interview avec Jean Revol.
– Je pense qu’on a complètement anihilé, supprimé le devoir de juger. Personne ne juge plus. Le jugement est mort. Personne ne se donne plus le mal de juger. On juge pour tout le monde et le résultat c’est que c’est tout à fait le… Ce n’est même pas le nivellement par le bas, c’est, si on va au fond des choses, on peut constater que notre siècle repose presque entièrement sur de fausses valeurs, et ces valeurs sont faites par l’argent.
– C’est tout un système mais il est relativement simple, c’est-à-dire que vous fabriquez des cotes1 aux artistes, tout à fait artificiellement. J’ai vu, il y a quelques années, une galeriste que je connaissais, acheter pour presque rien des tableaux d’un peintre qui venait de mourir – un peintre abstrait, un peintre non figuratif – elle a mis ensuite ces tableaux dans une vente aux enchères et puis elle les a rachetés elle-même très cher. Et du coup ensuite les autres ensuite elles les a tous vendus ce prix-là. Enfin, c’est une opération très claire, quoi, je veux dire. C’est pas compliqué.
– Il faut que le tableau me parle, qu’il soit vivant, qu’il soit en face de moi comme un être vivant autonome, et ça, on le sent tout de suite. On le sent immédiatement. J’ai eu une vénération pour Rembrandt. J’ai beaucoup admiré Van Gogh, Soutine. Goya est peut-être le peintre que j’ai le plus admiré quand j’étais adolescent. Et si vous regardez, par exemple, tout l’oeuvre2 de Matisse, il n’y a aucun tableau qui ait cette faculté de vivre par lui-même. Il vit sur sa réputation, une réputation totalement fabriquée. Matisse est un peintre de dizième ordre. C’est un marché qui s’est créé. Il n’y a pas de public en art. C’est comme les touristes japonais qui photographient à tour de bras3, ils ne voient rien. On a dit aux gens que Matisse était un géant, eh bien ils viennent, et puis c’est un géant et puis c’est tout. Mais ils le voient pas.
– Je déteste toutes les religions, toutes, absolument toutes, mais l’art est certainement ce que devrait être la religion, c’est d’ailleurs une vocation, en fait, une sorte d’élection à rebours, disons, oui. Et j’ai toujours peint, surtout j’ai toujours dessiné, et le dessin était ma plus grande joie d’enfant. Je passais mon temps à ça. Je donnais des dessins à tout le monde et je me suis aperçu que je devenais adulte justement parce que le dessin a cessé d’être une joie, d’être un plaisir. Vers treize ans à peu près, treize ans, quatorze ans, j’ai commencé à demander au dessin quelque chose que j’ignorais. Je ne savais pas ce que je cherchais, mais je sais maintenant que je ne suis qu’un canal. C’est pas moi qui décide. J’obéis. Et je suis persuadé que si Van Gogh avait pu être autre chose que Van Gogh, s’il avait eu le choix, il aurait bien préféré4 ne pas être Van Gogh; ça n’a rien de très drôle, hein. Et, non, je crois que l’artiste, le créateur est au service de sa création. Et c’est l’oeuvre qui décide. C’est l’oeuvre qui est déjà là en fait. Elle le précède. C’est à lui de la concrétiser justement et son rôle, c’est de s’en montrer digne. Je ne sais pas d’où ça vient mais c’est quelque chose qui me précède, je veux dire qui m’a toujours précédé. A un moment donné, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le fait de dessiner n’a plus été un jeu. C’est devenu quelque chose de primordial pour moi et j’ai bien senti que je devais tout sacrifier à ça.
– Je ne peins qu’au couteau depuis cinquante ans. Je ne peins qu’au couteau d’abord parce que, comme j’essuie le couteau après chaque touche, la couleur est beaucoup plus propre et les mélanges sont beaucoup mieux respectés. Je ne me sers jamais de pinceaux parce que c’est beaucoup trop mou. Et puis alors il y a la violence du geste aussi, ça je peux pas le nier. Par moment je perds apparemment le contrôle de ce que je fais, mais c’est pas vrai, je ne le perds jamais parce que c’est à ce moment-là que je travaille le mieux. J’ai besoin d’un contact très fort entre la couleur et la toile. A un moment donné je cassais un couteau par semaine, quoi. Et des voisins m’ont dit qu’ils m’entendaient peindre à deux cents mètres. J’étais un peu gêné. Je ne m’en rendais pas compte5.
– Je pense que notre époque est dévoratrice d’artistes. C’est une époque ogre. C’est un ogre. Et on y voit beaucoup de commencements, de beaux commencements et pas beaucoup de fins parce que les artistes se font dévorer par le plus grand ennemi de l’art et de la création qui est la facilité. Facilité intérieure, facilité matérielle, toutes les facilités. L’art est le contraire de la facilité. Dès l’instant que l’on compose avec la facilité, on est perdu.
– J’ai été trente ans critique à la Nouvelle Revue Française6, donc une tribune qui me donnait toute liberté et qui était un peu à part de tout le reste, ce qui a été un peu toute ma vie d’aileurs. Toute ma vie j’ai été dans des situations en marge. Toujours, toujours. J’ai toujours conservé ma liberté et j’ai toujours eu la possibilité de le faire et la possibilité de me battre. Et aussi j’ai toujours eu – ce qui est quand même très important et j’estime que j’ai eu beaucoup de chance – j’ai toujours eu des preuves que j’étais dans le bon chemin. Interne? Ca ne peut pas être des preuves, ça peut être une conviction mais pas des preuves. Mais j’ai eu la chance d’être très proche de Bachelard, par exemple, qui me considérait comme, vraiment, comme son fils spirituel. André Malraux aussi m’a apporté beaucoup. J’ai écrit un livre qui s’intitule ‘La lutte avec l’ange’ et qui est à caractère autobiographique; eh bien, j’espère avoir bien expliqué que pour moi, cette lutte avec l’ange, c’était presque avant tout, la lutte avec le succès – contre le succès. Et ma grande chance, c’est de n’avoir jamais eu ce succès total, quoi, mais d’avoir toujours su que je pouvais l’avoir. C’est très difficile de résister au succès. C’est sans doute plus difficile que de résister à l’insuccès, dans un certain sens qui pour moi est le bon.
– Ca m’a fait beaucoup d’ennemis – ça m’a fait des amis aussi -, mais je vais vous dire vraiment une chose, je suis comme l’Angleterre. Je gagne toujours mes guerres, je mets le temps7, voilà. Mais finalement, jusqu’à présent j’ai toujours eu raison.
Jean Revol is a major artist. His paintings by knife and his drawings are testimony to great spritual and intellectual strength. His technical mastery is the fruit of 60 years dedicated to art. But he’s also a man who hates compromise and who has chosen to stay away from the society trappings of the modern art world in order to remain true to himself. An interview with Jean Revol.
– I think that the duty that we have to make judgements has been completely annihilated, wiped out. Nobody makes value judgements any more. Judgement is dead. Nobody takes the trouble to judge any more. It’s someone else who judges on behalf of everyone and the result is that… it’s not even dumbing down. If you go right to the heart of things, you realise that our century is founded almost entirely on false values, values created by money.
– There’s a whole system behind it, but it’s relatively simple. That’s to say, you create a market value for an artist, completely artificially. A few years ago I saw a gallery owner that I know buy, for almost nothing, pictures by an artist who’d just died; an abstract artist, not a figurative artist. Then she put these paintings up for auction and bought them back herself at a very high price. And immediately afterwards all the others were sold at that price. You see it’s a very straightforward process. It’s not complicated.
– A painting needs to speak to me, it needs to be alive. It should be there opposite me like a living autonomous being; and that you can feel straight away. You sense it immediately. I venerated Rembrandt. I admired Van Gough a lot, Soutine. Goya is maybe the painter that I admired most when I was adolescent. And if you look, for example, at all of Matisse’s work. There’s not a single painting that has that ability to live by itself. He lived on his reputation, a reputation that’s totally artificial. Matisse is a tenth-rate painter. It’s a market that was created. There’s no public for art. It’s like the Japanese tourists who photograph everything like there’s no tommorrow. They don’t see anything. People said Matisse was a great, so they come along; and then, well, he’s a great and then that’s it. But they don’t see.
– I hate all religions, all of them, absolutely all. But art is certainly what religion should be. It truly is a vocation, a sort of a calling in reverse, let’s say. And I’ve always painted, more than anything I’ve always drawn, and drawing was my greatest pleasure as a child. I spent my time doing that, I gave my drawings to everyone. And I realised that I’d become an adult at exactly the point when drawing stopped being a joy, a pleasure. When I was about thirteen or fourteen, I started to ask for something from drawing, I didn’t know what it was. I didn’t know what I was looking for, but I know that I’m just a conduit. It’s not me who decides. I obey. And I’m sure that if Van Gogh could have been anything other than Van Gogh, if he had the choice, he would have preferred not to be Van Gogh; it’s not particularly amusing. No I think that the artist, the creative person is the servant of his or her creation. And it’s the work itself that takes the decisions. It’s the work that decides. It’s the work that’s already there in fact. It precedes the creator. It’s the creator’s job to bring it to life and his role is to be worthy of the task. I don’t know where it comes from, but I know it’s something that precedes me. What I mean is that it’s always preceded me. At a certain point, as I said a moment ago, drawing was no longer a game. It had become something primordial for me and I knew that I would have to sacrifice everything to it.
– I’ve painted with nothing but a knife for 50 years. I paint just with a knife firstly because, since I wipe the knife after each stroke, the colour is much cleaner and the mixes are better respected. I never use brushes because it’s much too weak. And then there’s the violence behind the movement, that I can’t deny. At a certain point it seems like I’m losing control of what I am doing; but it’s not true – I never lose it because it’s at exactly that point that I work best. I need a very strong contact between the colour and the canvas. At one point I was breaking a knife per week. And neighbours told me they could hear me painting two hundred metres away. I was a little bit embarrassed. I didn’t realise.
– I think that our era devours artists. It’s an ogre of an epoch. It’s an ogre. You see lots of beginnings, fine beginnings and not many ends because artists end up being eaten up by the biggest enemy of art and of creation. And that’s comfort. Internal comfort, material comfort, all forms of comfort. Art is the opposite of comfort. As soon as you compromise on comfort, you’re lost.
– I was critic for thirty years at la Nouvelle Revue Française, so that was a platform that gave me complete freedom and which was a little bit a part from everything else, a bit like my entire life in fact. All my life I’ve been in marginal situations. Always, always. I’ve always kept my freedom and I’ve always been able to do so, and had the chance to fight for myself. And also I’ve always had – something which is, afterall, very important and I think that I’m very lucky – I’ve always had proof that I’m on the right track. Internally? That wouldn’t be a proof, that would be a conviction but not a proof. But I was lucky enough to be very close to Bachelard, for example, who really thought of me as his spiritual son. André Malraux helped me a lot too. I wrote a book called ‘Wrestling with the angel’, which is autobiographical; well, I hope to have explained that for me this struggle with the angel, was almost more than anything the struggle with success – against success. And my big chance, is to never have had this complete success; but to have always known that I could have it. It’s very difficult to hold out against success. In one way – and for me it’s the right way of seeing things – it’s certainly harder than holding out against a lack of success.
– It’s made me a lot of enemies – it’s made a lot of friends too. But I’ll tell you one thing, I’m really like England: I win all my wars. It takes time, that’s all. But up to now I’ve always turned out to be right in the end.