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À l’occasion du Printemps des poètes, une manifestation qui se déroule chaque année en mars dans tout le pays, Florence Maître s’est penchée sur la poésie française d’aujourd’hui.
Le rap est-il une forme poétique de notre époque ? Vaste débat. Dans plusieurs villes, des concerts de rap ont été programmés pendant le Printemps des poètes.Peut-être pour tenter d’attirer les jeunes. On en croise peu, en effet sur ce genre de manifestation. Pourtant, les jeunes poètes, ça existe.
Dos contre terre, le visage à même le soleil,
une amande bleue entre les paupières,
à peine le poids d’un oiseau mort
L’auteur de ces vers a 26 ans. Il s’appelle Cédric le Penven. Professeur de français, il aime la poésie depuis tout petit.
– Moi, j’ai aussi peint, sculpté, et j’ai l’impression que la poésie… Je me définis comme un sculpteur des mots. J’aime bien ce rapport artisanal, artiste même au sens de ‘poésie’, le sens étymologique, quoi, ‘faire’, de construction, me convient tout à fait, alors que j’avais l’impression que pour moi, la prose, j’ai rapidement peur de tomber dans l’anecdote, en fait, alors que dans la poésie j’ai l’impression que je passe directement au coeur des choses. J’ai commencé par lire, alors évidemment, en tant qu’adolescent survolté et ténébreux, j’ai adoré Baudelaire.
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers
(Charles Baudelaire)
-Moi, c’est justement le côté difficile qui m’a fasciné. Dans Baudelaire, c’est évident que je lisais des choses que je comprenais pas, et pourtant j’ai bien senti le pouvoir de fascination et petit à petit les énigmes qui m’étaient posées étaient, peut-être pas résolues mais en tout cas me touchaient de plus en plus. J’ai du mal à… J’écris peu de textes engagés ou sur l’actualité. Parce que, bon, moi je suis issu d’un… mes grands-parents étaient agriculteurs du côté de ma mère, mes grands-parents étaient marins du côté de mon père, du côté breton, donc j’ai vraiment l’impression que je viens de la mer et de la terre et donc c’est ça ma principale source d’inspiration, et donc ça, c’est pas très lié à l’actualité finalement. Alors, avec mes élèves, c’est vrai que je pense qu’ils sentent mon enthousiasme. J’interviens parfois dans des classes, hein, mais mes élèves ne savent pas que j’écris. Mais il m’est arrivé – j’ai une anecdote- souvent pendant les vacances je leur demande de lire un recueil de poèmes au choix, et il s’est trouvé qu’un jour, une élève ayant trouvé mes recueils, m’a présenté en fiche de lecture un de mes propres recueils et donc ça m’a fait beaucoup rire.
Jean-Bernard Papi, lui-même poète et écrivain, préside depuis 8 ans une association qui édite une revue : « Le moulin de Poésie ». Elle rassemble les œuvres de grands poètes reconnus et de débutants. Jean-Bernard Papi connaît donc bien la poésie d’aujourd’hui.
-Vous avez ceux qui continuent à faire de la poésie comme l’avait demandé ou l’avait presque exigé André Breton, c’est-à-dire que tous les surréalistes continuent à faire du Surréalisme. Parallèlement à ça on retrouve depuis les années 80 – et c’est un fait quasiment historique – des poètes qui écrivent clairement, si vous voulez, qui expriment clairement leurs idées, qui font même de la rime, hein, et tout ça c’est mélangé, et on ne peut pas dire qu’à l’heure actuelle l’un va triompher par rapport à l’autre. Je crois que c’est un gros fouillis. On est même… on retrouve même des gens qui font du sonnet type shakespearien, et on trouve de la poésie sociale et puis énormément quand même de poésie d’amour, hein. Mais un amour… pas l’amour de la femme, non, plutôt l’amour de l’autre, hein. Je trouve que c’est l’amour de l’autre. On peut très bien trouvé un amour d’homme à homme1.
-Ça existe la poésie politique, un auteur engagé qui va écrire?
-Depuis les chansonniers2 on ne trouve pratiquement plus de poésie politique. Si vous voulez, le politiquement correct est quand même en train de niveler beaucoup. Beaucoup de poètes essaient d’écarter le voile du politiquement correct, mais aussi bien du sexe que de la politique, c’est très peu abordé. Moi, j’ai un bouquin que j’ai envoyé chez un éditeur. L’éditeur m’a corrigé tout ce qui n’était pas politiquement correct. Je n’ai pas le droit de dire ‘un nègre’ dans ma poésie, et pourtant je trouve que c’est… eux-mêmes le disent. Je dois pouvoir le dire. Ben, les éditeurs rayent… et même ‘le noir’, ‘le black’…
Jacques Brémond, éditeur de recueils de poésie depuis 30 ans a vu changer la poésie et surtout ses lecteurs.
-La poésie change au fil du temps. C’est bien évident que la poésie d’aujourd’hui n’est pas tout à fait la même que celle que François Villon écrivait au XVe siècle…
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
(François Villon)
-Par contre, je pense qu’il y a une certaine permanence, une certaine pérennité du rapport de l’écrivain, donc, du poète, avec son environnement, avec la vie. François Villon parlait de sa vie à lui, sa vie de gangster, sa vie de voyou à Paris. Les poètes d’aujourd’hui parlent de la vie qu’ils mènent. Ils parlent du TGV, ils parlent des avions, ils parlent des attentats, ils parlent du mal-vivre en France, ils parlent de tout ça. Je crois que là-dessus il y a pas de changement.
Effectivement les ventes baissent. Le vingtième siècle, du moins en France, a permis une éclosion énorme de maisons d’édition, d’écrivains, de possibilités de lectures. Tout peut se lire. Actuellement il y a plus de livres encore qui paraissent. Le problème, c’est que ce ne sont pas tout à fait les mêmes livres. Je crois que c’est… le fond du problème il est là. Qu’est-ce qu’on lit? Qu’est-ce qu’on veut lire?
Dans d’autres régions d’Europe, comme dans l’Est ou en Irlande, la poésie reste populaire, mais en France, on l’assimile souvent aux pénibles cours de français du lycée.
Tout s’efface.
La baie aux fruits rouges
et les graines séchées en plein vent.
Tout s’efface.
La musique, les deuils, le désir, les passages.
Il n’y a qu’à être dans le jour.
Enfant déjà, que regardais-tu au-delà des épaules?
Claire Dorelli, éditrice en région parisienne, vient de lire un poème d’une auteure qu’elle apprécie particulièrement. Ses poèmes sont édités sur des cartes postales avec typographies.
-Eh bien, cette dame, je l’ai découverte grâce à une vraie libraire – parce qu’il y a encore des vrais libraires. Elle me connaît assez, c’est ma correctrice, et puis un jour elle me dit : “Est-ce que tu as déjà lu Mireille Fargier-Caruso?” – Non. Elle me fait lire, et j’ai eu aussitôt envie de la rencontrer, de l’éditer. Depuis, j’ai édité deux livres d’elle, j’espère bientôt un troisième, et des cartes postales, voilà.
-Comment est-ce qu’on trouve des poètes aujourd’hui? Comment est-ce qu’on rencontre? Est-ce que c’est des gens qui viennent un peu timidement proposer des textes?
-Pas toujours timidement. Quelquefois avec une grande assurance, parfois timidement. Là, c’est quelqu’un que j’ai rencontré parce que j’ai souhaité la rencontrer. Je l’ai trouvée en librairie. Mais d’autres fois, c’est quelqu’un qui a entendu dire – malheureusement par Internet, c’est souvent au hasard, et le hasard ne fait pas toujours bien les choses3 -, d’autres fois c’est quelqu’un qui vous a vu dans un marché, qui a lu, qui a été sensible. Eh bien, je reçois toutes sortes de choses, d’abord certaines que je suis incapable de juger, mais certaines dont je vois que c’est touchant, émouvant, mais que ce n’est pas de la littérature. D’autres, parfois des écritures savantes mais qui sont savantes, et dans lesquelles, moi, je ne suis pas capable de trouver autre chose. Et puis parfois il y a un coup de coeur et il se peut que d’instinct on tombe juste, d’autres fois pas, mais j’espère que je me suis peu trompée.
Depuis 1999, date de sa création, le Printemps des poètes étend son influence hors des frontières françaises. Chaque année, plus de 10 000 manifestations sont organisées dans l’hexagone et à l’étranger, sur une quinzaine de jours.
To mark The Poets’ Spring, an event that takes place every March across the country, Florence Maître looks into the state of French poetry today.
Is rap a contemporary form of poetry? It’s a big debate. Rap concerts were organised in many towns during “The Poets’ Spring”. Maybe the idea is to attract a young audience. It’s fair to say you don’t come across many young people at this kind of event. And yet young poets do exist.
Back against the earth, face towards the sun,
a blue almond between the eyelids,
scarcely the weight of a dead bird.
The author of these lines is 26 years of age. He’s called Cédric le Penven. He’s a French teacher who’s enjoyed poetry since he was very young.
-I’ve also painted and sculpted and I think poetry… I define myself as a sculptor of words. I like the relationship between craftsmanship and artistry which there even in the etymology of the word poetry, “to make”, the sense of building suits me very much, whereas I got the feeling that for me with prose I quickly fell into the anecdotal, whereas with poetry I feel like I’m getting straight to the heart of things. I started by reading, and needless to say as a highly charged and moody adolescent I loved Baudelaire.
Nature is a temple where living pillars
Let sometimes emerge confused words;
Man crosses it through forests of symbols
Which watch him with intimate eyes.
(Charles Baudelaire)
-For me it was precisely the difficult aspect which fascinated me. With Baudelaire of course I was reading things I didn’t understand, and yet I felt the power of fascination and little by little the enigmas that had been set for me were maybe not completely resolved, but any rate they touched me more and more. I find it difficult to… I write very little that’s political or about the news. Because well, I come from… my grandparents were farmers on my mother’s side, my grandparents were sailors on my father’s side, on my Brittany side, so I’ve really the feeling I come from the sea and the land and so that’s my principle source of inspiration and so in the end that’s not very linked to current affairs. As far as my pupils are concerned, I think you can say they get a feeling for my enthusiasm. I get involved sometimes in classes, but my pupils don’t know I write. But it has happened -I’ve got an anecdote- often during holidays I ask them to read a poetry collection of their choice, and it happened once that a pupil who’d come across my collections put one of them on their reading list and so that made me laugh a lot.
What do poets talk about in 2007? Jean-Bernard Papi, himself a poet and a writer, has for eight years presided over an association which publishes a review: “The Poetry Mill”. It brings together works by both recognised major poets and beginners. So Jean-Bernard Papi knows contemporary poetry very well.
-You’ve got those who continue to write poetry in the way André Breton called for, or insisted on almost, that’s to say all the surrealists continue doing Surrealism. In parallel with that you find that since the 1980s – and this is pretty much a historically verifiable truth – you’ve got poets who write clearly, if you like, who express their ideas clearly, who even do rhyme, and all these tendences are mixed up, and you can’t say at the point we are at today that one is going triumph over an other. We even have… you even find people doing Shakespearian-style sonnets and you find poetry about society and then of course an enormous amount of love poetry. But love… not the love of woman, more the love of others. I’d say it’s the love of others. Very often you’ll find a love that’s from human being to human being.
-Is there much political poetry around, committed writers?
-Since the singer/songwriter era there’s been practically no more political poetry. If you like, political correctness is a deadening influence. Lots of poets tries to move beyond the veil of political correctness, but both in terms of sex and politics, it’s rarely challenged. I’ve a book that I sent to an editor. The editor corrected everything that wasn’t politically correct. I’m not allowed to say “a Negro” in my poetry, and yet I think that it’s… they say it themselves. I should be allowed to say it. But well the editors strike it out and even “the black man”…
Jacques Brémond has published poetry collections for 30 years and he’s seen changes in poetry, more than anything with the readership.
-Poetry changes with the passage of time. Evidently poetry written today in 2007 isn’t the same that François Villon was writing in the 15th century.
Men, brother men, that after us yet live,
Let not your hearts too hard against us be;
For if some pity of us poor men ye give,
The sooner God shall take of you pity.
-On the other hand, I think there’s a certain continuity, something perennial in the relationship between the writer, the poet, with his world, with life. François Villon spoke of his life, his life as a gangster, his life as a ruffian in Paris. Poets today speak of the life they lead. They talk about the TGV, they talk about aeroplanes, they talk about attacks, they talk about the hard life in France, they talk about all that. I think as far as that’s concerned there’s no change.
It’s true sales are down. The 20th century, in France at any rate, saw a flourishing of publishing houses, of writers, of choice in reading. You can read anything. Today more books than ever come out. The problem is that it’s not quite the same books. I think the problem is there. What are we reading? What do we want to read?
In other regions of Europe, like the East or Ireland, poetry remains popular, but in France, it’s often associated with excruciating French lessons at school.
Everything passes.
The red fruit berries
and dried seeds in the wind
Everything passes.
Music, mourning, desire, the passing moments.
All that’s left is to stay in the present.
Even as a child, what were you doing looking over your shoulder?
Claire Dorelli, an editor in the Paris region, has just read a poem by an author she particularly appreciates. Her poems are published on calligraphic post cards.
-Well I discovered this woman thanks to a real bookseller – because there are still some real booksellers. She knows me very well, she’s my sub-editor, and one day she said to me: “Have you read Mireille Fargier-Caruso yet?” -No. She gave it to me to read and straight away I wanted to meet her and publish her. Since then I’ve edited two books by her and I hope to edit a third soon, and postcards, there we are.
-What are today’s poets like? How do you meet them? Are they people who turn up a little shyly to present their work?
-Not always shyly. Sometimes very boldly, sometimes shyly. This was someone who I met because I wanted to meet them. I found her through a bookshop. But sometimes, it’s someone who’s come across us – unfortunately by internet it’s often a bit by chance and chance doesn’t always produce a happy ending – on other occasions it will be someone who’s seen you at a book fair, who’s read something, who’s been moved by something. So I receive all sorts of things, firstly some that I’m unable to pass a judgement on but that I can see are touching and moving but aren’t literature. Others have a writing style that learned but too intellectual and in which I personally am unable to find anything else. And then sometimes it’s love at first sight and it can happen that your instinct is right; sometimes it isn’t, but I hope I don’t make too many mistakes.
Since it was created in 1999 the influence of The Poets’ Spring has spread beyond French borders. Every year over a two week period, more than 10 000 events are organised in the French mainland and abroad.