Version Ralentie
Patrick Modiano est né à Paris en 1945. Son enfance s’est déroulée dans une atmosphère de désordre d’après-guerre. Coupé de ses parents, abandonné, angoissé pour toute la vie, il enquête maintenant sur son passé. Ses livres, son écriture, son style, reflètent à la fois le désir et la peur de connaître la vérité au sujet du passé.Modiano est l’auteur de plusieurs romans et scénarios dont:
La Petite bijou 2001
Dora Bruder 1997
Catherine certitude 1988, illustrations de Sempé (Gallimard Jeunesse)
Rue des boutiques obscures 1978 pour lequel il a obtenu le prix Goncourt.
Les ouvrages de Patrick Modiano ont en commun
Un style
La langue est contemporaine, le style est plutôt parlé, le vocabulaire est précis
Un contenu
Des ambiances authentiques, chez les gens, dans les cafés, les restaurants, dans les librairies, les magasins, dans les gares, les trains, les métros; les histoires se passent souvent à Paris dans des quartiers bien connus; les personnages à la recherche de leurs racines sont crédibles, leurs vies, leurs souvenirs, leurs sentiments, leurs réactions touchent les lecteurs.Si vous cherchez deux titres pour commencer:
La petite Bijou
Rue des Boutiques obscures
La petite Bijou est plus facile.
Rue des boutiques obscures : Extrait
Chapitre II – Guy Roland enquête sur son passé. Il contacte par téléphone quelqu’un qui peut l’aider
– Allô? Monsieur Paul Sonachitzé?
– Lui-même.1 – Guy Roland à l’appareil…2 Vous savez, le…
– Mais oui, je sais! Nous pouvons nous voir?3 – Comme vous voulez…4 – Par exemple… ce soir vers neuf heures rue Anatole-de-la-Forge?… Ça vous va?
– Entendu.
– Je vous attends. À tout à l’heure.
Il a raccroché brusquement et la sueur coulait le long de mes tempes. J’avais bu un verre de cognac afin de me donner du courage. Pourquoi une chose aussi anodine que de composer sur un cadran un numéro de téléphone me cause, à moi, tant de peine et d’appréhension?
Au bar de la rue Anatole-de-le-Forge, il n’y avait aucun client, et il se tenait derrière le comptoir en costume de ville.– Vous tombez bien, m’a-t-il dit.6 J’ai congé tous les mercredis soir.
Il est venu vers moi et m’a pris par l’épaule.
– J’ai beaucoup pensé à vous.
– Merci.
– Ça me préoccupe vraiment, vous savez…
J’aurais voulu lui dire qu’il ne se fît pas de soucis7 à mon sujet, mais les mots ne venaient pas.
Extract from Missing Person
You were right to say to me that in life it’s not the future that is important, it is the past.
– Hello? Mr. Paul Sonachitzé?
– The very same.
– Guy Roland speaking… You know, the…
– But yes, I know! Can we see each other?
– As you like…
– For example… this evening around 9 o’clock on rue Anatole de la Forge? Does that suit you?
– Alright.
– I’ll be waiting for you. See you soon.
He hung up briskly and sweat was pouring down the sides of my temples. I drung a glass of cognac to give myself courage. Why did such an anodyne thing as dialling a telephone number cause me so much pain and uncertainty?
At the bar in Anatole-de-la-Forge Street, there weren’t any customers, and he was standing behind the bar in city clothes.
– That was a bit of luck, he said. I’m free on Wednesday nights.
He came towards me and took me by the shoulder.
– I’ve thought alot about you.
– Thank you.
– It’s worrying me a lot, you know…
I wanted to tell him not to worry about me, but the words didn’t come.
– Vous ne pouvez pas me mettre sur la piste?
– Non.
– Pourquoi?
– Je n’ai aucune mémoire, monsieur.
Il a cru que je plaisantais, et comme s’il s’agissait d’un jeu ou d’une devinette, il a dit :
– Bon, je me débrouillerai tout seul. Vous me laissez carte blanche?6 – Si vous voulez.4 – Alors ce soir, je vous emmène dîner chez un ami.
Avant de sortir, il a baissé, d’un mouvement sec, la manette du compteur électrique et fermé la porte en bois massif en donnant plusieurs tours de clé.Sa voiture stationnait sur le trottoir opposé. Elle était noire et neuve. Il m’a ouvert la portière poliment.
– Cet ami s’occupe d’un restaurant très agréable à la limite de Saint-Cloud.
– Et nous allons jusque là-bas?
– Oui.
De la rue Anatole-de-la-Forge, nous débouchions dans l’avenue de la Grande-Armée et j’ai eu la tentation de quitter brusquement la voiture. Aller jusqu’à Ville-d’-Avray me semblait insurmontable. Mais il fallait être courageux.
He shook his head.
– You can’t put me on the right track?
– No.
– Why?
– I have no memory, sir.
He thought I was joking and as if it were a game or a riddle, he said :
– OK, I will manage on my own. Will you give me a clean slate?
– If you like.
– OK, this evening, I will take you to dinner at a friend’s house.
Before leaving, with a dry movement he pulled down the lever of the electricity meter and closed the solid wooden door, giving it several turns of the key.
His car was parked on the pavement opposite. It was black and new. He opened the door politely.
– This friend runs a very pleasant restaurant on the outskirts of Saint-Cloud.
– And we’re going as far as there.
– Yes.
From Anatole-de-la-Forge, we set off down l’avenue de la Grande-Armée and I was tempted to leave the car suddenly. Going as far as Ville-d’Avray seemed like an impossible challenge.
But courage was needed.