Version Ralentie
Homme libre, toujours tu chériras la mer!
Free man, you will always cherish the sea!
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
(Charles Baudelaire – L’homme et la mer)
Homme libre, Baudelaire (1821-1867) a payé cher sa liberté. S’il est aujourd’hui au panthéon, sa vie, comme son oeuvre, est imprégnée d’un douloureux parfum de scandale. C’est un rebelle, un esthète en quête d’un monde de plaisirs où “tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté”.
In the infinite unrolling of its billows;
Your mind is an abyss that is no less bitter.
(Charles Baudelaire – Man and the sea )
A free man, Charles Baudelaire (1821-1867) paid dearly for his liberty. If today he is in the Pantheon, his life, like his work, is impregnated with scandal’s sad perfume. He was a rebel, he was an aesthete in search of a world of pleasure where “all is order, and beauty, luxury, peace and pleasure”.
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
(Charles Baudelaire – L’invitation au voyage)
Think of the rapture
Of living together there!
Of loving at will,
Of loving till death,
In the land that is like you!
The misty sunlight
Of those cloudy skies
Has for my spirit the charms,
So mysterious,
Of your treacherous eyes,
Shining brightly through their tears.
There all is order and beauty,
Luxury, peace, and pleasure.
(Invitation to the Voyage)
Menant une vie de jeune débauché Baudelaire est infecté dès l’âge de 25 ans d’une maladie incurable, la syphilis. Il souffre alors cruellement, quotidiennement jusqu’à sa mort, exprimant dans son oeuvre les ravages du poison qu’il porte en lui irrémédiablement. Lentement, mais sûrement, le débauché devient un martyre lucide. Poète, il nous entraîne, et, par son génie, nous force à ouvrir les yeux sur l’horreur de sa condition, de notre condition, car, qu’on le veuille ou non, il est notre parent.
Leading a life of debauched youth, at the age of 25 Baudelaire was infected with an incurable illness, syphilis. He suffered cruelly, daily, until his death, expressing through his work the ravages of the poison that he was condemned to carry. Slowly but surely the lover of debauchery becomes a lucid martyr. As a poet, he carries us with him and through his genius, forces us to open our eyes to the horror of his situation, of our situation, because whether we like it or not he is our relative.
Qui vit, s’agite et se tortille
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la chenille ?
Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords ?
(Charles Baudelaire – L’Irréparable)
That lives, quivers and writhes,
And feeds on us like the worm on the dead,
Like the grub on the oak?
Can we stifle implacable Remorse?
(The Irreperable)
Baudelaire a été réprouvé, condamné en justice pour sa vie et son oeuvre – on a censuré six poèmes dans le recueil des Fleurs du Mal deux mois après sa parution-, mais aussi reconnu et admiré par quelques-uns de ses contemporains clairvoyants, Victor Hugo, Théophile Gauthier, Barbey d’Aurevilly, et aussi Nadar, le photographe, et le peintre Courbet, et Manet, puis Mallarmé et toute la postérité.
L’un des admirateurs de Baudelaire, l’imprimeur Auguste Poulet-Malassis, un jeune érudit, a donc édité dans son imprimerie de la ville d’Alençon Les Fleurs du Mal. C’était en 1857, il y a 150 ans. Or, la ville d’Alençon, dont c’est une fierté, vient d’éditer pour cet anniversaire le fac-similé de l’édition originale des Fleurs du Mal. Ce fac-similé a été tiré à 1 100 exemplaires comme l’édition de juin 1857.La seule différence, c’est le papier. Un Bouffant alizé or1, un peu plus épais que le papier d’Angoulême1 de 1857.
On connaît le Baudelaire poète. On connaît l’admirateur et le traducteur d’une partie des oeuvres d’Edgar Poe, et aussi le Baudelaire auteur critique des grands Salons d’expositions de peintres à Paris. Le Salon de 1845 et le Salon de 1846. On connaît moins le Baudelaire révolutionnaire qui a risqué sa vie sur les barricades de la révolution de 1848, et l’on connaît souvent faussement l’amant passionné de la Vénus noire, Jeanne Duval, compagne de sa vie.
Le livre de Michaël Prazan, La maîtresse de Charles Baudelaire, paru en avril 2007, est un roman rigoureusement documenté sur la vie du poète, ses fréquentations, ses difficultés, ses comportements. En suivant Baudelaire on est plongé dans le Paris du milieu du XIXème siècle, si riche en événements politiques et culturels. Une aide précieuse pour comprendre l’univers baudelairien.
Michaël Prazan décrit par exemple comment Nadar, l’illustre photographe des personnes illustres de l’époque – George Sand, Balzac, Flaubert, Sarah Bernard, Alexandre Dumas, et bien d’autres – photographie Baudelaire. (Page 142)
“Nadar s’échauffait, ne parvenant pas à lui trouver une pose qui le satisfasse. Il demanda à Charles de pousser le fauteuil, afin de tenter le portrait en pied. Baudelaire, qui disait hautement mépriser la photographie, grommela mais s’exécuta. Son dédain pour la technique, qui était réel, n’empêcha pas Nadar de faire de lui sept photographies, la dernière ayant été prise dans les ultimes années de sa vie. Car si Baudelaire n’aimait pas la photographie, il était assez vaniteux et ne pouvait pas refuser qu’on désirât faire son portrait.
Baudelaire was disapproved of, condemned by the courts for his life and his works – six of the poems in the “Flowers of Evil” collection were censored two months after its appearance – but he was also appreciated and admired by some of his clearsighted contemporaries: Victor Hugo, Théophile Gauthier, Barbey d’Aurevilly, and also the photographer Nadar, the painter Courbet and Manet, then by Mallarmé and by all posterity.
One of Baudelaire’s admirers, the printer Auguste Poulet-Malassis, an erudite young man, published “Flowers of Evil” at his printshop in the town of Alençon. It was in 1857, 150 years ago. Now, the town of Alençon, for which this is a matter of pride, has just published a facsimile edition of the original “Flowers of Evil”. 1100 copies of his facsimile were published, the same number as the June 1857 edition. The only difference is the paper, a gold trimmed bouffant alizé, slightly thicker than the 1857 Angloulême paper.
We know about Baudelaire the poet. We know the admirer and translator of some of Edgar Allan Poe’s works and also Baudelaire the writer/critic at the great Salons painting exhibition, the Salon of 1845 and the Salon of 1846. We know a little less about Baudelaire the revolutionary, who risked his life on the barricades of the 1848 revolution; and often we have a false idea of the lover – passionate to the point of excess – of the Black Venus, Jeanne Duval, the partner in his life.
Michael Prazan’s book, La maîtresse de Charles Baudelaire, which came out in April 2007, is a rigorously researched novel based on the life of the poet, the people he met, his difficulties, his behaviour. By following Baudelaire we’re plunged into the Paris of the middle of the 19th century, so rich in political and cultural events. It’s a precious help in understanding Baudelaire’s universe.
Prazan describes for example how Nadar, the famous photographer of the famous people of the era – George Sand, Balzac, Flaubert, Sarah Bernard, Alexandre Dumas and many others – photographed Baudelaire.
“Nadar was getting restless, he couldn’t find a pose that satisfied him. He asked Charles to push away the armchair, to try the portrait standing up. Baudelaire, who used to say he greatly mistrusted photography, grumbled but carried out the orders. His disdain for technology, which was real, didn’t prevent Nadar from taking seven photographs of him, the last taken in the last years of his life. Because if Baudelaire didn’t like photography, he was sufficiently vain not to be able to refuse when someone wanted to do a portrait of him.
– Qui?
– Jeanne Duval
– Oui… Hélas, je ne peux me passer d’elle.
– Marie ne suffisait-elle pas?
– Tu dois comprendre que Jeanne fait partie de moi. D’ailleurs, après ta séance de trucages, je dois la rejoindre avant d’aller chez Courbet, car elle figurera aussi sur le tableau.
– Who?
– Jeanne Duval.
– Yes, unfortunately I can’t manage without her.
– Marie wasn’t enough for you?
– You’ve got to understand Jeanne is a part of me. In fact after your session of whatever you get up to, I’ve got meet up with her before going to Courbet’s, because she’s going to be in that picture too.
Ce tableau est “L’atelier du peintre” de Courbet. C’est ainsi que l’on circule dans ce livre dans l’atelier de Nadar et celui de Courbet, le peintre de “La Naissance du monde”, ainsi que dans celui de Manet…
“Au mois de juillet, profitant que Jeanne, après plusieurs crises de paralysie durant lesquelles elle ne pouvait absolument pas bouger, jouissait d’une amélioration momentanée de son état, il la traîna jusqu’à l’atelier de Manet, afin que le peintre fît son portrait. La scène était d’un grotesque macabre. Jeanne, qui avait voulu se faire belle, portait une robe des plus bizarres, toute blanche, formée d’un enchevêtrement de jupons froufroutants, et qui ressemblait à une robe de mariée. Elle avait en haut un gilet très décolleté, rayé de rubans bleus. Mais à l’intérieur de cet accoutrement, la mariée, qui n’avait plus vingt ans, avait l’air d’une morte. Manet, qui avait fait disposer un lit dans l’atelier, la fit s’allonger sur l’édredon vert dans sa robe de princesse. La jambe droite entravant le drap comme une pièce de bois égarée, et le bras droit posé sur la tête de lit avec l’élégance d’un pot de fleur. Le peintre la peignit telle qu’il la vit, c’est-à-dire comme un fantôme ou un squelette, le visage enfoncé et décati, le regard fixe, le teint livide et la bouche sévère, rendue inexpressive par la paralysie. Il intitula le tableau : La maîtresse de Baudelaire couchée.”
The picture would be Courbet’s “The painter’s studio”. Thus we move around in the book from Nadar’s studio to that of Courbet, the painter of “The birth of the world”, as well as Manet’s…
“In the month of July, taking advantage of the fact that Jeanne, after several paralytic crises during which she couldn’t move at all, was enjoying a momentary improvement in her condition, he dragged her to Manet’s studio, so that the painter could do her portrait. The scene was macabrely grotesque. Jeanne, who’d wanted to do herself up, was wearing one of her most bizarre dresses, completely white, made up of overlapping wavy underskirts, and which resembled a wedding dress. On top she had a very lowcut bodice, striped with blue ribbons. But inside this decoration, the bride, who wasn’t 20 years old any more, looked like she was dead. Manet, who’d made a bed available in the studio, made her lie down on the green eiderdown in her princess’s dress. The right leg stuck into the sheet like a piece of driftwood, and the right arm lay on the headboard with all the elegance of a flower pot. The painter painted her how he saw her, that’s to say as a ghost or a skeleton, the face caved in and skew, the gaze fixed, the colours livid and the mouth severe, rendered inexpresssive by paralysis. He called the painting : ‘Baudelaire’s mistress, reclining’.”