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Romain Kacew naît à Moscou, émigré en France, il fait ses études à Nice. Il joue un rôle actif pendant la guerre en rejoignant les Forces françaises aériennes libres en Angleterre en 1940 et se choisit un nom de guerre : Gary, qui signifie ‘brûler’ en russe.
Romain Kacew was born in Moscow, emigrated to France and studied in Nice. He played an active role during the war, joining the Free French air force in England in 1940 and choosing a combat name : Gary, which means to burn in Russian.
En 1945 il commence sa carrière d’écrivain avec Éducation européenne. Il connaît alors le russe, le polonais, le français et l’anglais. Devenu diplomate, il parcourt le monde tout en écrivant. Le prix Goncourt, prestigieux prix littéraire remis chaque année à l’automne – lui est décerné en 1956 pour Les Racines du ciel. Ce prix Goncourt a la particularité de ne pouvoir être décerné qu’une fois au même auteur. Or Romain Gary l’a eu deux fois. Comment? En publiant, sous le pseudonyme d’Émile Ajar (qui signifie ‘la braise’ en russe, on aurait dû y penser…), Gros-Câlin en 1974 et La Vie devant soi. Et c’est ce dernier ouvrage qui obtient le prix Goncourt en 1975, écrit dans un style pourtant bien différent des autres livres de Gary, mais non moins talentueux. Il mystifie ainsi le petit monde littéraire – sauf sa femme, l’actrice Jean Seberg, son éditeur, et Paul, son neveu, lequel plus tard acceptera de se faire passer pour l’auteur à la demande de Romain Gary. La vérité n’éclatera que l’année de son suicide, dans un dernier texte, Vie et mort d’Émile Ajar : “Je me suis bien amusé. Au revoir et merci”…
In 1945 he began his career as a writer with European Education. He therefore understood Russian, Polish, French and English. After becoming a diplomat, he travelled the world while writing. The Goncourt Prize, the prestigious literary prize awarded in the Autumn – was awarded to him in 1956 for Les Racines du ciel. One of the peculiarities of the Goncourt Prize is that it can only be handed out once to any given author. Yet Romain Gary got it twice. How come? By publishing, under the pseudonym Emile Ajar (which means “embers” in Russian, we should have known) Gros-Câlin in 1974 and La Vie devant soi. It was this last work that won the Prix Goncourt in 1975, written in a style quite different from Gary’s other books, but no less skilfully. Thus he tricked the small world of literature – aside from his wife (the actress Jean Seberg), his editor and Paul, his nephew, who would later agree to pretend to be the author on Romain Gary’s request. The truth only emerged in the year of his suicide, in a last text, the Life and Death of Emile Ajar: “I enjoyed myself. Good-bye and thank you…”
Gros-Câlin est un livre pour lequel Gary invente un style neuf, drôle, tragi-comique et une histoire qui colle au style. Il s’agit d’une manière de percevoir le monde, d’un style de vie, d’une écriture éthique.
L’histoire tient en quelques mots -c’est l’histoire d’une solitude, d’un manque affectif, du besoin d’aimer et d’être aimé, l’envie d’une étreinte amoureuse. Telle est la situation de Michel Cousin, statisticien à Paris. Il vit seul avec un serpent python, ou peut-être un fantasme en forme de python, l’envie d’être câliné1.
Gros-Câlin (Big Hug) is a book for which Gary invented a new style – drole, tragicomic – and a story to match the style. It’s about a way of perceiving the world, a style of life, an ethical way of writing.
The story can be summed up in a few words – it’s a story of solitude, of a need for affection, of a need to love and be loved, the desire for a loving embrace. Such is the position of Michel Cousin, a statistician in Paris. He lives alone with a python, or maybe a fantasy in the form of a python, the desire to be hugged.
“Lorsqu’on a besoin d’étreinte pour être comblé dans ses lacunes, autour des épaules surtout, et dans le creux des reins, et que vous prenez trop conscience des deux bras qui vous manquent, un python de deux mètres vingt fait merveille. Gros-Câlin est capable de m’étreindre ainsi pendant des heures et des heures. “
Le python existe, au moins par ce qu’il représente de désir, de présence unique, de confiance totale, de dépendance naturelle entre des êtres complémentaires. “C’est le genre de python qui rêve toujours de dehors et de ce qui n’est pas en train de s’y produire. Il n’est pas à proprement parlé un invertébré mais un informulé.”
Monsieur Cousin fantasme aussi sur la belle et sexy Mademoiselle Dreyfus, méprisant l’ironie de ses méchants collègues de bureau. Et puis il y a les bonnes putes – il dit ‘les bonnes putes’ comme on dit ‘les bonnes soeurs’, enveloppant d’une auréole de reconnaissance les bras disponibles – Bref, il se construit un univers à sa façon où la vie insensée prend du sens. Avec toutes les audaces littéraires et imaginaires, il déroule son histoire. On est dans une logique, non du sens mais des sensations, des impressions.
“When you need a hug to make up for what is missing, around the shoulders more than anything and in the hollows of the kidneys, and you’re too conscious of the two arms that are missing, a two metre long python is marvellous. Gros-Câlin is capable of hugging me like that for hours and hours.”
The python exists, at least because he represents this desire, this unique presence, this total confidence, and this natural dependence between complementary beings.
“He’s the type of python who’s always dreaming of the outdoors and about what’s not happening. Strictly speaking he’s not invertebrated but unformulated.”
Monsieur Cousin has fantasies about the beautiful and sexy Mademoiselle Dreyfus, he mistrusts the irony of his cruel work colleagues. And then there are the good old whores – he says ‘good old whores’ like you’d say ‘good sisters (nuns)’, wrapping a halo of gratefulness around the available arms. In short, he builds a universe in his own way so that meaningless life takes on a sense. With literary and imaginary audacity, he unfolds his story. We are in the logic, not of sense but sensations, impressions.
Est-on décontenancé par les constructions de phrases peu orthodoxes? Cela peut être dépassé si l’on accepte de suivre le rythme proposé par l’auteur. Les mots eux-mêmes sont simples, les associations d’idées sont naturelles. C’est donc un langage. Non la rigueur de la langue mais la souplesse, la fantaisie du langage qui épouse, en même temps que le python, les contorsions de la pensée…
“Je suis rentré chez moi mais ne pus dormir, ça chantait d’amitié et il y avait des coquelicots en fleurs. J’aime les coquelicots à cause du nom qu’ils portent, co-que-li-cots. C’est gai et il y a même là-dedans des rires d’enfants heureux. J’ai souvent ainsi des moments d’orchestre intérieur, avec danses et légèreté, encouragement des violons et gentillesse populaire, à l’idée de toutes les richesses amicales qui m’entourent, des trésors enterrés qu’il suffit de découvrir, les deux milliards d’îles au trésors, baignées par le grand fleuve Amour. Les gens sont malheureux parce qu’ils sont pleins à craquer de bienfaits qu’ils ne peuvent faire pleuvoir sur les autres pour cause de climat, avec sécheresse de l’environnement, chacun ne pense qu’à donner, donner, donner c’est merveilleux, on crève de générosité, voilà. Le plus grand problème d’actualité de tous les temps, c’est ce surplus de générosité et d’amitié qui n’arrive pas à s’écouler normalement par le système de circulation qui nous fait défaut, Dieu sait pourquoi, si bien que le grand fleuve en question en est réduit à s’écouler par voies urinaires. Je porte en moi en quelque sorte des fruits prodigieux invisiblement qui chantent à l’intérieur avec pourrissement et je ne puis les donner tous à Gros-Câlin, car les pythons sont une espèce extrêmement sobre et Blondine la souris, ce n’est pas quelque chose qui a de gros besoins, le creux de la main lui suffit.Il y a autour de moi une absence terrible de creux de la main.”
Are we disconcerted by the hardly orthodox sentence construction? That can be overcome if we accept to follow the rhythm proposed by the author. The words themselves are simple, the associations of ideas are natural. Thus it’s a language. Not the rigour of language but the suppleness, the fantasy of the language which reflects, like the python, the contortions of thought…
“I returned home but couldn’t sleep, there was singing of friendship and there were poppies in flower. I like poppies because of the name that they carry, co-que-li-cots. It’s cheerful and within it there’s even the smiles of happy children. Often I have moments of an interior orchestra, with dancing and lightness, the encouragement of violins and down to earth niceness, a representation of the wealth of friendliness that surrounds me, the buried treasures that need only to be discovered, the two billion treasure islands, submerged in the great river Love. People are unhappy because they are full to the brim of good intentions which they cannot shower on others because of the climate, the dryness of the environment, everyone thinks only of giving, giving, giving, to give is marvellous, we’re dying of generosity, that’s what it is. The biggest world problem of all time is this surfeit of generosity and friendship that doesn’t manage to flow properly through a circulation system that’s let us down, God knows why, so much so that the big river in question is reduced to flowing out of the urinary ducts. In a way I’m invisibly carrying inside me prodigious fruits that sing inside with decay and I can’t give everything to Gros-Câlin because pythons are an extremely sober kind of species and Blondine the mouse isn’t someone with big needs, the palm of the hand is sufficient for her. Around me there’s a terrible absence of palms of hands.
J’avais oublié Blondine, la souris blanche, censée nourrir le python, que Cousin ne se résout cependant pas à ‘sacrifier’. Ici encore on comprend vite le point de vue éthique sur la souris blanche de luxe -la souris désignant aussi en français une fille-, Gros-Câlin, l’organe de la virilité, et la faiblesse masculine vue comme une qualité : “J’ai acheté une souris blanche mais celle-ci changea de nature dès que je l’ai sortie de sa boîte dans mon habitat. Elle prit brusquement un aspect personnel important, lorsque j’ai senti ses moustaches au creux de ma main. Je vis seul, et je l’ai appelé Blondine, à cause, justement, de personne. Je vais toujours au plus pressé. Plus je la sentais petite au creux de ma main et plus elle grandissait et mon habitat en devint soudain tout occupé. Elle avait des oreilles transparentes roses et un minuscule museau tout frais et ce sont là chez un homme seul des choses qui ne trompent pas et qui prennent des proportions, à cause de la tendresse et de la féminité. Quand ce n’est pas là, ça ne fait que grandir, ça prend toute la place. Je l’avais achetée en la choisissant blanche et de luxe pour la donner à Gros-Câlin, mais je n’avais pas la force masculine nécessaire. Je suis un faible, je le dis sans me vanter. Je n’ai aucun mérite à ça, je le constate, c’est tout. Il y a même des moments où je me sens si faible qu’il doit y avoir une erreur et comme je ne sais pas ce que j’entends par là, c’est vous dire son étendue.”
I had forgotten Blondine, the white mouse, meant to nourish the python, but whom Cousin cannot bring himself to ‘sacrifice’. Here once again we quickly understand the ethical message concerning this pedigree white mouse – a mouse in French also connotes a girl – Gros-Câlin is the organ of masculinity, and masculine weakness is seen as a quality: “I bought a white mouse but she changed her nature as soon as I took it out of the box at home. She quickly took on a significant personal presence, when I sensed her whiskers in the palm of my hand. I live alone, and I called her Blondine, after no-one at all. I always deal with what’s most urgent. The more I felt her, small in the palm of my hand, and the more she grew and my home suddenly became occupied by her. She had transparent pink ears and a minute nose all cold and these are kinds of things that a single man doesn’t miss and they take on proportions because of the tenderness and the femininity. When it’s not there, it just grows, it takes the entire space. I chose white and pedigree when I bought her to give to Gros-Câlin, but I didn’t have the necessary masculine force. I’m weak, I say it without putting myself forward. I’ve got no merit in that, I point it out, that’s all. There are even moments when I feel so weak that there must be a mistake and as I don’t know what I mean by that, it’s up to you to say what it means.”
Connaissez-vous la chanson de Georges Moustaki, Ma Solitude?
“Non, je ne suis jamais seul, avec ma solitude
Je m’en suis fait presque une amie, une douce habitude…”
Il y a une parenté. À croire que la solitude n’est pas une maladie orpheline.
Romain Gary a écrit une trentaine de livres, dont certains en anglais. Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma, notamment Clair de femme (1979) par Costa-Gavras, avec Yves Montand et Romy Schneider dans les rôles principaux, et La Vie devant soi (1977) par Moshé Mizrahi, qui remporta l’Oscar du meilleur film étranger, et dans le rôle de Madame Rosa, Simone Signoret remporta le César de la meilleure actrice.
Do you know the song by Georges Moustaki, Ma Solitude?
“No, I’m never alone, with my solitude
I even made a friend of it, a gentle habit…”
There’s an ancestor. Which leads us to believe that loneliness is no orphan of an affliction.
Romain Gary wrote some thirty books, some of them in English. Several of his films have been adapted for the cinema, notably Clair de femme (1979) by Costa-Gavras, with Yves Montand and Romy Schneider in the principal roles and La vie devant soi (1977) by Moshé Mzirahi, which won the Oscar for best foreign film, and in the role of Madame Rosa, Simone Signoret won the Cesar for best actress.