Version Ralentie
Marcel Aymé a grandi à la campagne, dans le Jura, sur un terroir illustrant ce qu’on appelle ‘la France profonde’ par mépris, il faut le dire – par rapport à une France qui serait celle des Lumières, celle des villes, une France qui serait “civilisée”. Mais quelle joie de s’enfoncer, à la lecture des oeuvres de Marcel Aymé, dans le coeur du pays, des villages, des familles, des gens.
Marcel Aymé grew up in the countryside, in the Jura, in a region that is, it has to be said, an illustration of what people call mistrustfully deepest France – in contrast with the France of the Enlightenment, that of the towns, the France that’s considered civilised. But what a pleasure it is to plunge, by reading the works of Marcel Aymé, into the heart of the countryside, the villages, the families, the people.
Il a écrit de nombreux romans, des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre où, s’il faut lui donner une place dans la tradition littéraire, on le situe parmi Rabelais, La Fontaine, Molière, Balzac, Voltaire, Gide. C’est dire le mélange d’humour, de finesse d’observation, d’imagination, d’habileté littéraire, de grandeur d’âme que l’on apprécie en le lisant.
Discret, à l’écart des honneurs, Marcel Aymé a refusé presque simultanément l’Académie française et la Légion d’honneur. Voici ce qu’il répondit le 28 février 1950 à François Mauriac: “Je vous suis très reconnaissant d’avoir pensé à moi pour le Quai Conti et de l’avoir écrit dans Le Figaro littéraire. Avec beaucoup d’émoi, je réponds à votre “clin d’œil” qui me rend très fier. Pourtant, je dois vous dire que je ne me sens pas l’étoffe d’un académicien. En tant qu’écrivain, j’ai toujours vécu très seul, à l’écart de mes confrères mais pas du tout par orgueil, bien au contraire, plutôt par timidité et indolence aussi. Que deviendrais-je si je me trouvais dans un groupe de quarante écrivains? J’en perdrais la tête et à coup sûr, je n’arriverais pas à lire mon discours. Ainsi feriez-vous une piètre acquisition…”
Il nous laisse de nombreux ouvrages, rassemblés dans une édition de la Pléiade. Pour n’en citer que quelques-uns:Les Contes du Chat Perché, le Passe-Muraille, la Traversée de Paris, la Jument verte, le Chemin des Ecoliers, la Vouivre. Plusieurs romans ont une dimension fantastique, dont le Passe-muraille, la Jument verte, la Vouivre. Plusieurs se passent à la campagne, d’autres à Paris sous l’Occupation nazie. Plusieurs ont été adaptés au cinéma. De la Vouivre un film a été tiré en 1989 par Georges Wilson.
He wrote numerous novels, short stories, fairy stories and plays, which, if you had to assign him a place in literary tradition, put him alongside Rabelais, La Fontaine, Molière, Balzac, Voltaire and Gide. That’s to say it’s the mixture of humour, acute observation, imagination, literary skill and greatness of spirit that you appreciate when reading him.
Discrete, a stranger to honours, Marcel Aymé almost simultaneously refused entry into the Académie Française and the Légion d’honneur. This was his reply on February 28 1950 to François Mauriac: “I’m very grateful that you thought of me for Quai Conti and wrote so in Le Figaro littéraire. It’s with lots of emotion, that I reply to the plug you gave me, it made me very proud. Yet, I have to tell you that I don’t feel I’m made for the academician’s robes. As a writer, I’ve always lived very alone, away from my fellow practitioners, but not through pride, on the contrary, more because of shyness, and laziness too. What would become of me if I found myself in a group of forty writers? I’d lose my head and, it’s absolutely certain, I wouldn’t manage to read my speech. Thus you’d be making a meagre acquisition…”
He left us numerous works, collected in a Pléiade volume. To cite just a few: The Wonderful Farm The Man Who Walked Through Walls, Crossing Paris, The Green Mare, The Schoolboy Way, The Sorceress. Several novels have a fantastic side to them, including The Man Who Walked Through Walls, The Green Mare, The Sorceress. Several took place in the countryside, others in Paris under the Nazi Occupation. Several have been adapted for cinema. George Wilson adapted The Sorceress for cinema in 1989.
La Vouivre (1944)
Dans ce roman, nous sommes dans le Jura, après la Première Guerre Mondiale. A l’époque, les campagnes sont encore très peuplées. La terre est cultivée, soigneusement ensemencée. Non seulement elle fait vivre les hommes, les bêtes mais elle nourrit aussi les esprits de croyances et de légendes dans une atmosphère de paganisme. On est d’emblée dans le fantastique.
The Sorceress (1944)
In this novel we’re in the Jura after the First World War. At the time, the countryside is still heavily-populated. The earth is cultivated, carefully seeded. Not only does it feed man and beast, but it nourishes the soul with beliefs and legends in a pagan atmosphere. Right from the outset we’re in a fantastic world.
Le personnage de la Vouivre vient d’une légende comtoise, comme l’explique l’auteur au début du roman:
-Vouivre, en patois de Franche-Comté, est l’équivalent du vieux mot français “guivre” qui signifie serpent. La Vouivre des campagnes jurassiennes, c’est à proprement parler la fille aux serpents. Sur la Vouivre, on possède des références solides, des témoignages clairs, concordants.Indifférente aux travaux des hommes, elle parcourt les monts et les plaines du Jura, se baignant aux rivières, aux torrents, aux lacs, aux étangs. Elle porte sur ses cheveux un diadème orné d’un gros rubis, si pur que tout l’or du monde suffirait à peine à en payer le prix. Ce trésor, la Vouivre ne s’en sépare jamais que pendant le temps de ses ablutions. Avant d’entrer dans l’eau, elle ôte son diadème et l’abandonne avec sa robe sur le rivage. C’est l’instant que choisissent les audacieux pour tenter de s’emparer du joyau, mais l’entreprise est presque sûrement vouée à l’échec. A peine le ravisseur a-t-il pris la fuite que des milliers de serpents, surgis de toutes parts, se mettent à ses trousses et la seule chance qu’il ait alors de sauver sa peau est de se défaire du rubis en jetant loin de lui le diadème de la Vouivre. Certains, auxquels le désir d’être riche fait perdre la tête, ne se résignent pas à lâcher leur butin et se laissent dévorer par les serpents.
The character of the Sorceress comes from a legend from the Comté region, as the author explains at the beginning of the book:
-Vouivre, in the patois of Franche-Comté, is the equivalent of the old French word “guivre” which means snake. The Sorceress of the Jura countryside is strictly speaking the daughters of snakes. There are solid references to the Sorceress, clear and concordant testimonies. Unconcerned by the activities of man, she travels across the mountains and valleys of the Jura, bathing in the rivers, the torrents, the lakes or the ponds. She wears on her hair a diadem containing a huge ruby, so pure that all the gold in the world would scarcely suffice to pay the price. The Sorceress never parts from this treasure except when she’s bathing. Before entering the water she takes offer her tiara and leaves it with her dress on the river bank. It’s at the moment that the brave try to make off with the jewel, but the initiative is almost certainly destined to fail. Scarcely has the thief made off than thousands of snakes rise up from all sides and chase after his swag and the only chance he has of saving his skin is to get rid of the ruby by throwing the Sorceress’s tiara as far away as possible. Some, whose desire to become rich leads to madness, cannot bring themselves to give up their gains and allow themselves to be eaten by the serpents.
A part la Vouivre, Arsène est le personnage principal, qui dirige la ferme de sa mère, Louise, avec son frère Victor, depuis que leur père et leurs deux frères aînés ont péri à la guerre. “Les horreurs de la guerre”, comme on dit, restent le lot de l’humanité ordinaire. C’est comme ça, une sorte de fatalité avec laquelle il faut faire.
-Il se souvenait très bien de ses deux frères aînés, Denis et Vincent, morts à la guerre à un an d’intervalle. Ils étaient, l’un caporal, l’autre simple soldat dans la même compagnie, au 44ème d’infanterie, le fameux régiment de Sambre-et-Meuse, qui avait son dépôt à Lons-le-Saunier. Denis, le caporal, avait une douceur, une gentillesse de coeur et de manières, qui le faisaient aimer de tous ceux qui l’approchaient. A sa dernière permission, un soir que sa mère, Louise, faisait pour lui des projets d’avenir, il avait eu un sourire triste et sur son visage d’enfant brillait la lumière discrète d’un présage. Il tombait un mois plus tard, au Chemin-de-Dames. Vincent, calme et renfermé, avait une force de volonté, une autorité naturelle, qui s’imposait aux autres sans qu’il parût jamais s’y efforcer. Dans sa famille on le craignait un peu, comme aujourd’hui Arsène. En permission, il ne parlait jamais de la guerre et, dès en arrivant, se mettait à vaquer aux travaux de la ferme comme s’il eût repris une besogne lâchée la veille. On conservait, parmi d’autres lettres, celle où il informait que son frère venait d’être tué. C’était la relation des circonstances de sa mort avec des renseignements topographiques sur l’endroit où il reposait, le tout tirant au plus court, sans la moindre effusion sentimentale. Lui-même était tué l’année suivante en Champagne et son corps ne devait jamais être retrouvé. Après la guerre, son frère seul était rentré au village et reposait sous une dalle où étaient gravés leurs deux noms. A Vaux-le-Dévers, on disait qu’Arsène ressemblait à son frère Vincent et lui-même aimait à le croire.”
Comme les guerres, les hommes se suivent et se ressemblent. A quoi bon s’étonner de ce qui va et vient, ici ou là, chez les uns, chez les autres, anges ou démons?
Apart from the Sorceress, Arsene is the main character, he runs his mother Louise’s farm with his brother Victor, since his father and their two elder brothers died in the war. “The horrors of war”, as they say, remain the lot of ordinary people. It’s like that, a sort of inevitability you have to have to live with.
-He remembered his two elder brothers Denis and Vincent very clearly, they died in the war one year apart. One was a corporal, the other a simple soldier in the same company, in the 44th infantry, the famous Sambre-et-Meuse regiment, which had its base in Lons-le-Saunier. Denis, the corporal, had a softness, a gentleness of heart and of manners, which made him loved by all those came by him. On his last leave, one evening when his mother Louise was making plans for him for the future, he had a sad smile and on his childlike face shone the discrete light of a premonition. He fell a month later, in Chemin-de-Dames. Vincent, calm and closed, had a willpower, a natural authority, which imposed itself on others without ever seeming forced. In his family they feared him a little, like Arsène today. On leave, he never spoke of the war and as soon as he arrived, he got down to work on the farm as if he were picking up on chores that he’d set down the day before. They kept, among other letters, the one in which he gave the news that his brother had just been killed. It was the story of the circumstances of his death, with topographical information about the place where he was laid to rest, the whole thing as short as possible, without the slightest emotional outpouring. He himself was killed the following year and his body must never have been recovered. After the war, only his brother was brought back to the village and laid to rest under a tombstone on which both their names were engraved. At Vaux-le-Déversn, people said Arsène resembled his brother Vincent and he himself like to think so.”
Like wars, men follow on from each other and resemble each other. Why be surprised by what comes and goes, here or there, with some people, with others, angles or demons?
Le jour où Arsène rencontre la Vouivre pour la première fois, d’autres événements préoccupants surviennent. Le travail est pénible dans les champs à cause de la chaleur. Le chien de la ferme est blessé dans une bagarre avec celui des voisins. Or on a besoin du chien pour garder la ferme, garder les vaches dans les prés. Et puis les voisins sont des ennemis héréditaires, alors c’est une offense qu’il faut digérer.
-Arsène fut amené à se souvenir de la Vouivre, mais l’apparition du matin, en regard de la bataille de chiens, était de peu d’importance. Tout ce qui passe au fil de la vie sans pouvoir s’y mêler ne mérite pas qu’on s’y arrête sérieusement. La question se posait de savoir s’il s’agissait bien d’un être surnaturel. Arsène n’en doutait pas. Il l’admettait tranquillement et n’en tirait pas de conséquense. Il avait logé l’apparition dans un coin de sa cervelle, une sorte de compartiment étanche où elle ne risquait pas de déranger son univers. Le surnaturel n’étant pas d’un usage pratique et régulier, il était sage et décent de n’en pas tenir compte. Personellement, Arsène avait toujours été choqué par les Evangiles. Cette façon des apôtres d’aller raconter les miracles qu’ils avaient vus lui paraissait inconvenante. A leur place, il n’aurait rien dit. Etre poli et bien éduqué, c’est justement ça, garder pour soi les histoires qui pourraient déranger le monde.
Le monde paysan se présente ici dans un système de rivalités mal définies, ambigües, la rivalité de deux familles voisines dont certains membres -les jeunes gens- sont pourtant attirés les uns par les autres, la rivalité des deux frères, Victor et Arsène, celle aussi du curé(religieux certes, mais ayant le sens des affaires) et du maire socialiste, anticlérical mais déstabilisé par certains mystères et prompt à chercher secours dans la ferveur religieuse pour calmer ses angoisses. Il y a Germaine Mindeur, une mangeuse d’hommes surnommée ‘la dévorante’, à tel point que le curé ne veut plus l’entendre en confession. Il y a Belette, la fille de ferme, à peine mieux traitée que le chien, sauf par Arsène qui lui apprend à compter, mais sévèrement, comme un maître d’école.
Il y a un aspect social là-dedans. L’instruction n’est pas donnée aux pauvres, ni aux filles. Lorsque Arsène envisage de donner son congé au vieux serviteur Urbain, qui a passé toute sa vie à la ferme, il doit affronter non seulement son frère Victor (“Un homme qui a tout fait pour nous, et pour toi plus que pour personne, le renvoyer comme un chien le jour où les forces commencent de lui manquer après trente ans de services.”, mais aussi sa mère, Louise (“Qu’est-ce que vous iriez faire d’aller vivre ailleurs que chez nous? Ici c’est bien la vraie place qui vous revient.”) et Urbain lui-même, effrayé de devoir partir. L’idée même de la retraite n’existe pas en ce temps-là. Mais Arsène tient tête à Victor (“Ce que tu voudrais, c’est profiter d’Urbain tant qu’il pourra encore aller et, si peu que ce soit, gagner sur lui jusqu’à tant qu’il crève comme une bête dans son fond d’écurie. Mais, moi ici, on ne verra pas ça.”) et il construit une petite maison pour Urbain, avec l’aide bénévole du maçon et du charpentier, une maison dont Urbain est le propriétaire! Alors Urbain réalise son bonheur (“Sans cesse il sortait de sa maison pour en faire le tour, y rentrait, arpentait les deux pièces, ne se lassant pas d’ouvrir et de fermer les fenêtres. Urbain sentait son coeur s’élargir. Il lui semblait voir fleurir sa maison.”)
The day Arsène met the Sorceress for the first time, other preoccupying events intervene. The work is hard in the fields because of the heat. The farm’s dog is wounded in a fight with that of the neighbours. But the dog is needed to protect the farm, to protect the cows in the fields. And then the neighbours are age old enemies, so it’s an insult that has to be digested.
-Arsène was brought to remind himself of the Sorcerer, but her appearance in the morning, relative to the dog fight, was of little importance. Everything that happened during his life but didn’t really involve him didn’t warrant serious reflection. The question was whether or not it really was a supernatural being. Arsène had no doubt. He accepted it calmly and didn’t draw any conclusions. He had stashed away the vision in a corner of his brain, a sort of sealed compartment where there was no danger of it disturbing his world. The supernatural not being of practical and regular use, it was wise and decent not to take any notice of it. Personally, Arsène had always been shocked by the Evangelists. The way the apostles had of talking about miracles they’d seen seemed to him to be inconvenient. In their position, he wouldn’t have said anything. Being polite and well educated was just that, keeping to yourself stories that might upset the world.
The world of the countryside is presented here in a system of ill-defined rivalries, ambiguous, the rivalry between two neighbouring families of whom certain members – the young people – are nevertheless attracted to one another, the rivalry between the two brothers Victor and Arsène, that too of the priest (religious to be sure, but with a sense of business) and the socialist mayor, anticlerical but unhinged by certain mysteries and quick to seek salvation in religious fervour to calm his anguish. There’s Germaine Mindeur, nicknamed “The Devourer”, a man-eater to such an extent that the Bishop no longer wants to hear her in confession. There’s Belette, the daughter of the farm, scarcely better treated than the dog, except by Arsène who teaches her to count, but severely, like a schoolmaster.
There’s a social agenda behind this. Education isn’t given to the poor or to girls. When Arsène contemplates dismissing the elderly servant Urbain, who’s spent all his life in the farm, he has to confront not just his brother Victor (“A man who has done everything for us, and for you more than anyone, sent away like a dog the day his strength starts to leave him after thirty years of service,” but also his mother Louise (“What would you be doing going to live away from our home? The place you really merit is here”) and Urbain himself, frightened at having to leave. The idea even of retirement didn’t exist in those days. But Arsène squares up to Victor. (“What you’d like is to take advantage of Urbain as long as he can keep going and, however little it might be, profit from him until he collapses like an animal in the depths of his stable. But, with me here, we won’t see that.”) and he builds a little house for Urbain, with the volunteer help of a mason and a carpenter, a house of which Urbain is the owner! So Urbain achieves happiness. (“Unceasingly he left his house to walk around it, go back in, size up the two rooms, he didn’t stop opening and closing the windows. Urbain felt his heart expand. It seemed to him that his house was flowering.”)
Et Requiem, le fossoyeur? Justement surnommé… Requiem est amoureux – et c’est tout un poème. A Arsène qui le ramène de la foire de Dôle en cariole et qui lui dit -à l’inverse de tout le monde- un mot gentil sur la Robidet, vieille prostituée, pocharde comme lui mais qu’il voit comme une princesse, voici ce que propose généreusement Requiem :
-Arrêtons-nous chez Judet. On ira boire une bouteille ensemble. C’est moi qui paie.
-Ce ne serait pas de refus, mais on m’attend chez moi et je suis déjà en retard. Tu vois, c’est sans façons. A une autre fois, puisqu’on est de se revoir.
Requiem regretta. Son coeur débordait de reconnaissance. Emu d’un sentiment paternel à l’égard d’Arsène, il voulut le lui témoigner et déclara:
-Si tu es que tu doives mourir avant moi, Arsène, tu auras une fosse comme pas bien du monde en aura eu. Retiens bien ça. Tout en disant, avec les deux mains en couperet, il dessinait les pans de la fosse et leur fuite rectiligne.
-Je te remercie, répondit Arsène sans ironie. A l’occasion, je ne dis pas non.
Juste et compatissant, Arsène semble inébranlable. C’est un esprit pratique. Il reste à hauteur d’homme, sur son terrain. Face à la vie éternelle et oisive de la Vouivre, le paysan a le sens des réalités et sait que le temps est compté. Ainsi dans sa relation à la Vouivre:
-La Vouivre avait compté que l’après-midi serait tout entière au plaisir, mais Arsène se leva et dit en bouclant sa ceinture:
-S’amuser, c’est bien beau, mais le temps passe et le travail attend.
Elle eut une moue de contrariété, qui laissait paraître aussi un peu de mépris. L’air sérieux, presque sévère, il ajouta d’un ton sentencieux qui semblait annoncer un sermon:
– Le travail, ce n’est pas une chose qui se laisse oublier. Demain matin, les faneurs seront sur le pré et s’ils ne trouvent pas du foin par terre, je n’aurai pas fait ce que je devais. Non, le travail, comme je dis, ce n’est pas une chose qui se laisse oublier.
Si la vie se manifeste à l’évidence, en toute liberté, dans ses aspects les plus débridés, les plus sauvages des relations humaines, Marcel Aymé attire aussi notre attention sur les rapports les plus ténus, les plus délicats, les plus “vraiment” extraordinaires, comme le révèle le dénouement du roman. Il faut le lire pour bien comprendre. C’est une fin “sans commentaire”, conforme à l’image que l’on a de la personnalité de l’auteur et que vient renforcer l’anecdote suivante, extraite du livre “Les silences de Marcel Aymé”, un recueil de témoignages écrit par André Beucler en 1998.
-Alors que sa pièce “Lucienne et le boucher” allait atteindre la centième représentation, André Gide manifesta un jour le désir de la voir et le fit savoir au théâtre du Vieux-Colombier, où il se sentait toujours un peu chez lui. Très satisfait de ce qu’il avait vu et entendu, Gide ne résista pas au plaisir d’aller féliciter Valentine Tessier dans sa loge, et là, par chance, la charmante comédienne, radieuse comme toujours, lui présenta Marcel Aymé, entré par hasard selon son habitude. Enchanté de cette rencontre inespérée, car il ne connaissait même pas l’auteur de vue, Gide s’empressa de le complimenter, en mettant l’accent sur les moments de la pièce qui l’avaient particulièrement enchanté et réjoui. Marcel Aymé ne réagit pas, Gide insiste, vante les qualités du dialogue, l’originalité de l’intrigue, le développement subtil du thème proposé, l’excellence de la distribution et la légitimité du succès. Marcel Aymé ne réagit toujours pas. Il rougit un peu, hoche vaguement la tête, mais ne tente à aucun instant de s’exprimer. Si bien que Gide, assez perplexe, tend sa main, prend congé de l’actrice et disparaît lentement. Le lendemain, dans le bureau de Gaston Gallimard, qui devait me le répéter le soir même, Gide, toujours préoccupé, ne manqua pas de raconter la chose, telle qu’il l’avait vécue et finit par conclure, non sans désappointement : “Je crois que Marcel Aymé n’aime pas ce que j’écris !”
And Requiem the grave digger? Appropriately named… Requiem is in love and it’s a poetic tale. To Arsène, who is bringing him back from the Dole Fair in a cart and who says – unlike everyone else – kind words about Robidet, the old prostitute, a boozer like him, but who he sees as a princess, here’s what Requiem generously suggests:
-Let’s stop at Judet’s. We’ll drink a bottle together. I’ll pay.
-I wouldn’t says no, but they’re waiting for me at home and I’m already behind, you see, I’m not messing you about. Another time, because we should see each other.
Requiem was disappointed. His heart was overflowing with recognition. Moved with paternal feeling towards Arsène, he wanted to turn to him and declare.
-If it should happen that you must die before me Arsène, you’ll have a grave unlike everyone else’s. Remember that well.
While saying it, with his two hands like a cleaver, he drew the form of the grave, its sides and the perpendicular drainage.
-Thank you, replied Arsène, not without irony. When the time comes I won’t say no.
Fair and compassionate, Arsène appears to be unshakeable. His is a practical spirit. He keeps a human face, down to earth. Confronted with the eternal and lazy life of the Sorcerer, the peasant has a sense of reality and time that’s limited. Thus in his relationship with the Sorcerer:
-The Sorcerer had banked on all the afternoon being dedicated to pleasure, but Arsène got up and said while buckling his belt:
-Having fun is all very well, but time’s moving on and work awaits.
She had the pout of someone who’s not got her own way, which also revealed a certain mistrust. Looking serious, almost severe, he added with a pompous tone which seemed to announce a sermon:
-Work is not something that can simply be forgotten. Tomorrow morning the hoers will be on the field and if they don’t find hay on the ground, I won’t have done what I should have. No, work, as I say, isn’t something that can be left forgotten.
If life is shown as it is, uncompromisingly, including its most unbridled aspects, the savage side to human relationships, Marcel Aymé also attracts our attention to the most solid relationships, the most delicate, those which are really extraordinary, as revealed in the climax of the novel. You need to read it to understand it. It’s an end without commentary, true to the impression we get of the author’s personality, and comes in confirmation of the following anecdote, extracted from the book “The Silences of Marcel Aymé”, a collection of memories written by André Beucler in 1998.
-When his play “Lucienne and the butcher” was coming to its one hundredth performance, André Gide one day expressed a wish to see it and let it be known at the Vieux-Colombier Theatre, where he always felt like he was a little bit at home. Very happy with what he saw and heard, Gide couldn’t resist the temptation to go and congratulate Valentine Tessier in her dressing room, and there by chance, the charming actress, radiant as ever, introduced him to Marcel Aymé, who’d come in on the off chance as was his habit. Enchanted by this unexpected meeting, because he didn’t even know the author by sight, Gide was quick to compliment him, putting the emphasis on the moments in the play that had particularly enchanted and pleased him. Marcel Aymé didn’t react, Gide persisted, praising the quality of the dialogue, the originality of the plot, the subtle development of the theme, the excellence of the casting and the worthiness of the success. Marcel Aymé still didn’t react. He blushed a little, nodded his head a little, but didn’t express himself at all. To the point that Gide, a little perplexed, offered his hand, took leave of the actress and disappeared slowly. The next day in Gaston Gallimard’s office – I think he must have told me about it that evening – Gide, still preoccupied, was quick to tell the story, as he’d lived it and ended up concluding, not without disappointment: “I think Marcel Aymé doesn’t like what I write!”