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Camus (1913-1960). Albert Camus est né à Mondovi, en Algérie, d’un père alsacien, ouvrier caviste, et d’une mère espagnole. La Première Guerre mondiale lui arrache son père dès 1914 à la bataille de la Marne, rendant sa jeunesse difficile, en Algérie. Puis il vient à Paris pour des études supérieures. La Seconde Guerre le pousse aux côtés de la Résistance, dans le réseau “Combat”.
Camus (1913-1960). Albert Camus was born in Mondovi in Algeria to an Alsatian father, a cellar man, and a Spanish mother. The First World War robbed him of his father in 1914 at the battle of the Marne, making his childhood in Algeria difficult. Then he came to Paris for higher education. The Second World War pushed him into the resistance, in the “Combat” network.
Il devient écrivain dans les années 40 à 45, composant L’Étranger, Caligula, Le Mythe de Sisyphe, trois oeuvres marquées par ses expériences de jeunesse et de guerre – on y observe l’injustice, la cruauté, l’indifférence, l’absurdité des événements, mais toujours une réflexion profonde sur le sens de la vie et sur ce qui doit la sauver.
En 1957, Albert Camus reçoit le prix Nobel de littérature à l’âge de quarante-trois ans.
Prenant position sur les grands débats de son temps, comme la bombe atomique, la colonisation, la peine de mort, il est aussi critique sur la violence des révoltés. Dans sa pièce Les Justes, il met en question le terrorisme justicier et meurtrier.
Par son type de questionnement, par ses doutes, Camus se présente comme un humaniste, c’est-à-dire qu’il ne perd pas de vue l’essence de l’être humain, y compris quand les comportements les plus monstrueux et les plus bestiaux semblent nier l’humanité.
Eugène Ionesco écrit dans Notes et Contre-Notes : “Je pense à Camus : j’ai à peine connu Camus. Je lui ai parlé une fois, deux fois. Pourtant, sa mort laisse en moi un vide énorme. Nous avions tellement besoin de ce juste. Il était, tout naturellement, dans la vérité. Il ne se laissait pas prendre par le courant; il n’était pas une girouette; il pouvait être un point de repère.”
He became a writer between 1940 and 1945, writing The Outsider, Caligula and the Myth of Sisyphus, three works marked by his experiences of youth and war – you find in them injustice, cruelty, indifference, the absurdity of events, but always a profound reflection about the meaning of life and what is needed to redeem it.
In 1957, Albert Camus won the Nobel Prize for Literature at the age of 43.
He took stands on the major issues of his day, such as nuclear weapons, colonisation, the death penalty, and was also critical of revolutionary violence. In his play The Just Assassins, he calls into doubt righteous and murderous terrorism.
Through his style of questioning, through his doubts, Camus sets himself out as a humanist, that’s to say he never loses sight of the essence of what it is to be human, even when the most monstrous and savage attitudes seem to be a denial of humanity.
Eugène Ionesco wrote in Notes and Counter Notes: “I think about Camus: I hardly know Camus. I spoke to him once, twice. And yet his death leaves an enormous hole in me. We needed this just man so much. He was like that naturally, in truth. He didn’t let himself be swayed by the flow; he wasn’t a weather vane; he was capable of being a reference point.”
Caligula – pièce en 4 actes
L’action se situe à Rome, sous le règne du jeune empereur Caligula. Au début de la pièce, Caligula est introuvable. Ses proches le cherchent partout, dans le palais, dans la ville, dans la campagne. Il a disparu, fou de douleur, à la mort de sa maîtresse Drusilla. Lorsqu’il réapparaît, hagard, il est métamorphosé en un tyran sanguinaire. Il se met à terroriser les patriciens, à déconcerter ses amis. Est-il fou? Est-il lucide sur le comportement hypocrite de son entourage? A-t-il décidé de pousser jusqu’à l’extrême l’absurdité du spectacle de la vie condamnée à mort inéluctablement? La question n’est pas simple à trancher. Il a bien des raisons de haïr la vie qui l’entoure quotidiennement. Il oscille entre colère et ironie.
Il y a la lâcheté des uns. On a le temps, au fil de la pièce, d’observer les patriciens, les riches courtisans.
Caligula – a play in four acts
The action takes place in Rome, under the reign of the young emperor Caligula. At the beginning of the play, Caligula can’t be found. Those close to him look for him everywhere, in the palace, in the town, in the countryside. He has disappeared, wild with pain over the death of his mistress Drusilla. When he comes back, haggard, he’s been transformed into a bloody tyrant. He starts terrorising the elders, unsettle his friends. Is he mad? Is he aware of the hypocritical attitude of those around him? Has he decided to push to the extreme the absurdity of life’s pageant, with its ineluctable death sentence? The question isn’t easy to resolve. He has good reason to hate the daily life that surrounds him. He oscillates between anger and irony.
There is the cowardly attitude of some. Throughout the play we have time to observe the elders, the rich courtiers.
Caligula (brutalement): Tu as l’air de mauvaise humeur. Serait-ce parce que j’ai fait mourir ton fils?
Lepidus (la gorge serrée): Mais non, Caïus, au contraire.
Caligula (épanoui): Au contraire! Ah! que j’aime que le visage démente les soucis du coeur. Ton visage est triste. Mais ton coeur? Au contraire, n’est-ce pas, Lepidus?
Lepidus (résolument): Au contraire, César.
Il y a le mensonge des autres. Effectivement personne ne contrarie sa logique. Les patriciens qui prétendent vouloir donner tout ce qu’ils ont pour que la santé de Caligula s’améliore, sont pris à leur propre hypocrisie.
Deuxième patricien: Oh! dieux tout-puissants, je fais voeu, s’il se rétablit, de verser deux cent mille sesterces au trésor de l’État.
Troisième patricien (exagéré): Jupiter, prends ma vie en échange de la sienne.
(Caligula est entré depuis un moment. Il écoute.)
Caligula (s’avançant vers le deuxième patricien): J’accepte ton offrande, Lucius. Je te remercie. Mon trésorier se présentera demain chez toi. (Il va vers le troisième patricien et l’embrasse). Tu ne peux savoir comme je suis ému. (Un silence et tendrement.) Tu m’aimes donc?
Troisième patricien (pénétré): Ah! César, il n’est rien que, pour toi, je ne donnerais sur l’heure.
Caligula (l’embrassant encore): Ah! ceci est trop, Cassius, et je n’ai pas mérité tant d’amour. (Cassius fait un geste de protestation.) Non, non, te dis-je. J’en suis indigne. (Il appelle deux gardes.) Emmenez-le. (À Cassius, doucement.) Va, ami. Et souviens-toi que Caligula t’a donné son coeur.
Troisième patricien (vaguement inquiet): Mais où m’emmènent-ils?
Caligula : À la mort, voyons. Tu as donné ta vie pour la mienne. Moi, je me sens mieux maintenant. /…/ (Se retournant, soudain sérieux). La vie, mon ami, si tu l’avais assez aimée, tu ne l’aurais pas jouée avec tant d’imprudence.
Et que veut donc Caligula? – La lune! Autant dire l’impossible. Peut-être la vie et l’amour éternel de Drusilla. Or tous les hommes sont mortels. Alors, Caligula n’ayant pas le pouvoir de faire durer les choses, use du pouvoir qu’il a de les détruire. Vengeance, désespoir, folie nihiliste? Le jeune Scipion a une idée là-dessus. Lui n’a pas peur.
Scipion : Je puis nier une chose sans me croire obligé de la salir ou de retirer aux autres le droit d’y croire.
Caligula (brutally): You seem to be in a bad mood. Would it be because I had your son killed?
Lepidus (his throat choking): But no Caïus, on the contrary.
Caligula (radiant): On the contrary! How I like a face that contradicts the heart’s woes. Your face is sad. But your heart? On the contrary, isn’t that right, Lepidus?
Lepidus (resolutely): On the contrary, Caesar.
There are the lies of the others. The truth is that nobody opposes his logic. The elders who pretend they want to give all they have so that Caligula’s health improves, are victims of their on hypocrisy.
Second elder: Oh! Almighty God, I vow that if he gets better, I will give 200 000 sestertia to the state treasury.
Third elder (exaggerating): Jupiter, take my life in exchange for his.
(Caligula has entered for a little while. He listens.)
Caligula (advancing towards the second elder): I accept your offer, Lucius. I thank you. My treasurer will come round to your place tomorrow. (He goes towards the third elder and hugs him). You can’t imagine how moved I am. (Silence then tenderly). You love me, then?
Third elder (touched): Ah! Caesar, there’s nothing that I wouldn’t give to you right away.
Caligula (hugging him more): Oh this is too much Cassius, and I didn’t deserve so much love. (Cassius makes a protesting gesture). No, no I tell you. I am not worthy. (He calls two guards). Take him away. (To Cassius, softly). Go friend, and remember that Caligula has given you his heart.
Third elder (vaguely worried): But where are the taking me?
Caligula: To your death, you see. You gave your life for mine. I feel better now. /…/ (turning round, suddenly serious). My friend, if you’d loved life enough, you wouldn’t have played so recklessly with it.
So what does Caligula want? – the moon! In other words, the impossible. Maybe the life and eternal love of Drusilla. Because all humans are mortal. So because Caligula doesn’t have the power to make things last, he uses what power he has to destroy them. Vengeance, despair, nihilistic madness? The young Scipion has an idea about the subject. He’s not frightened.
Scipion: I can’t deny something without feeling like I’ve had to denigrate it or remove other peoples’ right to believe in it.
La remise en cause de la haine aveugle est seule capable de faire barrage à Caligula. Si Caligula est le maître au jeu de la force, Scipion le dépasse en magnanimité.
Caligula : Qu’est-ce qu’un tyran?
Scipion : Une âme aveugle. La haine ne compense pas la haine. Le pouvoir n’est pas une solution.
Et très logiquement, il arrive que . Petit à petit, un contre-pouvoir se met en place fatalement. Les courtisans espèrent d’abord la mort naturelle du tyran, mais sans illusions…
Troisième patricien : On m’a dit que Caligula était très malade.
Premier patricien : Il l’est
Troisième patricien : Qu’a-t-il donc? (Avec ravissement.) Par tous les dieux, va-t-il mourir?
Premier patricien : Je ne crois pas. Sa maladie n’est mortelle que pour les autres.
… puis ils acceptent de participer à un complot pour abattre Caligula, lequel se montre conscient de prendre dans l’histoire la place qui lui revient. Fatale destinée.
Selon les propres mots de l’auteur : “Caligula est l’histoire d’un suicide supérieur. C’est l’histoire de la plus humaine et de la plus tragique des erreurs. Infidèle à l’homme, par fidélité à lui-même, Caligula consent à mourir pour avoir compris qu’aucun être ne peut se sauver tout seul et qu’on ne peut être libre contre les autres hommes.”
(Albert Camus – Théâtre 1944)
The questioning of blind hatred is the only way to block Caligula. If Caligula is the master of force, Scipion goes beyond him through magnanimity.
Caligula: What is a tyrant?
Scipion: A blind spirit. Hatred is no compensation for hatred. Power is not a solution.
And quite logically, what happens is that power blocks power. Little by little, a fatal forces of opposition become established. First the courtiers hope for the natural death of the tyrant, but without many illusions…
Third elder: I’ve heard Caligula is very ill.
First elder: He is.
Third elder: What’s he got then? (Eagerly). In the name of all the gods is he going to die?
First elder: I don’t think so. His illness is only fatal for other people.
… then they agree to participate in a plot to kill Caligula, who shows himself to be aware he’s playing a role traced out for him by history. Fatal destiny.
According to the words of the author himself: “Caligula is the story of a higher form of suicide. It’s the story of the most human and tragic of errors. Unfaithful to humanity, through fidelity to himself, Caligula agrees to die because he’s understood that no being can save himself alone and that one cannot win freedom by opposing other people.”
(Albert Camus – Theatre, 1944)