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Écrivain romancier, essayiste, Daniel Pennac connaît d’abord le succès avec la série des Malaussène : Au bonheur des ogres (1985)La Fée carabine (1987)La Petite Marchande de prose (1989), trois livres dont Benjamin Malaussène est le héros populaire, travaillant tantôt dans une maison d’édition pour annoncer aux auteurs que leurs manuscrits sont refusés, tantôt dans un grand magasin pour recevoir les réclamations des clients mécontents. Des situations très risquées qui entraînent bien des péripéties, parfois horribles, toujours drôles tant le style est truculent, plein d’humour et d’amour finalement. Les histoires se déroulent toujours à Belleville dans le XXe arrondissement de Paris, quartier populaire de Ménilmontant, très agité, haut en couleur, où Pennac habite et qu’il rend plus vrai que nature dans ses romans.
Novelist and essay writer, Daniel Pennac first enjoyed success with the Malaussène saga – The Scapegoat (1985), The Fairy Gunmother (1987), Write to Kill (1989), three books featuring people’s champion Benjamin Malaussène, whose jobs include working in a publishing house as the person who tells authors their manuscripts have been rejected, or in department stores to listen to the complaints of unhappy customers. Very risky situations which lead to lots of incidents, sometimes horrible ones, always amusing, thanks to the earthy style, full of humour and in the end love. The stories always take place in Belleville in the 22nd district of Paris, in the working class area of Ménilmontant, a highly charged place and full of colour, where Pennac still lives and which he renders larger than life through his novels.
Depuis 1985 sa bibliographie n’a cessé d’augmenter. Un lecteur passionné nous en parle:
– Je l’ai découvert par ‘Le Bonheur des ogres’ et c’est un livre qui m’a marqué. C’était à part. C’était en Série Noire -donc une série policière, à l’époque, enfin un roman noir plus exactement, et ce que j’aime chez Pennac, c’est ses personnages qui sont empreints d’humanité, tous ses romans sont empreints d’humanité. Et c’est un bonheur aussi de la langue et du verbe parce que ses personnages sont truculents. On rit, on pleure et c’est vraiment une littérature, bon, assez jouissive, moi je trouve. Et c’est abordable très tôt, quoi. Moi je conseille de commencer par ‘La Fée Carabine’et autrement il y a la littérature pour enfants, Cabot-Caboche, L’oeil du loup, et tout… Les Kamo. Enfin, il y a énormément de choses. Moi, ce qui m’intéresse, effectivement chez Pennac, c’est la richesse de la langue mais qui reste à un niveau très très compréhensible, voilà.
Pennac reçoit en 2007 le prix Renaudot pour un essai : Chagrin d’école
Au terme d’une carrière de Professeur de français dans l’enseignement secondaire, Pennac connaît parfaitement les ressorts de l’enseignement, l’état de la scolarité dans les quartiers difficiles, les difficultés des élèves. Chagrin d’école exprime la compassion du professeur pour les élèves en difficulté et particulièrement pour les cancres, c’est-à-dire les mauvais élèves. En tant que prof, il fait valoir le point de vue du cancre, et il y parvient d’autant mieux qu’il est lui-même un ancien cancre. Eh oui, sa scolarité jusqu’au bac a été un calvaire, et cela sans raison apparente.
Since 1985 his bibliography has expanded steadily. An admiring reader spoke to us about it:
-I discovered him through “The Scapegoat” and it was a book that made an impact on me. It was something different. At that time it was in the Série Noire -so in a detective series, well a thriller to be more exact- and what I like about Pennac is his characters charged with humanity, all his books are charged with humanity. And it’s the pleasure of the language and the choice of words because his characters are delightful. You laugh, you cry and it’s really a style of writing that’s full of joy, I think. And it’s quickly accessible too. I advise beginning with The Fairy Gunmother and otherwise there’s the literature for children, Dog, Eye of the Wolf and so on… the Kamo books. Well there’s an enormous number of things. What interests me about Pennac is the wealth of the language that remains at a level that’s very very understandable, that’s what it is.
In 2007 he received the Renaudot prize for an essay: Schoolsick.
At the end of a career as teacher of French in secondary schools, Pennac knows the world of teaching perfectly, the level of education in difficult areas, the difficulties that children have. Schoolsick describes the compassion of a teacher for pupils in difficulty and particularly for the dunces, that’s to say the poor pupils. From a teacher’s perspective, he brings to the fore the point of view of the dunce, and manages to do so all the better because he himself was one. Yes indeed, education up to the Baccalaureate was living death, and for no obvious reason.
-Bien entendu se pose la question de la cause originelle. D’où venait ma cancrerie? Enfant de bourgeoisie d’État, issu d’une famille aimante, sans conflit, entouré d’adultes responsables qui m’aidaient à faire mes devoirs… Père polytechnicien, mère au foyer, pas de divorce, pas d’alcooliques, pas de caractériels, pas de tares héréditaires, trois frères bacheliers (des matheux, bientôt deux ingénieurs et un officier) rythme familial régulier, nourriture saine, bibliothèque à la maison, culture ambiante conforme au milieu et à l’époque (père et mère nés avant 1914) : peinture jusqu’aux impressionnistes, poésie jusqu’à Mallarmé, musique jusqu’à Debussy, romans russes, l’inévitable période Teilhard de Chardin, Joyce et Cioran pour toute audace… Propos de table calmes, rieurs, cultivés.Et pourtant, un cancre.
Il fut “sauvé” par trois professeurs, trois enseignants d’exception qui refusèrent la fatalité de sa cancrerie et obtinrent de lui des résultats. Il fut sauvé par ses lectures. Il fut sauvé finalement par son premier amour.
-Of course the question arises, what was the original cause? Where did my duncehood come from? Child of the bourgeois civil service, coming from a loving family, without conflict, surrounded by responsible adults who helped me with my homework… Father from the Ecole Polytechnique, mother at home, no divorce, no alcoholics, no difficult characters, no hereditary defects, three brothers with their Baccalaureate (mathematicians, soon to become two engineers and an officer), regular family rhythm, healthy food, library in the house, cultural surroundings appropriate to the background and the era (father and mother born before 1914): painting as far as the impressionists, poetry as far as Mallarmé, music as far as Debussy, Russian novels, the inevitable Teilhard de Chardin phase, Joyce and Cioran for a bit of daring… Table talk calm, laughter-filled, cultivated. And yet, a dunce.
He was saved by three teachers, three exceptional teachers who refused to believe in the inevitability of his duncehood and got the first results out of him. He was saved by reading. And finally he was saved by his first love.
-Une femme m’aimait! Pour la première fois de ma vie mon nom résonnait à mes propres oreilles! Une femme m’appelait par mon nom! J’existais aux yeux d’une femme, dans son coeur, entre ses mains et déjà dans ses souvenirs, son premier regard du lendemain me le disait! Choisi parmi tous les autres! Moi! Préféré! Moi! Par elle! (Une élève d’hypokhâgne, qui plus est, quand j’allais redoubler ma terminale!) Mes derniers barrages sautèrent: tous les livres lus nuitamment, ces milliers de pages pour la plupart effacées de ma mémoire, ces connaissances stockées à l’insu de tous et de moi-même, enfouies sous tant de couches d’oubli, de renoncement et d’autodénigrement, ce magma de mots bouillonnant d’idées, de sentiments, de savoirs en tout genre, fit soudain exploser la croûte d’infamie et jaillit dans ma cervelle qui prit des allures de firmament étoilé!
Interrogé sur la souffrance affective du cancre, Daniel Pennac répond :
– L’échec se paye en déficit d’amour. C’est-à-dire que l’enfant en échec scolaire peut à la rigueur susciter comme ça de la bienveillance, etc., mais très très souvent, chez les gens un peu faibles, il y perd en amour, il est moins facile à aimer pour les parents, pour les professeurs.
Fort de ses expériences d’élève en souffrance et de professeur, Daniel Pennac a réfléchi, consigné ses souvenirs et ses techniques d’enseignement adapté à tous, même aux cas les plus désespérés. Il fait appel, par exemple, à la logique grammaticale.
– Quelle que soit la matière qu’il enseigne, un professeur découvre très vite qu’à chaque question posée, l’élève interrogé dispose de trois réponses possibles : la juste, la fausse et l’absurde.En quatrième, par exemple, l’ami Sami.
-A woman loved me! For the fist time in my life my name rung in my ears. A woman called me by my name! I existed in the eyes of a woman, in her heart, between her hand and in her memories already, her first glance the next day told me so! Chosen from among all the others! Me! Preferred! Me! By her! (A prep school girl, all the more remarkable since I was retaking my final year exams). My last barriers were tumbling: all the books read at night, the thousands of pages for the most part erased from my memory, this knowledge stocked unbeknown to everyone and even myself, nestled beneath so many layers of forgetfulness, of renunciation and self-denigration, this magma of words bubbling with ideas, of feelings, of knowledge of all different types, suddenly exploded the outer crust of infamy and gushed out into my brain which took on the form of a starry firmament.
Asked about the emotional suffering of the dunce, Daniel Pennac replies:
-The cost of failure is a lack of love. That’s to say a child who fails at school can at a push attract goodwill, and so on, but very very often, with people who are a little weak, they lose out on love, they’re less easy to love for the parent, for teachers.
Strengthened by his experience as a suffering pupil and as a teacher, Daniel Pennac has reflected and passed on his memories and teaching methods, adapted to everyone, even the most desperate cases. He calls on grammatical logic, for example.
-Whatever subject he teaches, the teacher discovers very quickly that for every question asked, the pupil being interrogated has three possible replies: the correct one, the false one and the absurd one. In the fourth year, for example, our friend Sami.
– Vraiment, m’sieur, c’est vraiment.
– Qu’est-ce qui te fait dire que ‘vraiment’ est un verbe?
– Ça se termine par -ent!
– Et à l’infinitif, ça donne quoi?
– …?
– Allez, vas-y! Qu’est-ce que ça donne? Un verbe du premier groupe? Le verbe ‘vraimer’? Je vraime, tu vraimes, il vraime?
– …
-Vraiment, sir, it’s vraiment.-What makes you think that “vraiment” is a verb?
-It ends in -ent!
-And the infinitive, what does that become?
-…?
-Go on, go on! What does that become? A verb in the first group? The verb “vraimer”? Je vraiment, tu vraimes, il vraime?
-…?
La réponse absurde se distingue de la fausse en ce qu’elle ne procède d’aucune tentative de raisonnement.”
Patiemment et intelligemment, Pennac démonte le mécanisme de la cancrerie et tente de persuader les cancres de ne pas renoncer. Habitué à entendre “je suis trop bête”, “je suis nul”, “je n’y arriverai jamais”, il discute, négocie, s’intéresse aux crises de découragement. Nathalie est en larme parce qu’elle ne comprend pas la subordonnée conjonctive de concession et d’opposition.
-La…subordonnée-conjonctive de concession et d’opposition?
Silence.
Ne pas rigoler.
Surtout ne pas rire.
Nathalie pleure à chaude larmes.
The absurd reply is different from the wrong reply in that there’s no prior attempt to reason.
Patiently and intelligently, Pennac shows the mechanisms behind duncehood and tries to persuade dunces not to give up. Used to hearing “I am too stupid” “I’m useless” “I’ll never manage” he discusses, negotiates, takes an interest in the crises of demotivation. Nathalie is in tears because she doesn’t understand subordinate conjunctions marking concession and opposition
-The subordinate-conjunction-of-concession-and-opposition?
Silence.
Don’t burst out laughing.
Whatever you do don’t laugh.
Nathalie is in a flood of warm tears.
– Ça y est, le professeur est enclenché : comment consoler une gamine avec une leçon de grammaire? Voyons voir… Tu as bien cinq minutes, Nathalie, viens ici que je t’explique. Classe vide, assieds-toi, écoute-moi bien, c’est tout simple… Elle s’assied, elle m’écoute, c’est tout simple. Ça y est? Tu as compris? Donne-moi un exemple, pour voir. Exemple juste. Elle a compris. Bon. Ça va mieux? Eh bien! pas du tout, ça ne va pas mieux du tout, nouvelle crise de larmes, des sanglots gros comme ça, et tout à coup cette phrase, que je n’ai jamais oubliée:
– Vous ne vous rendez pas compte, Monsieur, j’ai douze ans et demi et je n’ai rien fait.”
Obstiné, Pennac fait apprendre par coeur à ses élèves des pages de belle littérature, comme des défis lancés et relevés. Maintenant il lui arrive de croiser des anciens élèves qui lui récitent un texte dans la rue, comme un bon souvenir.
Souvenirs de confiance et de compassion. Invention d’un autre temps, d’un autre temps…
– Il faudrait inventer un autre temps pour l’apprentissage. Le présent d’incarnation, par exemple. Je suis ici, dans cette classe, et je comprends, enfin! Ça y est! mon cerveau diffuse dans mon corps : ça s’incarne. Quand ce n’est pas le cas, quand je n’y comprends rien, je me délite sur place, je me désintègre dans ce temps qui ne passe pas, je tombe en poussière et le moindre souffle m’éparpille. Seulement, pour que la connaissance ait une chance de s’incarner dans le présent d’un cours, il faut cesser d’y brandir le passé comme une honte et l’avenir comme un châtiment.”
-There we are, the teacher is engaged: how do you console a little girl with a grammar lesson? Let’s see… You’ve got five minutes, Nathalie, come here I will explain it to you. The classroom is empty, sit down, lesson to me very carefully, it’s all very simple… She sits down, she listens to me, it’s very simple. Is that OK? Have you understood? Give me an example, to check. The example is right. She’s understood. Good. Is that better? Well not at all, it’s not better at all, there’s a new crisis of tears, big tears like that, and then this sentence that I’ve never forgotten.
-You don’t understand sir, I’m twelve and a half years old and I’ve not done anything.
Obstinate, Pennac has his pupils learn by heart pages of fine literature like a challenge to be launched and overcome. Now it sometimes happens that he bumps into former pupils who recite him the text in the street, like a fond memory.
Memories of trust and compassion. An invention from another era, another verb tense…
-A new tense should be invented for learning. The Present Incarnation, for example. I am here, in this class, and I understand at last! There we are! My brain spreads around my body: it becomes incarnated. When it’s not the case, when I don’t understand anything, I crumble on the spot, I disintegrate in this tense which won’t go away, I collapse into dust and the slightest blow scatters me. It’s just that in order for knowledge to have a chance to become incarnated in the present during a lesson, you have to stop branding the past as a source of shame and the future as a form of punishment.