Version Ralentie
Shhh … silence…
Oui, il faut faire silence parce que l’enjeu est sérieux. C’est l’homme contre l’ordinateur aujourd’hui, dans ces parties de dames.
Il est question des dames, mais on ne parle pas du sexe féminin, bien sûr, il s’agit du jeu de dames. Ce jeu de stratégie et de psychologie se joue dans les bistrots du monde entier, probablement.
Le concours s’est déroulé à La Roche sur Yon, dans le cadre du championnat de France.
Le représentant des êtres humains est N’Diaga Samb, le grand maître sénégalais, onzième joueur mondial. Il a confiance en sa supériorité. A propos de l’ordinateur, il dit:
En calcul et en mathématique il est très fort, il voit toutes les combinaisons et tout et tout… par contre côté stratégie, ça lui manque un peu.
En face, l’ordinateur s’appelle ‘Buggy’ et son concepteur Nicolas Guibert est lui-même un ancien champion de France. Contrairement aux échecs, jusqu’ici on n’avait jamais vu un ordinateur battre les grands maîtres de dames. Mais justement, c’est pour ça que Guibert a commencé à développer son logiciel il y a trois ans …
Pour le challenge à la fois côté jeu de dames et côté informatique et logique, et mathématique, parce que pour faire un programme de jeu de dames il y a des tas de problèmes à résoudre. Il y a d’une part la difficulté de faire apprendre au logiciel la stratégie du jeu, lui transmettre la connaissance théorique, la théorie du jeu, quelles sont les bonnes cases, quelles sont les bonnes structures. Et la deuxième chose c’est tout ce qui a à voir avec l’algorithme … pour que le logiciel calcule le plus de positions par seconde et le plus efficacement possible en choisissant les positions les plus intéressantes à calculer.
Et s’il reconnaît que Buggy a toujours quelques faiblesses, il exprime une fierté paternelle pour sa création:
Il y a deux types de surprises, il y a les surprises quand c’est une manoeuvre tactique, c’est-à-dire à court terme, une combinaison que nous, humains, n’avons pas vue, des manoeuvres calculatoires, c’est un domaine dans lequel les ordinateurs sont plus forts que les hommes, .. et parfois il y a des mauvaises surprises plutôt dans le domaine stratégique, c’est-à-dire dans le domaine du long terme, dans le domaine de la compréhension du jeu, où les logiciels parfois jouent des mauvais coups parce qu’ils ne comprennent pas la stratégie du jeu. Le plus agréable c’est quand l’ordinateur arrive à innover dans la stratégie alors que c’est le point fort de l’homme. Le véritable challenge, il est là.
Il y a à peu près un millier de joueurs de dames au niveau ‘club’ en France, qui se situe honorablement sur l’échelle mondiale. Jean Luc Violeau est un des organisateurs du championnat:
La France se situe correctement, je dirais au dessus de la moyenne. Par contre il faut bien reconnaître qu’il y a des pays que sont mieux placés au niveau du nombre de joueurs, notamment les pays nordiques, par exemple la Hollande et aussi les pays de l’Est comme l’ancienne Union Soviétique, c’est-à-dire l’Ukraine, etc.
Et si vous avez l’idée que dans la hiérarchie de la noblesse des jeux, les dames sont les parents pauvres des échecs, Jean Luc est là pour vous détromper:
C’est une mauvaise idée qui a été répandue, mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, si le jeu de dames est basé sur des règles simples, au départ, il se complique énormément par la suite quand on veut progresser et atteindre un niveau élevé.
Aux échecs on peut voir facilement tout l’échiquier puisque les pièces sont différentes, tandis qu’aux dames tous les pions se ressemblent, et, en fait, la puissance du jeu vient de la position relative des pièces les unes par rapport aux autres.
Les concurrents de ce championnat sont fiers de leur jeu, qui, pour eux, a une élégance et une simplicité imbattable.
Tous les pions sont les mêmes et à partir de là, la valeur d’une position n’est pas liée à la valeur d’une pièce, mais il y a des schémas stratégiques qui sont pour moi très jolis, voilà.
Les qualités des bons joueurs ça serait .. avoir envie de jouer … avoir envie de jouer. Pas faire une partie sans y mettre du coeur, sans y mettre de la volonté.
Pour participer au plaisir il faut d’abord se procurer un vrai damier, parce que les pros ne jouent pas avec un damier à 64 cases comme aux échecs (quelle trahison!), mais avec un damier à 100 cases. Et puis, pour améliorer votre jeu, vous pouvez toujours écouter quelques conseils d’experts.
Aux dames, le meilleur plan est d’occuper le centre du damier et à partir de cette base-là, restant groupé, on va constituer ce qu’on peut appeler des colonnes de pionnage qui vont nous permettre d’attaquer l’adversaire pour essayer de lui donner un, deux ou trois pions pour lui en prendre deux, trois ou quatre. C’est-à-dire qu’on essaie de donner, à un moment donné, des pions à condition de pouvoir ultérieurement en récupérer davantage, bien entendu.
Mais la stratégie centrale n’est pas forcément la seule stratégie… puisque certaines parties, partant de certaines positions, permettent d’encercler l’adversaire. Alors quelquefois, celui qui croit tenir le centre se faire encerclé et risque de se fait déborder d’un côté du damier.
Mais si un jour les ordinateurs battaient les hommes, est-ce que ça gâcherait le plaisir?
Du tout. Parce que c’est pas un joueur humain et le plaisir entre deux joueurs humains sera toujours le même; ça change rien.
Je prends plaisir à jouer, moi, avec un joueur, pas avec un ordinateur. Qu’il soit plus fort que l’homme, c’est pas… c’est normal, ça, il calcule. C’est comme ça.
N’Diaga Samb, lui aussi, donne l’impression de vouloir retourner au corps à corps dès que possible.
On a l’impression de jouer avec le vide quoi, c’est la différence. Alors que si je suis avec un être humain, vous pouvez, disons, constater ses émotions, ses sentiments durant le match.
Et le résultat de la lutte entre l’homme et la machine? Actuellement, N’Diaga Samb mène Buggy 1-0.
Dimanche, on aura le résultat final.
Addendum: C’est N’Diaga Samb qui a gagné 2-0 contre Buggy.