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Ca se passe de commentaire quand on voit des embarcations de 18 mètres de long et de 4 mètres de large. Dans un état de conservation, surtout en particulier celle du nord, l’épave quatre, extrêmement spectaculaire.
Grégoire Ayala jette un regard admiratif sur sa découverte. Quatre navires romains datant du Ier ou du IIème siècle après Jésus Christ sont là dans le sable, reposant au fond du grand chantier d’un futur parking souterrain. Du chêne et du sapin de l’époque de Marc Aurèle, dans un état tellement frais qu’il ferait croire pour un peu à des bateaux prêts à naviguer.
C’est du jamais- vu en France et il est probable que le plus grand des quatre bateaux est pour l’instant unique au monde.
Alors, c’est une découverte exceptionnelle fondamentale. Il y a pas d’équivalent en France. Ca place déjà le.. ça dresse déjà le décor*. Une seule, un seul chaland* découvert à Lyon, il y a une dizaine d’années, mais dont on n’a prélevé qu’une infime partie. Donc c’est une découverte qui n’a pas de précédent en France, bon il faut retrouver? il faut aller dans la basse vallée du Rhin, pour, je crois, trouver des équivalents, mais je crois que la plus importante est assez unique. Enfin, quant à ses dimensions.
M. Ayala dirige une équipe de l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Ils sont appelés pour contrôler les chantiers dans des endroits qui s’avèrent d’intérêt historique. C’était le cas quand on a décidé de construire un parking souterrain à côté de l’église Saint-Georges sur un quai de la Saône dans le centre de Lyon. Mais quel effet ça fait, quand on tombe sur un trésor archéologique comme celui-ci?
On tombe pas dessus, on continue, enfin, on a un processus d’intervention ici qui est lié à la construction du Parc. Donc on intervient régulièrement à certains endroits en fonction de cotes qu’ils nous imposent, par rapport à cette construction. Donc nous, on nous avait donné un point à descendre -bon, on est toujours extrêmement vigilants-, de découverte de bois puisqu’on a déjà trouvé une épave du 18ème siècle, donc bien sûr maintenant dès qu’on voit un morceau de bois on est extrêmement vigilants donc ça a été le cas pour le premier morceau de bois venant de l’épave du milieu que vous voyez là, et qu’on appelle l’épave deux. Et celui-ci, on a vérifié qu’il y avait des clous, donc petit à petit on a dégagé autour et puis on a trouvé l’épave trois et puis après on est parti de l’autre côté et on a dégagé l’épave quatre et après l’épave cinq. On a fait des sondages un petit peu vers le nord, ça s’arrête. Heureusement pour les archéologues parce qu’ils ont déjà beaucoup à faire avec toute cette flottille-là qu’on vient de sortir.
On peut avoir une bonne idée de l’âge de ces bateaux?.
Par la stratigraphie, c’est-à-dire on a daté. Ce qui est dessus date ce qui est dessous. Donc on avait au-dessus une berge de l’antiquité tardive disons du troisième, du troisième siècle après Jésus Christ, pas si tardive que ça quand même, et donc forcément ce qui était dessous était avant. Et après tout le matériel, les céramiques environnantes, quelques éléments monétaires, ont fait que? bon? confirment, cette datation -des deux premiers siècles de notre ère-, peut être centrée maintenant sur le deuxième siècle après Jésus Christ.
Et on arrivera à une estimation plus précise?
Avec le bois, la datation absolue obtenue par dendrochronologie*.
C’est tout une équipe qui travaille côte à côte avec des ouvriers du parking, qui eux ont un regard aussi fier sur leur découverte que les spécialistes.
On est six archéologues, et il y a pelleteurs, terrassiers, conducteurs d’engin, etc.
Alors je suis géomorphologue donc je m’occupe des sédiments et de comprendre comment ils se sont mis en place, par rapport à l’occupation humaine, donc là on est en plein dans un domaine fluvial. On est au bord de la Saône donc je relève les couches de sable pour comprendre comment s’est formée la berge de la Saône sur laquelle sont venus s’installer les hommes, donc comprendre quel type de courant, donc si on est dans ? quand on a des cailloutis* par exemple on peut dire que la Saône coulait à cet endroit-là, c’est ce qu’on appelle la charge du fond d’une rivière. Puis les sables se déposent, ils forment des berges sur lesquelles s’installe l’homme.
Bon, pour l’instant on voit que les bateaux se sont déposés sur un banc et ont adopté la forme du banc, postérieurement à leur dépôt ils devaient être chargés de sable après une crue, et ils se sont déformés à cause du poids et de l’eau qui est passée sur leur partie la plus proche du chenal. Alors maintenant on essaie de comprendre si c’est un échouage*, si les bateaux ont été emportés par la crue, où s’ils sont amarrés à un port et qu’ils étaient abandonnés plus ou moins. On essaie de comprendre le contexte dans lequel ils sont? où on les retrouve aujourd’hui.
Ah ben, c’est un travail d’équipe, et puis on travaille avec des collaborateurs, des professeurs d’université ou du CNRS*.On discute et on essaie de faire des hypothèses, de confronter à la fois les hypothèses purement archéologiques aux hypothèses purement sédimentologiques et d’essayer de reconstituer tout ça.
Marc , tu m’as pas dit que ce serait fini ce soir ?
On n’a pas dit que ça serait fini, non ?
J’ai mal compris ? Que la cinq serait évacuée ?
En fin de semaine avec la six. On avait dit que?
Ah, j’avais compris ce soir.
Non, ce soir, ah, quoi que?
Ah, il faut parce que comme ça ?
Ca peut?
Aujourd’hui et demain il faut les relevés 3D Marcus, hein ?
Il y a une espèce de course contre la montre on peut dire qui s’est? qui a débuté il y a quatre mois, un mois pardon, et puis tenir compte aussi que nous sommes? nous faisons de la fouille préventive, de l’archéologie préventive donc nous sommes tributaires d’un délai d’intervention. Donc tout retard de délai, eh bien, occasionne un surcoût.
Pour l’instant on est actifs au processus de démontage de ces embarcations parce qu’il y a une altération naturelle qui se fait du fait que ces barques là, ces chalands, comme on les appelle, sont dégagés depuis un mois. On va les déposer, on va les prélever, les dégager. Alors celle-ci par exemple, la plus importante fait trente tonnes, donc on peut pas les dégager bout à bout, donc on va les découper, par section. Et les transporter, enfin les déplacer par grues, par convoi, peut-être exceptionnels, on verra et les transporter au laboratoire de Grenoble Arc Nuclearc qui lui va s’occuper de sa restauration. Donc heureusement que nous sommes à une période favorable, mais cet été il y aurait eu un problème de conservation énorme, avec la canicule que l’on a connue.
Reste à essayer de décrypter l’histoire autour de la découverte. D’abord sur l’endroit:
Le secteur a été marqué par un port à l’époque moderne. Est-ce que ce port reprenait une? un port médiéval qui lui-même était héritier d’une création antique ? Bon, ça, on pourrait éventuellement opter pour l’existence d’un port antique, mais nous sommes en bord de Saône, une Saône qui à l’époque n’est pas canalisée. Donc on a un paysage, un environnement naturel qui était peu propice à une installation portuaire telle que l’on la conçoit. Donc est-ce que là on n’aurait pas simplement un débarcadère qui a servi pour? de façon ponctuelle, un appontement qui a servi de façon ponctuelle.
Ces grands navires ont sûrement eu des cargaisons importantes, donc on spécule sur un usage dans la construction :
Lyon, enfin Lugdunum, au premier siècle deuxième siècle, a rang de capitale donc, ça chalande, ça se construit, et l’époque d’Hadrien était très importante en construction, donc peut-être des matériaux de construction, mais il ne faut rien exclure, ça, c’est un domaine qui dépasse les compétences enfin les limites de notre observation archéologique et disons que pour l’instant aucun indice ne permet de déduire la nature de la cargaison qui a été transportée dans ces embarcations.
Même si la rigueur scientifique n’admet pas la fantaisie, les non-spécialistes ont le droit de rêver et, c’est vrai qu’à l’époque il y avait énormément de construction :
Un n?ud de communications donc routier, communication fluviale aussi, donc un rang de capitale avec une parure de monuments, aussi bien l’amphithéâtre, aussi bien le crypto portique avec le temple à Rome et Auguste au-dessus de nous sur la colline de Fourvière donc.
Au chantier on voit, tristement, que le plus grand des bateaux à été sectionné lors du coulage d’une paroi de béton préalable à l’ouverture du chantier. Mais, M. Ayala reste philosophe :
Nous sommes intégrés à la construction du parc de stationnement, donc celle-ci a commencé avant l’arrivée des archéologues par ce mur qui ceinture l’ensemble du parking et qui a opéré comme un couperet sur toutes les structures, toutes les couches. Bon, il n’y aurait pas eu de parking il y aurait* pas eu de fouilles archéologiques, et en fait il y a un parking et ce mur limite l’arrivée de l’eau de Saône, donc de la nappe phréatique, donc on fouille au sec.
Ca c’est un? on fouille au sec des embarcations qui en théorie devraient être recouvertes d’eau.
Pour le grand public, la découverte de ces navires est un événement spectaculaire. Mais les professionnels sont tellement engagés dans une vision plus large de leur travail qu’ils ont un regard pour ces objets comme celui d’un parent pour un enfant surdoué. On peut l’admirer, mais il ne faut pas oublier les autres?
Oui, c’est ce que j’ai découvert de plus important. Mais pour l’archéologue c’est pas tant l’objet qui est important, c’est de comprendre le site, dont on lui a confié la responsabilité. Alors chaque fois que je fais une fouille, si on? le dernier jour de fouille je me dis, eh bien, tu as compris ton site, tu vas pouvoir restituer toutes ses informations, ça c’est la meilleure, pour moi, c’est la plus belle récompense de l’action de l’effort qu’on a mené au cours de cette fouille.
Vous savez l’essentiel de notre métier c’est pas tant de découvrir des bateaux, forcément, mais c’est de restituer l’histoire du secteur sur lequel nous intervenons, donc toute information qui concourt à restituer cette histoire est assez émouvante.
Moi, j’ai suivi la plupart des travaux sur la presqu’île lyonnaise et, depuis 1985, donc, l’intérêt ça a été de découvrir comment, où étaient les tracés du Rhône et de la Saône, parce qu’on est dans une ville de confluence et en fait on s’est aperçu que la ville était très différente au début de la conquête gallo romaine et notamment que le Rhône était très puissant et avait construit plein de bras dans la presqu’île et venait rejoindre la Saône dans ce secteur avant le début de notre ère donc voilà pourquoi la colonie romaine est descendue dans la presqu’île, n’est descendue des collines dans la presqu’île qu’une fois qu’elle a pu stabiliser tous ces anciens chenaux surtout les chenaux du Rhône. Donc elle les a stabilisés avec des enforts, des remblais. Elle a exhaussé, en même temps elle a profité d’une amélioration climatique qui fait que le Rhône était moins, moins, je dirais, envahissant sur sa rive droite. Et c’est comme ça qu’on a pu faire le lien entre une forte occupation sur la colline et le début de la colonisation des basses terres, des terres inondables, à la fois parce que l’homme s’en est mêlé et à la fois parce que le Rhône était moins puissant.
Ca va prendre encore quelques semaines pour extraire les bateaux?
Je pense qu’on va réveillonner avec!
Mais si vous n’avez pas la chance de passer devant le chantier, il va falloir patienter pour les revoir :
Comptez sur une dizaine d’années. C’est très long à restaurer? oui ce serait le v?u -à l’issue de ma carrière avant de partir en retraite, j’espère-, de les voir exposés dans un musée où un local, de les voir quelque part restaurés. Parce qu’il y a tout… c’est… c’est plus qu’une fouille c’est une espèce d’aventure exceptionnelle.