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On est intégrés par ceux qui nous vendent les produits et c’est les mêmes qui nous rachètent le produit derrière, hein… Et ils nous disent : «L’engrais ou les semences qu’on te vend, ils valent tant et tu n’as rien à dire parce que tu es tout petit et que tu es tout seul.» Et ils te rachètent tes céréales ou ton lait ou ton cochon. Ils disent : «On te le rachète tel prix et tu n’as rien à dire parce que tu es tout seul, tout petit, etc.» Donc, là, tu es au milieu, tu n’as même pas la sécurité d’un salarié. Un salarié, il a au moins la sécurité du salaire.
Il faut que les agriculteurs refassent de l’agronomie pour être en liens privilégiés avec la nature. Les agriculteurs, depuis des siècles et des siècles, sont en liens étroits avec la nature, et puis ce qui à cause de la chimie, ces 40, 50 dernières années, a fait qu’on s’est éloigné de l’agronomie, avec les OGM, eh bien c’est un pas de plus.
Gérard Boinon, de la fédération paysanne exprime sa colère contre les OGM – les organismes génétiquement modifiés – et contre le système d’industrialisation de l’agriculture dont ils sont devenus le symbole.
Des sondages montrent qu’une grande majorité d’Européens sont opposés à leur introduction sur le continent. Et pourtant la Commission Européenne se prépare à donner son feu vert à leur importation. On n’a pas besoin d’être prophète pour constater que des conflits durs s’annoncent. Hervé Kempf, journaliste au Monde et auteur de ‘La Guerre Secrète des OGM’:
Eh bien, il y a, du côté de la commission, une volonté très forte de faire passer les OGM et de montrer que le processus réglementaire d’autorisation fonctionne, et les gouvernements, certains d’entre eux, sont pour les OGM, d’ailleurs souvent pour des raisons de politique internationale pour ne pas se heurter aux États-Unis ou alors parce qu’ils croient que les OGM et la bio technologie végétale est une technologie d’avenir, et que donc, il ne faut pas s’y opposer.
On a toujours une interrogation sur quelle est l’influence sanitaire, par exemple, sur les allergies qui sont en plein développement dans tous les pays développés d’aliments transgéniques pour des gens qui en consommeraient longtemps, régulièrement, quel effet ça aurait au bout de 5, 6, 7 ans? Et ça, on ne le sait pas, et on ne le sait pas parce qu’il n’y a pas d’études suffisantes qui sont menées sur le sujet. On sait que pour un certain nombre de plantes, par exemple le colza, il y a des très fortes possibilités de dissémination et de transformation, en quelque sorte, de la plante OGM, la plante transgénique en mauvaises herbes, c’est-à-dire en herbes envahissantes, et par ailleurs, sur les OGM qui sont résistants aux pesticides – c’est difficile à expliquer en quelques mots, mais en gros, on voit que sur le plan écologique la résistance aux herbicides va poser problème et que, en quelque sorte, le caractère transgénique des plantes commence à être inefficace. Donc il y a toujours quand même des questions écologiques et environnementales qui se posent sur les OGM et qui vont apparaître, je pense, de plus en plus nettement.
A première vue, le comportement d’une technocratie qui n’écoute pas la volonté de ses citoyens ne donne pas une image glorieuse de la démocratie moderne en Europe. Mais…
C’est compliqué. Ça montre déjà que la démocratie européenne fonctionne mieux que aux États-Unis puisque aux États-Unis il n’y a pas eu de débat et que les OGM sont passés en catimini * sans que le parlement ait été consulté, sans qu’il y ait eu un vrai débat, sans qu’il y ait eu une information auprès des médias ou des associations. En Europe on est quand même dans un cas où il y a eu énormément de débats, il y a eu des lois, il y a eu des règlements et où le débat continue. Donc voilà, c’est ça la démocratie, elle est en train de se faire, si vous voulez. C’est pas quelque chose qui s’est passé, ou dans le futur, c’est… la démocratie, elle est là.
Le gouvernement britannique s’annonce prêt, non seulement à importer les OGM mais à permettre leur culture commercialisée aussi. En France, c’est inévitable, on ironise beaucoup sur l’enthousiasme avec lequel les Britanniques s’apprêtent à adopter les projets venus d’outre atlantique, même si le cas Blair est toujours complexe.
Le gouvernement de M. Blair a fait quelque chose de très intéressant, c’est qu’il a lancé des études à long terme qui ont duré trois ans, il a lancé un débat et une consultation auprès de l’opinion, et il en est sorti des résultats très intéressants. Un des résultats qui en est sorti et c’est que, sur le plan scientifique les OGM posaient des problèmes par rapport à la biodiversité, et par ailleurs par rapport à l’opinion publique, ça a montré que il y avait quand même une très forte réticence de l’opinion publique anglaise à ce propos. Donc là, on a eu quand même un vrai exercice de démocratie et je le salue parce que ça ne s’est pas beaucoup fait dans d’autres pays. Cependant le gouvernement de M. Blair reste très favorable aux OGM, sans doute parce qu’ils veulent maintenir une amitié très particulière avec les États-Unis.
On a vu en France le célèbre militant José Bové aller en prison pour ses actions contre les OGM et d’autres procès sont en cours:
Les trois de Saint-Georges, c’est 3 paysans de la Confédération paysanne qui sont mis en examen. Le procès va avoir lieu prochainement à Vienne dans les mois qui viennent. Ils ont fauché un champ de colza OGM en 1997, ça a été le premier champ fauché en France. C’était un champ qui n’était pas très régulier au niveau de la déclaration. Il n’y avait pas de déclaration en mairie. Il y avait des erreurs, donc ils ont averti tout le monde. Après, un collectif s’est créé. Ils ont averti toutes les autorités, les ministères en demandant le fauchage de ce champ, et comme ça n’a pas eu lieu ils ont décidé de le faucher eux-mêmes. Ils peuvent risquer de lourdes peines, des peines de prison, de lourdes amendes. Donc c’est pour ça qu’un comité de soutien s’est créé, pour les aider moralement et financièrement.
Les défenseurs des OGM mettent en avant l’amélioration de la productivité qu’ils permettent. On a besoin d’utiliser moins de pesticides quand on travaille avec des OGM, donc on peut être plus efficace. Ces arguments ont du mal à convaincre les fermiers français:
Aujourd’hui, pour produire il faut produire toujours plus. Plus on en fait, plus les produits qu’on produit, au niveau des prix, ils chutent. Donc, pour compenser la chute des prix des produits agricoles, eh bien, on en fait un peu plus. Je crois que c’est le cercle infernal, et alors, plus on en fait, plus on a recours à des produits intrants, quoi, chimiques, pour pouvoir produire plus. Alors aujourd’hui il faut se reposer la question : ‘Est-ce qu’on a réellement besoin de produire plus ?’
Les mêmes questions se posent dans les pays en voie de développement. Certains voient dans les OGM une solution aux problèmes de sous-alimentation qui persistent aujourd’hui dans le monde. D’autres constatent que le problème des manques dans le monde est plus lié aux questions de distribution que à des questions de production. On dit aussi que des pays avec des populations largement agraires n’ont guère besoin des technologies dont le principal avantage est de diminuer le besoin de la main d’oeuvre: leurs économies ne seraient pas en mesure de gérer le chômage qui en résulterait.
Qui a raison, qui a tort? Ce serait un péché de refuser une technologie qui pourrait vraiment aider des gens en difficulté. Pour beaucoup de gens dans la communauté scientifique, il y a un vrai débat. Pour eux, le problème réside essentiellement dans la manière de poser les questions. Serge Le Bec:
Et je pense vraiment que la perception qu’a la population, et moi y compris d’ailleurs, de ces enjeux, est tout à fait faussée par la notion de brevet et donc d’argent. Je vis ça moi-même d’ailleurs dans la compagnie pharmaceutique et dans le monde pharmaceutique pour lequel je travaille. Et ça me met d’ailleurs à certains moments extrêmement mal à l’aise parce que il y a des problèmes qui sont de vrais problèmes globaux dont les solutions ne sont pas nécessairement extrêmement coûteuses mais qui ne vont pas rapporter d’argent et personne ne s’engage pour ces programmes. Quand on voit ce que l’OMS a réussi à faire pour éradiquer la polio, en fait personne, aucune compagnie privée n’aurait pris sur elle l’énorme chantier qui a été de faire le repérage, la vaccination, le suivi de l’efficacité, les revaccinations dans les zones où existaient des poches de résistance. Donc, la société civile devrait s’engager et demander à des scientifiques, toujours avec le contrôle de la société civile, de réaliser des travaux dont le but clairement serait de résoudre les problèmes de la société civile, et dont le but ne serait pas de faire de l’argent immédiatement pour l’un ou l’autre. Je pense que ce problème des OGM n’est que la préfiguration d’autres problèmes qui vont se poser, enfin, qui vont, finalement poser les mêmes enjeux. Et je pense qu’on ferait bien de réfléchir à bien résoudre le problème des OGM. Parce que si on trouve une façon d’asservir la recherche sur les OGM au bien-être global et non pas à l’enrichissement de l’une ou l’autre compagnie, en plus d’intégrer cette recherche de façon beaucoup plus globale en disant « tout n’est pas OGM, il y a d’autres solutions, il faut balancer*». Eh bien je pense que si on réussissait un modèle intégré avec une forte puissance de la société publique et civile comme moteur et comme contrôle, on se préparerait les solutions pour faire face aux problèmes qui arrivent demain, enfin aux problèmes et aux défis qui arrivent demain.
Quant à l’avenir, Hervé Kempf pense que le débat est loin d’être terminé:
Une chose qui me frappe, c’est que on cherche presque à imposer les OGM par lassitude mais pas réellement par conviction – vous trouverez très peu de réels défenseurs des OGM en Europe – et que en revanche on sent, par différents canaux par exemple le fait que de plus en plus de villes ou de régions se déclarent opposées aux OGM et disent «on veut être libres d’OGM, on veut faire des régions de culture sans OGM». Ça arrive en Italie, ça arrive en Autriche, ça arrive en Angleterre, ça arrive au Pays de Galles, ça arrive en France, ça arrive dans énormément de pays et donc on sent vraiment que derrière cette affaire des OGM maintenant il y a une opposition entre ce que veulent les gens, ce que veulent les peuples européens, et ce que veulent, ce qu’on pourrait appeler, la bureaucratie, les décideurs, etc. qui ne sont pas du tout en phase* avec ce que veulent les gens. Je suis journaliste, donc j’essaye de déjà parler du présent à peu près correctement et du passé, ce qui est plus simple, donc l’avenir je m’en méfie beaucoup. Simplement, j’ai quand même l’impression que derrière les OGM on sent bien qu’il y a une question importante qui se pose sur la société industrielle, sur le mode d’agriculture, sur les rapports Nord-Sud et que par ailleurs on sent bien que c’est une technologie agricole qui arrive et qui comme beaucoup de technologies nouvelles se présente comme miraculeuse et qui, quand on la discute et qu’on l’examine attentivement, n’est pas si miraculeuse que ça. Et ça je crois que tout cet ensemble de questions sont maintenant passées dans la conscience collective et que ces interrogations collectives vont rester. Et donc, je veux pas prédire l’avenir, mais ce que je constate simplement c’est que il y a 10 ans les gens qui parlaient des OGM étaient absolument persuadés que les OGM envahiraient, en quelque sorte s’imposeraient dans le monde entier et on est maintenant presque à 10 ans de la première plante transgénique et elle ne s’impose pas dans le monde entier. Elle s’impose sur seulement quelques plantes et seulement quelques pays, même s’il y a une poussée à droite et à gauche de tel ou tel type, mais les OGM ne se sont pas imposés. Je pense que dans l’avenir aussi, si cette réflexion, et ce débat démocratique dont on parlait continue -et je crois qu’il va continuer parce que il y a des questions très importantes qui se posent derrière les OGM – il ne va pas y avoir… on ne va pas passer dans un monde tout OGM où la question ne se poserait plus et apparaîtrait comme une fantaisie archéologique.
De l’espoir, donc pour les militants, qui en tout cas n’ont pas la moindre intention de lâcher prise.
Il y a de très gros lobbys derrière. Donc il y a beaucoup d’argent. On est tout petits. C’est un peu le pot de terre contre le pot de fer. Voilà ! Mais il ne faut pas baisser les bras.
Moi j’ai énormément confiance et c’est pour ça que je milite, pour faire changer les choses. Je me suis battu. Depuis plus de 30 ans que je me bats, je continuerai de me battre tant que j’aurai souffle de vie mais j’ai énormément… parce que ces dernières années quand même on s’aperçoit que la société civile commence à prendre à bras-le-corps tous ces phénomènes, on s’aperçoit que sur le Larzac* il y a 40 000 personnes au mois de juillet l’année passée qui se sont déplacées et que les politiques, ceux qui font de la politique et de la vraie politique, sont obligés de commencer à tenir compte de ce mouvement d’opinion qui est en train de naître dans notre pays.