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Le président de la République, Jacques Chirac, vient de dévoiler la nouvelle image de Marianne qui ornera les timbres français à partir de 2004.
Il est de tradition que la Marianne dessinée sur les timbres poste change à chaque nouvelle présidence. C’est habituellement le président de la République qui commissionne la représentation, mais on vient d’opter pour une formule plus démocratique. Le grand public a été invité à choisir, tout le monde a eu le droit de voter pour la Marianne de son choix – et le président a finalement décidé parmi les 10 modèles ainsi présélectionnés.
L’image gagnante, une Marianne stylisée en forme de fleur, a été dessinée par Thierry Lamouche, un illustrateur originaire de Paris.
Mais qui donc est cette Marianne devenue le symbole de la République française? Pour en savoir plus, nous avons rencontré un historien spécialiste en la matière, Daniel Courant, du musée de la ville de Niort.
Il faut bien savoir qu’en France il n’y a aucune loi qui oblige, ou bien un maire ou bien un préfet, voire un lycée, pour avoir donc dans ses murs la Marianne. C’est tout à fait laissé à la discrétion des responsables politiques. Mais dans la plupart des cas, toutes les mairies possèdent une Marianne, possèdent une Marianne mais qui est à visages multiples: il y a des centaines, peut-être même des milliers de Marianne qui existent en France.
L’idée en elle-même remonte à la fin du 18e siècle, à l’époque donc post-révolutionnaire. Jusqu’à la Révolution française, les emblèmes ou les représentations emblématiques de la France, c’était la royauté donc évidemment c’était le roi et la reine. Après la Révolution il y a bien fallu que les iconographes cherchent et trouvent un emblème qui représente plus facilement la France et donc on sait maintenant que les iconographes avaient sous leurs yeux des ouvrages publiés au 17ème, 18ème siècle qui représentaient l’iconographie traditionnelle de certains pays. Donc ils ont puisé leur inspiration dans ces ouvrages et ils ont trouvé que la femme a toujours été un vecteur de… d’abord plastique, c’est vrai, et surtout un vecteur de liberté depuis au moins l’antiquité gallo-romaine. Donc là, si vous voulez, les iconographes avaient déjà un sujet tout prêt, tout fait.
Marianne c’est la contraction de deux prénoms: Marie, Anne. On sait désormais depuis quelques années que ce prénom était l’un des prénoms les plus utilisés, les plus employés lorsqu’il y avait une fille dans une maison. Donc déjà le prénom était très répandu en France à cette époque-là.
On représente jamais une Marianne, j’allais dire avec un certain âge, et avec les traits fatigués d’une femme qui a 50 ans ou 60 ans. C’est toujours une femme jeune, comme l’a été la République dès sa naissance, c’est-à-dire donc un changement idéologique, un changement politique, et qu’il fallait qu’il soit représenté par la jeunesse. La deuxième chose c’est que cette Marianne est très souvent habillée avec des symboles révolutionnaires. C’est-à-dire donc des symboles révolutionnaires qui, eux, plongent dans l’antiquité, c’est principalement le bonnet phrygien, c’est parfois les faisceaux de licteurs, c’est-à-dire donc des emblèmes que l’on retrouve évidemment à l’époque antique, et donc il y a eu des emblèmes plus contemporains avec par exemple la cocarde, la cocarde tricolore que l’on trouve parfois donc dans ses cheveux. Elle est parfois également habillée avec une sorte de plastron en écailles, comme étaient recouverts les personnages dans l’antiquité. Elle peut être également… elle peut arborer un mufle de lion, symbole de puissance et de protection.
Si aujourd’hui la voie républicaine de la France semble être assurée, au 19ème siècle c’était loin d’être le cas. C’est surtout à cette époque-là que l’image de la Marianne a pris de l’importance comme force fédératrice autour de l’idée de la République.
Ca a été la Restauration, ça a été ensuite l’Empire chez nous à partir de Napoléon III… donc c’est une Marianne qui naît et qui disparaît, qui renaît et qui disparaît. Et donc on a des images, il existe des représentations où dans certains endroits on avait caché, on n’avait pas détruit systématiquement mais on avait mis dans des placards par exemple des centaines et des centaines de Mariannes, disant que, un jour peut-être une République véritablement allait s’installer. La Marianne a eu son heure de gloire principalement à partir de la troisième République. Et ça c’était important pour, à l’époque, à la fin du 19e siècle pour les Françaises et les Français qui devaient se reconnaître dans un régime républicain.
Tout ça ça a perdu de sa signification. Parce que il semblerait que maintenant nous soyons dans une cinquième République et qu’il y a pas de – c’est même pas un danger – mais on pense pas du tout à un retour de la royauté. Donc cette idée qui était très forte, à la fin du 19e siècle, de la représentation maintenant c’est devenu banal.
Aujourd’hui on retrouve la Marianne partout:
Au niveau de la justice, par exemple le panneau ou le panonceau du notaire actuellement c’est un panonceau où l’on voit la représentation de la Marianne de la République. Notre carte d’électeur en France elle est avec la représentation de la Marianne. Donc, si vous voulez c’est une représentation qui fait partie véritablement de notre quotidien. Nos pièces de monnaie, aujourd’hui, sont avec la représentation de la Marianne. Donc tout ça ça fait partie de notre mémoire à nous, mémoire de Français, où on nous a obligés à voir dans cette représentation un symbole très républicain.
Et pas simplement en France. Beaucoup de pays qui ont vécu leurs propres révolutions, tels que l’Argentine ou le Venezuela, ont adopté la Marianne comme symbole de leur République:
Il y a énormément de pays dont l’emblème… – qui ne s’appelle la Marianne – mais c’est notre Marianne bien française qui a donc servi de modèle pour l’emblème de ces pays où il y a eu effectivement des révolutions ou bien au 19ème ou bien au 20ème siècle.
En France, il y a des concours régulièrement pour élire une femme célèbre qui prête son profil à une nouvelle Marianne. On est loin de l’anonymat du 19e siècle, où souvent….
…les modèles de ces Marianne c’étaient les femmes de peintres ou de sculpteurs, qui étaient des illustres inconnues. Au 20ème siècle on assiste à ce que j’ai appellé la starisation de la Marianne. Je crois que la première femme qui ait accepté de donner ses traits féminins pour la postérité ça a été Coco Chanel. Et ensuite surtout à partir des années 1960 effectivement c’est Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Ines de la Fressange, Laetitia Casta, donc on a essayé un petit peu de moderniser ces Marianne.
L’ironie, selon Mr Courant, c’est que en voulant être plus moderne on est revenu a quelque chose de plus proche de l’ancien régime monarchique que de l’esprit républicain de la Marianne:
Je trouve qu’on revient à la limite au 18e siècle où on a personnalisé la représentation. Le peuple français se retrouvait dans la représentation physique du roi ou de la reine, maintenant ce système-là n’existe plus mais on voit bien que même dans notre démocratie on retrouve des traits à la limite de l’ancien régime où la France finalement est représentée par une personne très connue, très médiatisée. Donc on revient quelque part à portraiturer, comme au 18e siècle, la représentation de la Marianne.
Et en parallèle on a assisté à la commercialisation du concept de Marianne:
Ensuite c’est devenu un objet publicitaire. C’était sur des verres, sur des affiches, sur des boîtes d’allumettes, sur des chenets* dans la cheminée, donc la Marianne est devenue non plus une représentation qu’on voyait dans une mairie mais faisait partie du quotidien des gens à l’intérieur de chez eux. C’est-à-dire donc, c’est aussi une évolution si vous voulez, que la Marianne n’était plus représentée dans un endroit public, officiel, mais est devenue un objet que l’on achetait pour une décoration personnelle.
Cette histoire riche en rebondissements fait le bonheur des collectionneurs, et où que vous soyez en France vous avez des chances de tomber sur des petits trésors qui rappellent la belle Marianne:
Il y a des Mariannes qui étaient usées par le temps, qui parfois étaient abimées, et il s’est trouvé que parfois des élus, des maires ont voulu acheté une autre Marianne, et donc les anciennes sont remisées dans un grenier, elles dorment paisiblement et des fois donc on peut trouver dans une mairie, une, deux, trois, quatre, cinq Marianne.