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La France vient en tête parmi les pays qui prêtent main forte aux Nations Unies pour maintenir la paix au Liban. Pourquoi la France? Francisco El Khoury, membre de la communauté maronite des chrétiens du Liban, nous conte l’histoire de l’influence française dans la région.
Il était à l’étranger durant la récente guerre, mais il est resté en contact au jour le jour avec ceux de ses amis qui sont restés au pays. Dans le récit qu’il nous fait, il commence par rappeler l’impact de la guerre sur le peuple libanais.
– Il n’y a pas une seule personne qui veut rester dans le pays. Là, c’est clair. Vous savez, depuis 43 jusqu’à 75, le Liban était un pays économiquement et culturellement assez fort. C’était les années de gloire. Donc tout le monde a en tête ces années où le pays était glorieux en quelque sorte. Et nous cherchons à avoir un pays comme ici peut-être en Europe -et même mieux, pourquoi pas?- et avoir la paix avant tout, pouvoir vivre tranquilles, pouvoir vivre avec dignité et pas tous les dix ans avoir à reconstruire le pays depuis le début, à zéro.
Les liens de la France avec le Liban remontent au temps des croisades:
– Les chrétiens au Liban ont cherché quelqu’un pour les protéger dans une région qui est souvent contre eux et c’est la France qui était en premier lieu la protectrice de ces chrétiens. On dit que les premières relations c’était avec saint Louis, Louis IX, que tout a commencé, où Louis IX lui-même avait dit qu’il serait le protecteur des maronites, les maronites étant les chrétiens majoritaires du pays. Et c’est à partir de cette période des croisades que les relations ont commencé à se nouer entre la France et le Liban. Puis après les croisades, il y a eu une petite période où le Liban a perdu ses liens avec l’Europe et cela a recommencé au XVIe siècle, même XVe siècle. Il y avait quelques étudiants qui venaient à Paris et puis surtout il y a eu un grand nombre d’étudiants qui partaient à Rome. Et à partir de Rome il y a eu d’autres ouvertures1 vers la France. Avant tout c’était une relation religieuse. Après c’était une relation culturelle, et troisièmement c’est aussi une relation économique.
À l’effondrement de l’Empire Ottoman après trois siècles de domination dans la région, la France a naturellement été choisie pour combler l’absence de pouvoir:
– Après la Première Guerre mondiale l’empire ottoman a été complètement disloqué et ce sont les puissances européennes qui ont pris sa place. Alors le Moyen-Orient a été coupé en deux parties, une partie pour la France, c’est-à-dire le Liban et la Syrie, et une autre partie pour la Grande Bretagne, l’Irak et la Palestine.
Pendant le mandat français de 1920 à 1941, le français est devenu une langue officielle du gouvernement:
– Étant donné que nous étions tout le temps en contact avec les Français, ou majoritairement en contact avec eux, on devait apprendre cette langue. Et la langue arabe n’était pas la langue, une langue, entre guillemets, moderne, dans le sens où elle était pour la science et pour le progrès, alors la langue française prenait facilement la place de la langue arabe.
Mais la séparation du Liban d’une Syrie élargie a toujours été controversée et les tensions internes que cela a causées ont conduit à une déclaration d’indépendance en 1941.
– Il y a eu une classe politique qui a voulu prendre l’indépendance et les musulmans du Liban ne voulaient pas de2 la France. Alors les chrétiens libanais se sont mis à côté des musulmans libanais et ils ont formé le Pacte libanais. Alors, ce qu’on a fait, on a fait une sorte de négoce : on accepte de vivre ensemble dans un pays -parce que eux ne voulaient pas au début, le Liban voulait se rallier à la Syrie- et nous on accepte de refuser la protection française.
Mais après bien des années de paix et de prospérité le pacte entre chrétiens et musulmans s’est désintégré:
– En 75 il y a eu la guerre qui a éclaté. C’était le problème entre les chrétiens libanais et les Palestiniens. Les Palestiniens qui ont été chassés d’Israël sont venus se réfugier au Liban. Une fois réfugiés au Liban, ils ont voulu prendre la place des chrétiens du Liban. Ils avaient dit que c’était facile de prendre la place des Libanais, de chasser les chrétiens libanais, de les chasser, de prendre leur place. D’abord, les Palestiniens qui étaient présents au Liban étaient armés, donc ils avaient leur propre force militaire et avec cette force-là ils faisaient ce qu’ils voulaient dans le pays. Les chrétiens ont refusé ce sort-là3. Ils ont refusé que tout se passe de cette façon. Ils se sont opposés. Alors, ce qui s’est passé, c’est que les musulmans sunnites et un bon nombre de musulmans se sont mis du côté des Palestiniens contre les chrétiens libanais. Ils ont vu en cela une certaine opportunité pour changer le pouvoir étant donné qu’au Liban le pouvoir politique était principalement avec les chrétiens. D’où la chute du Pacte libanais.
Les chrétiens ont vu en Israël un allié dans leur conflit contre la Palestine. Mais le récent bombardement de leur pays a rompu cette alliance, ou en tout cas rapproché les partis libanais entre eux.
– Cette guerre, d’abord les chrétiens n’ont rien à voir avec cette guerre. C’est une guerre qui a été causée par les chiites et les Israëliens. Cependant avant la guerre les chrétiens n’avaient pas une grande affinité pour le Hezbollah, mais après avoir vu cette réaction de la part de l’état hébreu vis-à-vis du pays tout entier, les choses ont presque changé. Les chrétiens qui ne se sentent pas à l’aise avec le Hezbollah, ne sont pas encore à l’aise avec le Hezbollah mais n’ont pas accepté que le Hezbollah soit traité de cette façon. Voilà. Donc ils ont perdu une certaine affinité vis-à-vis d’Israël en quelque sorte, et Israël n’est plus senti comme quelqu’un qui…, avec qui ont pourra bâtir un avenir. Les Chiites qui ont perdu leur terre et leur maison, qui ont dû, qui ont été obligés de quitter leur maison pendant toute cette guerre, ils ont été accueillis principalement par les chrétiens. Alors moi, je trouve que c’est un signe très fort de cette convivialité, de cette cohabitation entre les Libanais, que les chrétiens aient accueilli4 les chiites chez eux après avoir mené une guerre qui a duré peut-être plus de quinze ans.
Et dans la diplomatie postconflictuelle, la France a de nouveau joué un rôle comme puissance régionale:
– La France a cherché par tous les moyens à aider le Liban. C’est ce qu’elle a fait en envoyant ses soldats. C’est ce qu’elle a fait en prenant en compte à l’ONU les exigences de l’état libanais et ses aspirations. On sait très bien aujourd’hui que la France n’a pas la même force politiquement que les États-Unis pour pouvoir lui tenir tête mais on estime que le monde a vu le Liban se détruire et n’a rien dit et c’est ce qui nous met très en colère. Peut-être qu’on attend beaucoup beaucoup de choses parce que la France, elle a été toujours aux côtés, historiquement, elle a été presque toujours aux côtés des Libanais, presque toujours aux côtés des chrétiens libanais, et avant tout, là, on attend une paix. On espère que les soldats qui ont été envoyés récemment par l’ONU, qu’ils puissent au moins exiger un certain calme, et on espère aussi de la France qu’elle puisse nous aider économiquement. On ne veut pas qu’elle nous donne de l’argent, c’est pas ça du tout, mais qu’elle puisse appuyer l’économie libanaise, envoyer des investisseurs au Liban, encourager l’économie libanaise. C’est, avant tout, ça qu’on attend, que ça soit de la France, que ça soit de l’Europe, que ça soit des Amériques, que ça soit de tout le monde, mais principalement de la France parce qu’on sait que la France, c’est elle qui doit, qui ‘doit’ – entre guillemets, n’est-ce pas – prendre la défense de ce pays.
La reconstruction à venir peut paraître décourageante:
– C’était fatal pour nous. Après quinze ans de guerre civile de 75 à 90, le pays, il a été occupé par les Syriens et malgré tout ça on a essayé de faire quelque chose, et une fois que les Syriens sont partis on avait dit : c’est possible maintenant de pouvoir faire quelque chose dans ce pays. Et voilà, ce coup a été très dur. On dit qu’il y a eu au moins quinze milliards de pertes pour le pays. Quinze milliards, c’est pas… Un pays aussi petit que le Liban ne peut pas du tout les avoir en deux jours, trois jours, ou en deux ans. Il lui faut des années pour le récupérer cet argent. Donc c’est dur.
Quant à l’influence de la France, elle est menacée mais elle persiste:
– Alors la langue française, c’est la deuxième langue du Liban. C’est vrai que le français perd du terrain aujourd’hui au Liban vis-à-vis de l’anglais à cause des films américains, à cause de la présence américaine, à cause de l’hégémonie de la musique américaine, de la culture américaine, et donc le français commence à perdre du terrain. Mais cependant le français reste toujours au Liban la langue des gens cultivés et la langue des gens intellectuels et ça reste, ça a toujours son charme, ça n’a pas perdu. Et même la France n’a pas perdu son charme au Liban. Les Libanais sentent toujours que – principalement les chrétiens, et aujourd’hui aussi on voit beaucoup de musulmans qui ont le même sentiment que les chrétiens – que la présence de la France, elle est privilégiée au Liban.
Quant à l’avenir de Francesco?
– Moi, je pense que je retournerai au pays, je sais. Je suis destiné à retourner dans le pays. Ma présence ici m’a donné beaucoup de richesse, m’a ouvert beaucoup d’horizons mais je pense que, pour le moment, je resterai au Liban et j’essaierai de faire autant que possible pour aider là-bas.
France has taken a lead in helping the United Nations peacekeeping operation in Lebanon. Why France? Francesco El Khoury, a member of Lebanon’s Christian Maronite community, tells us the story behind French influence in the region.
He was abroad during the recent war, but remained in daily contact with his friends back at home, and begins his account by reminding us of the impact the war has had on the people of Lebanon:
– There’s not a single one of them who wants to remain in the country. That’s clear. From 1943 to 1975 Lebanon was a country that was economically and culturally strong. Those were the glory years. So everyone has in mind the years when the country was kind of glorious. And what we want to have is a country that’s something maybe like what you have here in Europe, and maybe better, why not? And to have peace, more than anything, to be able to live peacefully, to live with dignity and not have to rebuild the country from scratch every ten years.
France first established links with the Lebanon at the time of the crusades:
– The Lebanese Christians were looking for someone to protect them in a region which is often against them and it was France that was the first protector of the Christians. It’s said the first exchanges that started everything were with Saint Louis, Louis IX – when Louis IX himself said he would be the protector of the Maronites – the Maronites being the largest Christian group in the country. And it’s from this era of the crusades that relationships between France and Lebanon became established. Then after the Crusades there was a short period when Lebanon lost touch with Europe and things begun again in the XVIth, and even the XVth century. There were some students who went to Paris and above all there were a large number of students who left for Rome. And from Rome there were other openings to France. First and foremast it was a religious contact. Then it was a cultural contact, and thirdly it was also an economic contact.
When the Ottoman Empire collapsed after three centuries of domination in the region, France was the natural choice to fill the power vacuum:
– After the First World War the Ottoman Empire completely fell apart and it was the European powers that took it’s place. So the Middle East was carved up in two, one part for France, Lebanon and Syria, and the other part for Great Britain: Iraq and Palestine.
During the period of the French Mandate from 1920 to 1941, French became an official language of government:
– Given that we were in continual contact with the French, or at least the majority of our contacts were with them, we had to learn the language. And Arabic wasn’t a “modern” language in inverted commas, in that it wasn’t the language of science or progress, so French easily took the place of Arabic.
But the separation of Lebanon from a Greater Syria was always controversial and the internal tensions this caused led to a declaration of independence in 1941.
– There was a political class that wanted independence and the Lebanese Muslims who didn’t want anything to do with France. So the Lebanese Christians allied themselves with the Lebanese Muslims and they formed the Lebanese Pact. So what happened was a sort of swap: they accepted to live together in one country – because they didn’t want to, to begin with, they wanted to link up with Syria – and we accepted to give up French protection.
But after decades of peace and prosperity, the pact between Christians and Muslims fell apart:
– In 1975 war erupted. The problem was between the Christians and the Palestinians. The Palestinians who’d been chased out of Israel took refuge in Lebanon. And once they’d taken refuge in Lebanon, they wanted to take the place of the Lebanese Christians. They thought it would be easy to take the place of the Lebanese, to chase them out and take their place. Firstly the Palestinians who were there in Lebanon were armed, so they had their own military force and with that force they did whatever they wanted in the country. The Christians refused to put up with this. They refused to let things happen like that. They blocked the way. So what happened was that the Sunni Muslims and a large number of Muslims took the side of the Palestinians against the Lebanese Christians. They saw an opportunity to overthrow the authorities, given that political power in Lebanon was largely in the hands of the Christians. So that was the fall of the Lebanese Pact.
The Christians saw Israel as an ally in their conflict with the Palestinians. But the recent bombardment of their country has broken down that alliance, or at least brought the Lebanese people closer together:
– This war: firstly the Christians had nothing to do with this war. It’s a war that was caused by the Shiites and the Israelis. Notwithstanding this, the Christians didn’t have much affinity for Hezbollah, but after seeing the action from the Jewish state against the country as a whole, they’ve virturally changed their minds. Christians who didn’t feel at ease with Hezbollah are still not at ease with Hezbollah, but they haven’t accepted that Hezbollah should be treated this way. That’s what it is. So they’ve lost their affinity for Israel, if you like, and Israel is no longer seen as a partner with whom it might be possible to build a future. The Shiites, who lost their land and their houses, who had to… who were obliged to leave their houses during all this war, they were housed in the main by Christians. So for me, that’s a very strong sign of the conviviality, the will to cohabit, among the Lebanese – that Christians should have welcomed Shiites into their homes, after having waged war against them for more than 15 years.
And in the post-conflict diplomacy, France played it’s role once again as a regional power:
– France did all it could to help Lebanon. That’s what it did in sending soldiers. That’s what it did by taking into account the demands and aspirations of the Lebanese state at the United Nations. We know very well that France doesn’t have the same political strength as the United States, to stand up to them. But we believe the world saw Lebanon being destroyed and said nothing and that’s what makes us very angry. Maybe we expect a lot because historically France always… almost always stood by the Lebanese, almost always stood by the Lebanese Christians and more than anything we want peace. We hope the soldiers who were recently sent by the United Nations, we hope they can at least establish a certain calm, and we also hope that France can help us economically. We don’t want her to give money, it’s not that at all; but to support the Lebanese economy, send investors to Lebanon, encourage the Lebanese economy. It’s that more than anything that we want, whether from France, whether from the States, whoever it’s from, but mainly from France because we know that it’s France who “must” in inverted commas defend this country.
The rebuilding task ahead is daunting:
– It was devastating for us. After 15 years of civil war from ’75 to ’90, the country was occupied by the Syrians and despite that we tried to achieve something; and once the Syrians left we said to ourselves, ‘it’s possible now to do something with this country’. And there we are, it was a very hard blow. They say the country suffered more than 15 billion in losses. 15 billion, that’s not… a country as small as Lebanon can’t find that in two days, three days or two years. It will take years to recover that money. So it’s hard.
As for French influence, it’s threatened but still there:
– So French is Lebanon’s second language. It’s true that French is losing ground today in Lebanon relative to English, because of American films, because of the American presence, because of the dominance of American music, of American culture. So French is beginning to lose ground. But all the same French is still the language of cultivated people in Lebanon, and the language of intellectuals; that’s still there, that’s not been lost. And even France hasn’t lost its charm in Lebanon. The Lebanese still feel – principally the Christians and today lots of Muslims who have the same feeling as the Christians – that the French presence is something special in Lebanon.
And as for Francesco’s future?
– I think I will return to the country. I am destined to return to the country. My presence here has been a very rich experience, opened up lots of horizons, but I think for the moment I will stay in Lebanon and try to do as much as I can to help there.