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Une grande partie des TGV, trains régionaux, métros et bus ont cessé de rouler pendant plusieurs jours ces derniers temps : les syndicats des transports avaient appelé à la grève. Et cela pourrait recommencer. La France est souvent secouée par des conflits sociaux de ce genre. Cécile Mathy a essayé de comprendre pourquoi.
Nous sommes à la gare de Lyon Part-Dieu, il est 7 heures et demie du matin. Lyon Part-Dieu, c’est la première gare de Province en France par son trafic. D’habitude 100 000 voyageurs transitent par cette gare quotidiennement. Aujourd’hui, jeudi 18 octobre, elle est quasiment déserte, pas de queue aux guichets pour acheter son billet de train. Personne devant les tableaux d’affichage et pas de trains à quai. Seules1 les équipes qui distribuent des journaux gratuits sont fidèles au poste, même s’il n’y a pas foule. Mikaël travaille tous les jours devant cette gare.
-Il n’y a aucun train donc il n’y a personne. D’habitude, il y a vraiment beaucoup de gens qui sortent, par rapport au train. Donc c’est vraiment le rush, quoi. C’est vrai qu’il y a beaucoup beaucoup beaucoup de monde d’habitude.
5% à peine des trains sont en circulation. L’appel à la grève lancé par les 8 syndicats de la SNCF – la compagnie de chemins de fer française – a été extrêmement suivi. Plus de 75% du personnel a décidé de cesser le travail. Les cheminots, les employés de la SNCF, bénéficient en France d’un régime spécial de retraite : ils cotisent pendant 37 ans et demi, contre 40 ans pour l’ensemble des salariés français. Le gouvernement a décidé de réformer leur régime spécial en l’alignant sur le régime général et c’est pour cela qu’ils sont en grève. Leur mouvement a été décidé depuis plusieurs semaines. Les voyageurs se sont donc organisés. Ils sont quelques dizaines à traverser la gare, et pas forcément d’accord avec les revendications du personnel en grève. C’est le cas de Virginie et de Marie-Pierre.
-Quand on a des impondérables, des rendez-vous, des clients à voir, on est bien obligé d’aller au travail, hein, c’est sûr. Je comprends qu’ils défendent un peu les acquis mais en même temps, je trouve , qu’ils nous prennent,en plus, nous, comme otages, comme d’habitude.
-Je suis pour la réforme des régimes spéciaux. Moi, je trouve que c’est normal : les cheminots, ils n’ont pas à être à la retraite à 50 ans ou je ne sais trop quel âge. Ils ne mettent plus de charbon dans les locomotives, donc voilà.
Dans le hall de la gare, on croise un groupe de représentants syndicaux. Ils ont des autocollants CGT sur leur veste. La Confédération Générale du Travail, c’est l’un des principaux syndicats en France. Il est majoritaire à la SNCF.Christophe Aubleau s’explique sur les raisons de cette grève.
-Ils vont partir avec des pensions inférieures de 25 à 30% par rapport à s’ils partaient avec le régime actuel, donc les gens, si on leur prend des sous, après une carrière de travail, effectivement, ils ne vont pas courber l’échine3. La direction de l’entreprise et le gouvernement décident de mesures, sans discussion aucune. Ça fait un moment que je milite, je réfléchis sur des moyens d’action, sauf que, quand on n’est pas écouté, à un moment donné, il faut agir. Jusqu’à preuve du contraire, personne n’a inventé autre chose que l’arrêt d’un processus de production qui s’appelle la grève.
La plupart des Français sont habitués à ces mouvements de grève. Ils ont donc pris leurs dispositions : voyage en voiture où en vélo, certains ont même posé un jour de congé.
À Lyon 320 autocars ont été affrétés pour remplacer les trains régionaux. Devant l’arrêt de bus, ils sont donc quelques dizaines à attendre.
-Moi, je suis contre tout ce qui paralyse un pays, quoi. C’est des gens qui ont un pouvoir de blocage qu’il y a d’autres catégories de personnes qui ont pas, donc ils en abusent à chaque fois, donc ça, ça me gave4, voilà. Donc là, je suis un peu énervé mais il y a des cars déjà, donc il ne faut pas qu’on se plaigne. A priori, il y a un car qui va pouvoir m’emmener à Saint-Etienne. Je pense qu’il y aura plus de bouchons déjà. Il faudra déjà sortir de Lyon donc, ça va déjà prendre, je pense, une demi-heure. Je pense qu’on va mettre plus d’une heure et demie.
-C’est un petit peu dommage de saturer tout le monde avec ces mouvements de grève.
-Et vous aviez pas de solution pour poser une RTT5 ou pour pouvoir prévenir votre employeur d’arriver plus tard ?
-Prévenir que j’allais arriver plus tard, si. Par contre, j’ai franchement pas envie de poser un jour de congé parce que d’autres ont décidé que, voilà, c’était la grève et que… voilà. Ça influe déjà bien assez sur notre vie alors qu’on n’est pas du tout mêlés à l’histoire. Je veux bien être solidaire, mais il y a un moment où, voilà, il faut essayer un peu de penser aux autres aussi, quoi !
D’autres arrivent enfin à destination, c’est le cas de Lydia, très pressée, qui accepte quand même de nous livrer ses impressions.
-Comme d’habitude, nous, on veut aller travailler, on est paralysé, voilà. On est toujours tributaires de ça, hein, c’est toujours pareil, donc non, je ne suis pas contente. Je comprends qu’ils fassent grève mais je ne comprends pas qu’il n’y ait pas un service minimum, voilà, c’est tout. Là, on devait avoir des bus, il y en a qui étaient archipleins parce que mettre deux trains dans un bus, on peut pas. Eh ben, le bus est passé sans nous prendre et on a attendu dans le froid pendant une heure. Donc ça, c’est pas normal.
-Et là, vos employeurs sont compréhensifs ?
-Très compréhensifs. Heureusement? parce que, depuis le temps que ça dure! Ça fait quinze ans que je prends le train, s’ils l’étaient pas, je me serais déjà fait licenciée.
Il est presque 10 heures. Direction à présent le centre-ville, car lors de toute grève, il y a une manifestation, un défilé dans la ville pour afficher sa force et ses revendications.
-Pour le maintien des régimes spéciaux! Pour la retraite à taux plein à 60 ans!
Plus de 5000 personnes se sont réunies pour participer au cortège. Au total en France plus de 150 000 personnes sont descendues dans la rue au mois d’octobre. Pas d’affrontements avec la police, ni de violence. L’ambiance est bon enfant6. En France les personnes syndiquées représentent 8% de la population active – la population qui travaille – un taux de syndicalisation faible, et pourtant l’impact est réel, comme l’explique Christian Coudène, le représentant local d’un autre syndicat, Force Ouvrière.
-C’est vrai que le nombre de syndiqués est faible mais, en France, on est dans un système où on se syndique librement, au syndicat de son choix. C’est même inscrit dans la Constitution. Par exemple, on compare souvent la France à des pays où il y a 40%, 50%, 80% de syndiqués, même, en Suède, mais il faut savoir que dans les autres pays, ce sont uniquement les syndiqués qui profitent des acquis sociaux alors qu’en France, quand dans une grève les syndicats gagnent, tous les salariés en profitent, qu’ils soient syndiqués ou pas. On voit très bien que, quand il s’agit de défendre les revendications, quand les revendications sont claires, les salariés répondent en masse.
Le syndicalisme en France est un syndicalisme de lutte. Il faut mettre la pression avant de négocier. L’heure de gloire des syndicats en France remonte à 1936. À l’époque, une grande grève avait mené le patronat à négocier. Les premiers acquis sociaux ont été obtenus grâce à la mobilisation de 6 millions de syndiqués à l’époque. Ils ont obtenu une limitation à 40 heures pour la semaine de travail et 15 jours de congés payés par an. 1936, c’est donc une véritable référence dans l’histoire du syndicalisme français. Ensuite, les années 70 marquent le déclin des syndicats avec la crise de l’industrie. Alors aujourd’hui cette manière de descendre dans la rue est une façon de montrer que les syndicats représentent encore l’ensemble des salariés et donc qu’ils ont des arguments pour négocier au nom de tous. Christian Coudène, du syndicat Force Ouvrière.
-Là, on est dans une drôle de situation parce que le gouvernement prétend qu’il a fait beaucoup de concertations, seulement voilà : il donne d’abord ses décisions et il demande ensuite aux syndicats de mettre en application ces décisions. Donc le gouvernement décide et voudrait après que les syndicats appliquent. Ça, nous le disons, ce n’est pas de la négociation. C’est tenter de passer en force et surtout, essayer, en fait, d’amener les syndicats à, en quelque sorte, être des subsidiaires du gouvernement. Or, les syndicats, ils sont là pour défendre leurs mandants, les travailleurs. Ils sont pas là pour aider le gouvernement à appliquer des contre-réformes. Retour dans le cortège. En queue du défilé on trouve aussi une vingtaine de membres de l’UNEF, un syndicat étudiant. L’année dernière ce syndicat était l’un des chefs de file d’une grande manifestation menée par les lycéens et les étudiants français, contre le CPE. Le CPE, c’est le contrat première embauche, un nouveau contrat de travail qui instaurait une période d’essai de 2 ans, synonyme pour les jeunes d’une plus grande précarité. Grâce à leur mobilisation, le texte de loi a été retiré. Aujourd’hui les étudiants ne sont pas directement concernés, mais plus tard ils entreront dans la vie active. Quentin Grivet, le vice-président de l’UNEF à Lyon, estime donc qu’il est important de soutenir leurs aînés.
– Depuis le CPE, pas mal de jeunes notamment ont pu se rendre compte, ben, que l’engagement, ça pouvait payer donc on continue à faire ce travail, nous, chaque jour, dans les universités. C’est vraiment une priorité pour nous que, ben, les étudiants aient conscience de ce qui se passe et, eh ben, décident de s’engager pour parer toutes ces attaques qui pleuvent en ce moment. On fait avec les moyens qu’on a -on essaye de déployer tous les moyens possibles qu’on a à notre disposition- pour syndiquer au maximum les étudiants et puis pour leur expliquer ce qui se passe. Après, effectivement, c’est jamais assez, mais on fait ce travail-là, en tout cas, au maximum. L’appel à la grève avait été fixé cette fois pour 24h. La protestation n’a donc pas égalé celle de 1995. À l’époque, la France avait été complètement bloquée pendant plusieurs semaines. Le gouvernement avait déjà voulu réformer les régimes de retraites. Plus d’un million de personnes avaient rejoint le mouvement de protestation. Sous la pression de la rue, le gouvernement avait donc renoncé à la réforme. Cette année, la grève a été plus courte, une façon aussi pour les syndicats de montrer leur bonne volonté.
Mais il est possible qu’une nouvelle journée de grève ait lieu à la mi-novembre. Ce sont les syndicats de fonctionnaires, cette fois, qui appellent eux aussi à cesser le travail. La page de la grève n’est donc pas près d’être tournée en France.
A large number of high speed trains, regional trains, underground trains and buses stopped running for several days recently: the transport unions had called for a strike. And it might happen again. France is often struck by social conflicts of this type. Cécile Mathy tries to understand why.
We are at Lyon Part-Dieu station, it’s 7.30am. Lyon Part-Dieu is France’s number one regional train station by volume of traffic. Normally, 100 000 passengers pass through this station each day. Today, on the 18th of the October, it’s virtually deserted: no queues at the ticket offices to buy train tickets; nobody in front of the notice boards and no trains alongside the platforms. Only the teams handing out free newspapers are in place, despite the fact there’s not much of a crowd. Mickaël works every morning in front of this station.
-There’s no train so there’s nobody. Usually, there’s lots of people coming out from the trains. So it’s a big rush if you like. Normally there’s really lots and lots of people.
Scarcely 5% of the trains are running. The strike call made by the eight trade unions in the SNCF – the French national railway company – has been extremely well followed. More than 75 per cent of the personnel have decided to stop work. Railway workers in France, employees of the SNCF, have in a special pension scheme: they pay contributions for 37 and a half years, compared to 40 years for other French employees. The government has decided to reform their special scheme by bringing it into line with the standard scheme and that’s why they are on strike. Their action was decided several weeks ago so the passengers are organised. There are a few dozen crossing the station… and they are not necessarily in agreement with the demands of the striking personnel.
-When you’ve got things going on, meetings, clients to see, you’ve got to go work, that’s clear. I can understand a little that they want to defend their privileges but at the same time, I find it a bit much that as usual they take us as hostages.
-I’m for the reform of the special schemes. I think it’s to be expected: people shouldn’t be retiring at 50 or I don’t know what age. They don’t put coal in the trains any more and that’s that.
In the station entrance, we come across a group of trade union representatives. They’ve got CGT stickers on their coats: The Confédération Générale du Travail is one of the principal trade unions in France. It has a majority within the SNCF.
Christophe Aubleau explains the reasons for the strike.
-They’re going to end their careers with pensions that are 25 to 30% lower than if they were to end their careers in the current scheme, so people, if you take their money after a career of work, of course they’re not going to just roll over. The company management and the government decide on their policies, let’s be clear, without any discussion. I’ve been an activist for some time now and I’ve thought about the different means of action, except that, when we’re not listened to, at a certain moment you have to act. Unless you can prove me wrong, nobody’s invented anything other than stopping the production process, otherwise known as the strike.
Most French people are used to these strike actions. So they’ve got their action plans sorted: they travel by car or bike, some have even taken a day’s holiday.
In Lyon, 320 coaches have been hired to replace the regional trains. In front of the bus stop, several dozen people are waiting
-I’m against anything that paralyses the country. It’s people who’ve got the ability to bring things to a standstill that other sectors don’t have, so they take advantage of it each time, and I’ve had it up to here, you know. At the moment, I’m a bit worked up but there are coaches at least, so you shouldn’t complain. In theory there’s a coach that’s going to take me to St. Etienne. I think there’ll be more traffic jams. Getting out of Lyon is going to be difficult to begin with, that will take half an hour already I reckon and then after that, I think it’ll take more than an hour and a half.
-I don’t know what to think about it really, given there are so many strikes, you don’t really know why they’re striking this time. It’s a bit of a pity to wear everyone out with these strikes.
-And you can’t take a day off work with some overtime or let your employer know that you’re arriving late?
-Let them know that I’m going to arrive late, yes. On the other hand to be honest I’m not prepared to use up my overtime or take a day’s holidays because other people have decided to go on strike. It’s already annoying enough, it already has quite enough impact on our lives even though we’re not involved at all in the affair. I’d like very much to show solidarity, but there comes a point when you have to try to think of others too, you know!
Others make it at last to their destination, like Lydia, in a hurry but ready nevertheless to give us her view.
-As usual, we want to work, we’re paralysed. There it is. We’re always at the mercy of that, it’s always the same, so no, I’m not happy. I understand that they go on strike but I don’t understand why there’s not a minimum service, there we are, that’s all. There should have been buses, there are only… ones which were jam packed because putting two trains into one bus can’t be done. Well the bus went by without taking us and we waited in the cold for an hour so that’s not right.
-And are your employers understanding?
-Very understanding, luckily given the amount of time this has been going on for! I’ve been taking the train for fifteen years now, if they weren’t, I’d already have been made redundant.
It’s almost 10am. We head now for the town centre, because whenever there’s a strike there’s a demonstration, a march through the town to show your strength and stake your claims.
-Keep the special schemes! Keep full rate pensions at 60 years!
More than 5000 people have gathered to join the procession. More than 150 000 people took to the streets in October. No clashes with the police, no violence. The atmosphere is good humoured.
In France, members of trade unions make up 8 per cent of the active population – the working population – a level of trade union membership that’s weak and yet the impact is real, as Christian Coudène, the local representative of another trade union, Force Ouvrière, explains.
-It’s true that the level of trade union membership is weak, but in France we’re in a system in which you join up freely to the union of your choice. It’s even written in the constitution. For example people often compare France to countries where there’s 40 per cent, 50 per cent or even 80 per cent trade union membership, in Sweden, but you have to bear in mind that in other countries it’s only members of trade unions who benefit from privileges won, whereas in France, when the trade unions win a strike, all the employees benefit, whether they’re members of a trade union or not. You see very clearly that when it comes to supporting a demand, when the demands are clear, the workers come out in numbers.
Trade unionism in France is a trade unionism based on struggle. You have to put pressure on before negotiating. The moment of glory for trade unions in France goes back to 1936. At the time, a large strike forced the management to negotiate. The first workers’ rights were won thanks to the mobilisation of 6 million trade union members of the era. They got the 40 hour working week and 15 days paid holiday per year. 1936 is therefore a real reference point in the history of French trade unionism. Afterwards the 1970s saw the decline of the trade unions with the industrial crisis. So today this tactic of going onto the street is a way of showing that the trade unions still represent employees as a whole and so are justified in negotiating for everyone. Christian Coudène of the Force Ouvrière trade union.
-Here, we’re in a weird situation because the government pretends that it has consulted widely, except that first it hands out its decisions and then it asks the trade unions to apply those decisions. We say that that is not negotiation. It’s an attempt to get through by force and above all to try to make the trade unions subsidiaries of the government to a certain extent. Whereas the trade unions are there to defend those who gave them their mandate, the workers. They’re not there to help the government impose counter-reforms.
Back to the procession. At the back of the parade, we find too 20 or so members of the UNEF, the trade union of students. Last year this union was one of the leaders of a large movement run by secondary and tertiary education French students, against the CPE. The CPE was a contract for a first job, a new working contract which brought in a trial period of two years. Synonymous for young people with much greater insecurity.
Thanks to their mobilisation, the draft law was withdrawn. Today the students aren’t directly concerned, but later they will move into active life. Quentin Grivet, the vice-president of the UNEF at Lyon, believes therefore that it’s important to support their elders.
-Since the CPE, quite a few young people, notably, have been come to realise that involvement can pay so we’re going to try, we’re going to continue with this work, every day in the universities. It’s really a priority for us that students be aware of what is going on and decide to get involved to block all the attacks raining down on the public sector, on students in particular, at the moment. The idea is to deploy all means at our disposal to trade unionise students to the maximum and explain to them what is going on. In the end it’s never enough but that’s the work we do, as much as possible.
The strike call had been fixed for 24 hours. The protest wasn’t therefore as big as that of 1995. At that time, France was completely blocked for several weeks. The government was already wanting to reform the pension schemes. More than a million people joined the protest movement. And under the pressure from the street, the government withdrew its reform.
But it’s possible that there will be a new day of strikes in the middle of November. It’s civil servants trade unions who are calling for a work stoppage. France isn’t yet ready to turn the page on strike action.