Richard Good
Les villes résonnent une fois de plus au son des manifestations de rues. Le gouvernement du président Emmanuel Macron cherche à réformer le système des retraites. Les syndicats se mobilisent. Le sujet est un éternel recommencement des conflits sociaux dans le pays. Qui s’en sortira au mieux cette fois-ci ? Hervé Joly, directeur de recherche au CNRS, nous livre son analyse.
Cities across France are echoing once more to the sound of street demonstrations. President Emmanuel Macron’s government is seeking to reform the state pension system – to the ire of trade unions and their supporters. The topic is a hardy perennial of French social conflict in recent decades, but who will come out top this time? Hervé Joly, directeur de recherche au CNRS, gives us his analysis.
La question des retraites est depuis 30 ans en France un sujet très conflictuel au plan politique. Bon, on avait eu une première réforme qui elle évidemment n’avait pas posé de problèmes avec les syndicats et avec la rue, qui était la réforme de 1983, qui avait abaissé l’âge de la retraite légale à 60 ans. Un régime donc qui était très favorable, d’autant plus que, par ailleurs, il fallait seulement 37,5 années de cotisations et que la retraite était calculée sur les dix meilleures années de carrière. Donc, c’était un régime très favorable.
Depuis 1993, on a eu une succession de réformes qui sont revenues sur cette avancée et qui ont durci les conditions de la retraite à la fois pour le régime général, qui correspond aux salariés du secteur privé, et pour le régime spécifique de la fonction publique, ainsi que des régimes dits spéciaux qui sont des régimes pour certaines catégories professionnelles, comme les conducteurs de train ou les employés du gaz et de l’électricité.
Ces réformes successives, depuis 1993, ont augmenté la durée nécessaire de cotisation, augmenté aussi la durée de la période prise en compte pour le calcul de la retraite portée à 25 ans – dans le secteur privé – et puis on a aussi depuis 2010 élevé l’âge légal de la retraite qui est passé d’une première fois déjà, donc, de 60 à 62 ans.
The question of pensions has been a very conflictual subject at the political level in France for 30 years. So we had a first reform which obviously didn’t cause any problems with the unions or on the streets, which was the 1983 reform, which lowered the legal retirement age to 60. So it was a very favourable regime, especially as it only required you to make contributions over 37.5 years and the pension was calculated on the basis of the ten best years of your career. So it was a very favourable system.
Since 1993, there has been a succession of reforms which have gone back on this progress and which have tightened up the conditions for retirement both for the standard plan, which corresponds to private sector employees, and for the specific plan for the civil service, as well as the so-called special plans which are plans for certain professional categories, such as train drivers or gas and electricity employees.
These successive reforms, since 1993, have increased the duration of contributions needed, increased the length of the period taken into account for the calculation of the pension to 25 years – in the private sector – and then since 2010, the legal retirement age has also been raised from 60 to 62 years.
Alors évidemment, toutes ces réformes ont été perçues négativement par les syndicats et ont suscité des manifestations importantes. Ces réformes ont été faites plutôt par des gouvernements de droite, mais pas seulement, puisqu’on a eu aussi une réforme en 2013 faite par un gouvernement socialiste, celui de François Hollande, qui a augmenté notamment la durée nécessaire de cotisation pour la porter, pour ceux nés à partir de 1972, à 43 ans.
So obviously, all these reforms have been perceived negatively by the unions and have led to major demonstrations. These reforms were made by right-wing governments, but not only, since we also had a reform in 2013 made by a socialist government, that of François Hollande, which increased the duration of contributions to bring it, for those born after 1972, to 43 years.
Donc, toutes ces réformes ont suscité des réactions. Aucune ne s’est faite avec l’accord de l’ensemble des partenaires sociaux. Dans certains cas, des syndicats dits réformistes comme la CFDT ont accepté la réforme ou une partie de la réforme, mais globalement, elles ont suscité des oppositions. Pourtant, tous les gouvernements qui avaient porté ces réformes avaient, à l’époque, des majorités absolues. Mais on sait qu’en France, avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale ne suffit pas. Bien sûr, il peut y avoir une forte opposition, à la fois dans la rue, par des manifestations et puis également des mouvements de grève, alors qui sont rarement des grèves générales dans l’ensemble des secteurs, mais qui sont des grèves plutôt ciblées de la part de professions qui sont en situation, en faisant grève avec un nombre assez restreint de grévistes, de bloquer le pays. On pense en particulier aux transports avec la SNCF ou les transports urbains à Paris, la RATP.
So all these reforms have provoked reactions. None of them was carried out with the agreement of all the social partners. In some cases, so-called reformist unions such as the CFDT accepted the reform or part of the reform, but overall, they were opposed. However, all the governments that carried out these reforms were elected with an absolute majority at the time. But we know that in France, having an absolute majority in the National Assembly is not enough. Of course, there can be strong opposition, both in the street, through demonstrations and also strike movements, which are rarely general strikes in all sectors, but rather targeted strikes by professions which are in a position, by striking with a fairly small number of strikers, to block the country. We are thinking in particular about transport with the SNCF or urban transport in Paris, the RATP.

Donc, c’est souvent ces mouvements de grève qui sont déterminants pour éventuellement empêcher une réforme, puisque ces mouvements sont, plus que des manifestations, vraiment en mesure de bloquer le pays et de gêner le gouvernement. Il y a eu jusqu’à maintenant une seule réforme qui n’a pas abouti, qui était celle de 1995, portée par le Premier Ministre de l’époque, Alain Juppé, qui voulait supprimer les régimes spéciaux. Cette réforme, qui s’était heurtée à une grève très importante, notamment de la SNCF, et le gouvernement Juppé avait dû reculer. Sinon toutes les autres réformes, malgré les oppositions dans la rue et des mouvements de grève ont été adoptées.
So it’s these strike movements that are often decisive in potentially preventing a reform. Because more than demonstrations, these movements are really capable of blocking the country and affecting the government. So far, there’s been only one reform that did not succeed, which was the one in 1995, presented by the Prime Minister of the time, Alain Juppé, who wanted to abolish the special regimes. This reform was met with a very big strike, notably at the SNCF, and the Juppé government had to back down. Otherwise, all the other reforms, despite opposition in the streets and strike movements, were adopted.
La particularité cette fois-ci, c’est qu’en plus, on a pour la première fois un gouvernement qui ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale et qui donc, soit doit faire passer sa réforme avec cet article dit 49 alinéa trois de la constitution qui prévoit qu’une loi soit adoptée, s’il n’y a pas adoption d’une motion de censure renversant le gouvernement, ce qui n’arriverait que si l’ensemble des députés d’opposition, qu’ils soient de la gauche, de l’extrême droite ou de la droite républicaine, votait cette motion de censure. Donc, c’est une première possibilité de faire passer une réforme qui a été beaucoup utilisée par le gouvernement ces derniers mois. Cette fois-ci, pour les retraites, l’objectif du gouvernement était plutôt d’essayer d’éviter d’utiliser l’article 49 trois et de compter sur le soutien, au moins, des députés les Républicains de la droite républicaine qui, a priori, sont plutôt favorables à une réforme visant à élever l’âge de départ à la retraite, puisque cela faisait partie du programme des Républicains aux précédentes élections.
The particularity this time is that, for the first time, we have a government that doesn’t have an absolute majority in the National Assembly and which therefore either has to pass its reform with the so-called 49 paragraph three of the constitution, which provides that a law be adopted, if there is no adoption of a motion of censure overthrowing the government, which would only happen if all the opposition MPs, whether they are from the left, the extreme right or the republican right, voted for this motion of censure. So this is a first possibility to pass a reform that has been used a lot by the government in the last few months. This time, for pensions, the government’s objective was rather to try to avoid using article 49 three and to count on the support of at least the Republican right-wing deputies who, a priori, are rather favourable to a reform aiming at raising the retirement age, since it was part of the Republican programme in the previous elections.
Mais évidemment, ce parti qui est quand même dans l’opposition, ne souhaite pas soutenir le gouvernement dans la mesure où il n’y est pas associé, et donc est un peu gêné parce qu’à la fois, ils sont d’accord sur le fond, sur la réforme, mais en même temps, ils ne veulent pas donner cette victoire au gouvernement et à Emmanuel Macron de réussir à faire cette réforme. Donc, ils sont un petit peu hésitants, divisés sur la stratégie à adopter.
But obviously, this party, which is still in opposition, doesn’t want to support the government insofar as it’s not associated with it, and is therefore a little embarrassed because they agree on the substance of the reform, but at the same time they don’t want to hand a victory to the government and Emmanuel Macron to succeed in making this reform. So they are a bit hesitant, divided on the strategy to adopt.

Je pense que c’est vraiment un rapport de force parce que, bon, les prochaines élections, elles sont loin. On est à quatre ans des prochaines élections présidentielles et législatives. En plus, l’actuel président Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter à l’élection présidentielle. Bon, donc, même si cette réforme est impopulaire – parce qu’évidemment personne n’est content de devoir travailler deux ans de plus – donc quand on demande aux gens s’ils sont pour cette réforme, il est assez normal qu’ils répondent dans les sondages qu’ils sont contre. Mais en même temps, les Français répondent que… majoritairement que cette réforme va se faire parce que… parce qu’ils se doutent bien que le gouvernement ne va pas céder et on sait par ailleurs que pour un président, pour un gouvernement, c’est très important de montrer une fermeté. C’est-à-dire que les Français, très souvent, une partie d’entre eux, réagissent dans la rue par des grèves, s’opposent à une réforme. L’opinion, souvent, soutient les opposants, mais en même temps l’opinion n’aime pas avoir des gouvernements faibles. Et il est évident que si Macron et son gouvernement cédaient leur quinquennat serait quasiment terminé, qu’ils perdraient toute crédibilité politique et qu’au contraire, s’ils arrivent à surmonter les oppositions et à faire passer la réforme, il est certain que ça va les renforcer et leur donner une crédibilité. Même si cette réforme est relativement impopulaire, je pense qu’il y aura un bénéfice politique à avoir réussi à faire passer cette réforme. Ensuite, bon, qu’est-ce qu’on observe ? On observe des manifestations qui sont importantes – d’environ 1 million à 2 millions de personnes selon les chiffres dans toute la France – dans de nombreuses villes. Bien sûr, il y en a régulièrement. Mais en même temps, on n’a pas l’impression que le mouvement s’amplifie véritablement. Bon, il y a eu, il y a eu une tentative, le 11 février, de faire une grève, pardon, une manifestation un samedi pour essayer d’élargir à des gens qui, par exemple, travaillent dans le secteur privé et ne sont pas en mesure de se libérer pour une manifestation dans la semaine. On a vu que le nombre de manifestants n’avait pas spectaculairement augmenté. Donc, on reste dans le public habituel des manifestations. Il faut savoir que aller à une manifestation, que ce soit un jour de semaine ou un samedi, c’est pas quelque chose d’habituel pour beaucoup de gens. C’est toujours un petit peu les mêmes qui y vont, qui d’ailleurs, il y a tout un rituel, se retrouvent, se connaissent. C’est sympa d’aller manifester, de défiler dans la rue, de se retrouver, etc., bon. Mais on voit que finalement les syndicats n’arrivent pas à élargir, à faire que des gens qui sont beaucoup plus éloignés de ces pratiques manifestantes se rallient au mouvement.
So, I think we’re dealing with a genuine power struggle because the next elections are far away. We are four years away from the next presidential and legislative elections. Moreover, the current president Emmanuel Macron won’t be able to stand for re-election. So, even if this reform is unpopular – because obviously nobody is happy about having to work two extra years – so when people are asked if they are for this reform, it is quite normal that they answer in the polls that they are against it… But at the same time, the French answer that… the majority of them say that this reform is going to be carried out because… because they suspect that the government is not going to give in and we know that for a president, for a government, it’s very important to show firmness. That is to say that the French, very often, a part of them, react in the street with strikes, oppose reform. Public opinion often supports the opponents, but at the same time public opinion does not like weak governments. And it’s obvious that if Macron and his government gave in, their five-year term would be almost over, they would lose all political credibility, and on the contrary, if they manage to overcome the opposition and pass the reform, it’s certain that it will strengthen them and give them credibility. Even if this reform is relatively unpopular, I think that there will be a political benefit in having succeeded in passing this reform. So then, well, what do we observe? We observe demonstrations which are large – about 1 million to 2 million people according to the figures – throughout France, in many cities. Of course, there are regular demonstrations. But at the same time, we don’t get the impression that the movement is really growing. So there was an attempt on 11 February, to hold a strike, sorry, a demonstration, on a Saturday to try to extend it to people who, for example, work in the private sector and are not able to free themselves for a demonstration during the week. We saw that the number of demonstrators had not increased spectacularly. So, we’re still talking about the usual people you get at demonstrations. You have to know that going to a demonstration, whether it’s on a weekday or a Saturday, is not something usual for many people. It’s always more or less the same people who go… who, moreover… there’s a whole ritual, who get together and know each other. It’s nice to go and demonstrate, to march in the street, to get together, and so on. But we can see that in the end the unions don’t manage to broaden it out, to get people to join the movement who are more distanced from the habit of demonstrating.
Donc finalement, pour le gouvernement, avoir un à deux millions de personnes qui manifestent une fois par semaine, bon, ce n’est pas véritablement un problème, sachant que, bon, il s’agit des opposants les plus déterminés qui de toute façon ne font pas pour la grande partie d’entre eux partie de l’électorat de la majorité.
Après, il y a la question des grèves. Alors, les grèves, ça peut être beaucoup plus gênant, notamment sous la forme de blocages, à partir du moment où les trains ne circulent plus ou surtout, on a vu ces dernières années, où il peut y avoir des secteurs extrêmement sensibles, comme par exemple si les routiers se mettent à bloquer les routes avec des camions, si les raffineries sont bloquées et que le carburant n’en sort plus, on peut très vite se trouver dans des situations très difficiles où les déplacements sont rendus impossibles, on manque de carburant, etc. Là, ça peut être très difficile à gérer pour un gouvernement. Et ça peut se faire avec relativement peu de grévistes. Il suffit de bloquer des lieux stratégiques, des raffineries, des bretelles d’autoroute, etc. Pour l’instant, on ne le voit pas. Les syndicats l’annoncent pour le début mars, ce qui est très tard, le projet de loi sera déjà très avancé dans la discussion parlementaire. Il faut savoir qu’actuellement, c’est très difficile de mener un mouvement social puisque la France est un peu au ralenti avec les vacances scolaires, qui sont une grande tradition en France, qui sont des vacances scolaires très longues et, en plus, qui sont étalées sur plusieurs zones dans le pays donc pendant quatre semaines finalement, il y a quatre semaines où il est impossible d’avoir un véritable mouvement national puisqu’il y a une partie des régions – et à partir de la fin de la semaine la région parisienne – qui est vraiment stratégique, qui vont être en vacances. Donc c’est pour ça que le mouvement de blocage est annoncé seulement à partir du 7 mars.
Bon, est-ce que ce mouvement va prendre une ampleur suffisante ? Ce n’est pas certain puisque les catégories qui seraient nécessaires pour mener ce blocage ne semblent pas si engagées dans le mouvement, notamment du côté de la SNCF. Parce que pour ceux qui sont déjà en activité à la SNCF, leur régime spécial de retraite est préservé, donc ils ne sont pas si motivés, si engagés dans le mouvement. Et on verra du côté des chauffeurs routiers, des raffineries mais pour l’instant, ça n’a pas l’air non plus si évident. Donc c’est vraiment là, la clé. Si, évidemment, les syndicats arrivaient véritablement à bloquer durablement le pays à partir du 7 mars, peut-être que là, le gouvernement serait amené à revoir sa position.
So in the end, for the government, having one or two million people demonstrating once a week, well, that’s not really a problem, knowing that, well, these are the most determined opponents who in any case are not part of the majority electorate.
Then there’s the question of strikes. Strikes can be much more troublesome, especially in the form of blockades. From the moment when trains no longer run or, above all, as we’ve seen in recent years, when there can be extremely sensitive sectors, such as, for example, if the lorry drivers start blocking the roads with lorries, if the refineries are blocked and the fuel no longer comes out of them. We can very quickly find ourselves in very difficult situations where travel is rendered impossible, there is a shortage of fuel, and so on. This can be very difficult for a government to manage. And it can be done with relatively few strikers. It is enough to block strategic places, refineries, motorway junctions, and so on. For the moment, we don’t see it. The unions are announcing it for the beginning of March, which is very late, the bill will already be very advanced in its passage through parliament. You have to know that at the moment, it is very difficult to lead a social movement because France is a bit slow with the school holidays, which are a great tradition in France, which are very long school holidays and moreover are spread over several zones in the country, so for four weeks in all, there are four weeks where it’s impossible to have a real national movement, because there are the regions, and from the end of the week the Paris region, which is really strategic, which will be on holiday. So that’s why the blockade movement is only announced from 7 March.
Well, will this movement be on a sufficient scale? It’s not certain because the categories that would be necessary to lead this blockade don’t seem to be so committed to the movement, notably on the SNCF side. Because for those who are already working at the SNCF, their special pension scheme is preserved, so they are not so motivated, so committed to the movement. And we’ll see about the lorry drivers and the refineries, but for the moment it doesn’t seem so obvious either. So that’s really the key. If, obviously, the unions really manage to blockade the country for a long time from 7 March onwards, maybe the government will have to review its position.
Pour l’instant, ce n’est pas le cas et une grève plus générale, c’est extrêmement difficile. Ça avait eu lieu lors de la réforme des retraites de 2003 et là, il y avait une grève beaucoup plus générale, notamment dans la fonction publique et chez les enseignants. Mais… certains enseignants avaient fait grève pendant plusieurs semaines… Mais depuis 2003, cette grève avait échoué – le projet de loi de 2003 sur les retraites a été adopté – et depuis 2003, les gens sont beaucoup plus réticents à s’engager dans des mouvements de grève longs. Ils veulent bien faire grève une journée par ci, par là. Mais parce que, en 2003, le gouvernement s’était montré très strict sur le non-paiement des jours de grève. Et beaucoup de fonctionnaires, notamment enseignants, qui avaient fait grève pendant plusieurs semaines, s’étaient vu retirer dans les mois suivants l’ensemble des jours de grève de salaires, et donc avait perdu des sommes importantes. Et c’est quelque chose que l’on voit aujourd’hui – et c’est intéressant historiquement – que les gens ne sont plus prêts, même quand ils sont très engagés, motivés, syndiqués, etc. et ne sont plus prêts à faire de gros sacrifices pour faire grève. On voit historiquement qu’il y avait des grèves extrêmement dures, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public, il y a 50 ou 80 ans, où les gens, des fois, faisaient des grèves pendant plusieurs semaines, souvent bien sûr sans être payés, avec même parfois des licenciements à la clé – le droit du travail était à l’époque beaucoup moins protecteur pour les grévistes – il y avait beaucoup de mises à pied à la suite des grèves et donc des grèves extrêmement dures et coûteuses et les gens les faisaient.
Aujourd’hui, on voit que les gens sont beaucoup moins prêts à faire… les salariés sont beaucoup moins prêts à faire des sacrifices pour les grèves, notamment parce que la question du pouvoir d’achat est très présente, que beaucoup de gens sont endettés, ont des crédits à rembourser. Les Français sont un peuple qui est largement propriétaire de leurs maisons ou appartements, dont beaucoup se sont endettés pour cela. Les salaires sont relativement faibles en France. Beaucoup de gens gagnent moins de 2 000 € par mois et quand on gagne moins de 2 000 € par mois, très souvent, une grande partie du salaire qui… avant même d’être touché est déjà dépensé en dépenses fixes et que si ce salaire est amputé de 100, 200 € ou 300 €, parce qu’on a fait plusieurs jours de grève dans le mois, et bien pour beaucoup de gens, c’est absolument impossible.
For the moment, this is not the case and a more general strike is extremely difficult. It happened at the time of the pension reform of 2003 and there was a much more general strike, notably in the civil service and among the teachers. But since 2003, this strike failed – the 2003 bill on pensions was adopted – and since 2003, people are much more reluctant to engage in long strike movements. They are willing to strike for a day here and there. But in 2003, the government was very strict about not paying for strike days. And many civil servants, especially teachers, who had been on strike for several weeks, had all their strike days withdrawn from their salaries in the following months, and therefore lost significant sums. And this is something that we see today – and it’s interesting historically – that people are no longer ready – even when they are very committed, motivated, unionised, and so on – are no longer ready to make big sacrifices to go on strike. Historically, we can see that there were extremely hard strikes, whether in the private or public sector, 50 or 80 years ago, where people sometimes went on strike for several weeks, often without being paid, sometimes even with dismissal as a result – labour law at the time was much less protective of strikers – there were many lay-offs following strikes and therefore extremely hard and costly strikes – and people went on strike.
Today, we see that people are much less ready to make… employees are much less ready to make sacrifices for strikes, notably because the question of purchasing power is very present, because many people are in debt, have loans to repay. The French are a people who largely own their houses or flats, and many of them have gone into debt for that. Wages are relatively low in France. Many people earn less than €2,000 per month and when you earn less than €2,000 per month, very often a large part of the salary that… before you even get it is already spent on fixed expenses… and if this salary is cut by €100, €200 or €300, because you have been on strike for several days in the month, well for many people, it is absolutely impossible.
Donc là, il y a vraiment quelque chose qui rend les mouvements de grève très, très, très durs et difficiles. Voilà donc pour l’instant, il est difficile de se prononcer. Mais on a l’impression que malgré la forte opposition à ce projet – au report de l’âge de la retraite à 64 ans – dans l’opinion publique, on n’a pas l’impression que cette opposition se traduise par un mouvement social très fort.
So there is really something which makes strike movements very, very, very hard and difficult. So for the moment, it’s difficult to say. But we have the impression that despite the strong opposition to this project – to the postponement of the retirement age to 64 – in public opinion, we don’t have the impression that this opposition is translating into a very strong social movement.
Les villes résonnent une fois de plus au son des manifestations de rues. Le gouvernement du président Emmanuel Macron cherche à réformer le système des retraites. Les syndicats se mobilisent. Le sujet est un éternel recommencement des conflits sociaux dans le pays. Qui s’en sortira au mieux cette fois-ci ? Hervé Joly, directeur de recherche au CNRS, nous livre son analyse.
La question des retraites est depuis 30 ans en France un sujet très conflictuel au plan politique. Bon, on avait eu une première réforme qui elle évidemment n’avait pas posé de problèmes avec les syndicats et avec la rue, qui était la réforme de 1983, qui avait abaissé l’âge de la retraite légale à 60 ans. Un régime donc qui était très favorable, d’autant plus que, par ailleurs, il fallait seulement 37,5 années de cotisations et que la retraite était calculée sur les dix meilleures années de carrière. Donc, c’était un régime très favorable.
Depuis 1993, on a eu une succession de réformes qui sont revenues sur cette avancée et qui ont durci les conditions de la retraite à la fois pour le régime général, qui correspond aux salariés du secteur privé, et pour le régime spécifique de la fonction publique, ainsi que des régimes dits spéciaux qui sont des régimes pour certaines catégories professionnelles, comme les conducteurs de train ou les employés du gaz et de l’électricité.
Ces réformes successives, depuis 1993, ont augmenté la durée nécessaire de cotisation, augmenté aussi la durée de la période prise en compte pour le calcul de la retraite portée à 25 ans – dans le secteur privé – et puis on a aussi depuis 2010 élevé l’âge légal de la retraite qui est passé d’une première fois déjà, donc, de 60 à 62 ans.
Alors évidemment, toutes ces réformes ont été perçues négativement par les syndicats et ont suscité des manifestations importantes. Ces réformes ont été faites plutôt par des gouvernements de droite, mais pas seulement, puisqu’on a eu aussi une réforme en 2013 faite par un gouvernement socialiste, celui de François Hollande, qui a augmenté notamment la durée nécessaire de cotisation pour la porter, pour ceux nés à partir de 1972, à 43 ans.
Donc, toutes ces réformes ont suscité des réactions. Aucune ne s’est faite avec l’accord de l’ensemble des partenaires sociaux. Dans certains cas, des syndicats dits réformistes comme la CFDT ont accepté la réforme ou une partie de la réforme, mais globalement, elles ont suscité des oppositions. Pourtant, tous les gouvernements qui avaient porté ces réformes avaient, à l’époque, des majorités absolues. Mais on sait qu’en France, avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale ne suffit pas. Bien sûr, il peut y avoir une forte opposition, à la fois dans la rue, par des manifestations et puis également des mouvements de grève, alors qui sont rarement des grèves générales dans l’ensemble des secteurs, mais qui sont des grèves plutôt ciblées de la part de professions qui sont en situation, en faisant grève avec un nombre assez restreint de grévistes, de bloquer le pays. On pense en particulier aux transports avec la SNCF ou les transports urbains à Paris, la RATP.
Donc, c’est souvent ces mouvements de grève qui sont déterminants pour éventuellement empêcher une réforme, puisque ces mouvements sont, plus que des manifestations, vraiment en mesure de bloquer le pays et de gêner le gouvernement. Il y a eu jusqu’à maintenant une seule réforme qui n’a pas abouti, qui était celle de 1995, portée par le Premier Ministre de l’époque, Alain Juppé, qui voulait supprimer les régimes spéciaux. Cette réforme, qui s’était heurtée à une grève très importante, notamment de la SNCF, et le gouvernement Juppé avait dû reculer. Sinon toutes les autres réformes, malgré les oppositions dans la rue et des mouvements de grève ont été adoptées.

La particularité cette fois-ci, c’est qu’en plus, on a pour la première fois un gouvernement qui ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale et qui donc, soit doit faire passer sa réforme avec cet article dit 49 alinéa trois de la constitution qui prévoit qu’une loi soit adoptée, s’il n’y a pas adoption d’une motion de censure renversant le gouvernement, ce qui n’arriverait que si l’ensemble des députés d’opposition, qu’ils soient de la gauche, de l’extrême droite ou de la droite républicaine, votait cette motion de censure. Donc, c’est une première possibilité de faire passer une réforme qui a été beaucoup utilisée par le gouvernement ces derniers mois. Cette fois-ci, pour les retraites, l’objectif du gouvernement était plutôt d’essayer d’éviter d’utiliser l’article 49 trois et de compter sur le soutien, au moins, des députés les Républicains de la droite républicaine qui, a priori, sont plutôt favorables à une réforme visant à élever l’âge de départ à la retraite, puisque cela faisait partie du programme des Républicains aux précédentes élections.
Mais évidemment, ce parti qui est quand même dans l’opposition, ne souhaite pas soutenir le gouvernement dans la mesure où il n’y est pas associé, et donc est un peu gêné parce qu’à la fois, ils sont d’accord sur le fond, sur la réforme, mais en même temps, ils ne veulent pas donner cette victoire au gouvernement et à Emmanuel Macron de réussir à faire cette réforme. Donc, ils sont un petit peu hésitants, divisés sur la stratégie à adopter.
Je pense que c’est vraiment un rapport de force parce que, bon, les prochaines élections, elles sont loin. On est à quatre ans des prochaines élections présidentielles et législatives. En plus, l’actuel président Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter à l’élection présidentielle. Bon, donc, même si cette réforme est impopulaire – parce qu’évidemment personne n’est content de devoir travailler deux ans de plus – donc quand on demande aux gens s’ils sont pour cette réforme, il est assez normal qu’ils répondent dans les sondages qu’ils sont contre. Mais en même temps, les Français répondent que… majoritairement que cette réforme va se faire parce que… parce qu’ils se doutent bien que le gouvernement ne va pas céder et on sait par ailleurs que pour un président, pour un gouvernement, c’est très important de montrer une fermeté. C’est-à-dire que les Français, très souvent, une partie d’entre eux, réagissent dans la rue par des grèves, s’opposent à une réforme. L’opinion, souvent, soutient les opposants, mais en même temps l’opinion n’aime pas avoir des gouvernements faibles. Et il est évident que si Macron et son gouvernement cédaient leur quinquennat serait quasiment terminé, qu’ils perdraient toute crédibilité politique et qu’au contraire, s’ils arrivent à surmonter les oppositions et à faire passer la réforme, il est certain que ça va les renforcer et leur donner une crédibilité. Même si cette réforme est relativement impopulaire, je pense qu’il y aura un bénéfice politique à avoir réussi à faire passer cette réforme. Ensuite, bon, qu’est-ce qu’on observe ? On observe des manifestations qui sont importantes – d’environ 1 million à 2 millions de personnes selon les chiffres dans toute la France – dans de nombreuses villes. Bien sûr, il y en a régulièrement. Mais en même temps, on n’a pas l’impression que le mouvement s’amplifie véritablement. Bon, il y a eu, il y a eu une tentative, le 11 février, de faire une grève, pardon, une manifestation un samedi pour essayer d’élargir à des gens qui, par exemple, travaillent dans le secteur privé et ne sont pas en mesure de se libérer pour une manifestation dans la semaine. On a vu que le nombre de manifestants n’avait pas spectaculairement augmenté. Donc, on reste dans le public habituel des manifestations. Il faut savoir que aller à une manifestation, que ce soit un jour de semaine ou un samedi, c’est pas quelque chose d’habituel pour beaucoup de gens. C’est toujours un petit peu les mêmes qui y vont, qui d’ailleurs, il y a tout un rituel, se retrouvent, se connaissent. C’est sympa d’aller manifester, de défiler dans la rue, de se retrouver, etc., bon. Mais on voit que finalement les syndicats n’arrivent pas à élargir, à faire que des gens qui sont beaucoup plus éloignés de ces pratiques manifestantes se rallient au mouvement.
Donc finalement, pour le gouvernement, avoir un à deux millions de personnes qui manifestent une fois par semaine, bon, ce n’est pas véritablement un problème, sachant que, bon, il s’agit des opposants les plus déterminés qui de toute façon ne font pas pour la grande partie d’entre eux partie de l’électorat de la majorité.

Après, il y a la question des grèves. Alors, les grèves, ça peut être beaucoup plus gênant, notamment sous la forme de blocages, à partir du moment où les trains ne circulent plus ou surtout, on a vu ces dernières années, où il peut y avoir des secteurs extrêmement sensibles, comme par exemple si les routiers se mettent à bloquer les routes avec des camions, si les raffineries sont bloquées et que le carburant n’en sort plus, on peut très vite se trouver dans des situations très difficiles où les déplacements sont rendus impossibles, on manque de carburant, etc. Là, ça peut être très difficile à gérer pour un gouvernement. Et ça peut se faire avec relativement peu de grévistes. Il suffit de bloquer des lieux stratégiques, des raffineries, des bretelles d’autoroute, etc. Pour l’instant, on ne le voit pas. Les syndicats l’annoncent pour le début mars, ce qui est très tard, le projet de loi sera déjà très avancé dans la discussion parlementaire. Il faut savoir qu’actuellement, c’est très difficile de mener un mouvement social puisque la France est un peu au ralenti avec les vacances scolaires, qui sont une grande tradition en France, qui sont des vacances scolaires très longues et, en plus, qui sont étalées sur plusieurs zones dans le pays donc pendant quatre semaines finalement, il y a quatre semaines où il est impossible d’avoir un véritable mouvement national puisqu’il y a une partie des régions – et à partir de la fin de la semaine la région parisienne – qui est vraiment stratégique, qui vont être en vacances. Donc c’est pour ça que le mouvement de blocage est annoncé seulement à partir du 7 mars.
Bon, est-ce que ce mouvement va prendre une ampleur suffisante ? Ce n’est pas certain puisque les catégories qui seraient nécessaires pour mener ce blocage ne semblent pas si engagées dans le mouvement, notamment du côté de la SNCF. Parce que pour ceux qui sont déjà en activité à la SNCF, leur régime spécial de retraite est préservé, donc ils ne sont pas si motivés, si engagés dans le mouvement. Et on verra du côté des chauffeurs routiers, des raffineries mais pour l’instant, ça n’a pas l’air non plus si évident. Donc c’est vraiment là, la clé. Si, évidemment, les syndicats arrivaient véritablement à bloquer durablement le pays à partir du 7 mars, peut-être que là, le gouvernement serait amené à revoir sa position.
Pour l’instant, ce n’est pas le cas et une grève plus générale, c’est extrêmement difficile. Ça avait eu lieu lors de la réforme des retraites de 2003 et là, il y avait une grève beaucoup plus générale, notamment dans la fonction publique et chez les enseignants. Mais… certains enseignants avaient fait grève pendant plusieurs semaines… Mais depuis 2003, cette grève avait échoué – le projet de loi de 2003 sur les retraites a été adopté – et depuis 2003, les gens sont beaucoup plus réticents à s’engager dans des mouvements de grève longs. Ils veulent bien faire grève une journée par ci, par là. Mais parce que, en 2003, le gouvernement s’était montré très strict sur le non-paiement des jours de grève. Et beaucoup de fonctionnaires, notamment enseignants, qui avaient fait grève pendant plusieurs semaines, s’étaient vu retirer dans les mois suivants l’ensemble des jours de grève de salaires, et donc avait perdu des sommes importantes. Et c’est quelque chose que l’on voit aujourd’hui – et c’est intéressant historiquement – que les gens ne sont plus prêts, même quand ils sont très engagés, motivés, syndiqués, etc. et ne sont plus prêts à faire de gros sacrifices pour faire grève. On voit historiquement qu’il y avait des grèves extrêmement dures, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public, il y a 50 ou 80 ans, où les gens, des fois, faisaient des grèves pendant plusieurs semaines, souvent bien sûr sans être payés, avec même parfois des licenciements à la clé – le droit du travail était à l’époque beaucoup moins protecteur pour les grévistes – il y avait beaucoup de mises à pied à la suite des grèves et donc des grèves extrêmement dures et coûteuses et les gens les faisaient.
Aujourd’hui, on voit que les gens sont beaucoup moins prêts à faire… les salariés sont beaucoup moins prêts à faire des sacrifices pour les grèves, notamment parce que la question du pouvoir d’achat est très présente, que beaucoup de gens sont endettés, ont des crédits à rembourser. Les Français sont un peuple qui est largement propriétaire de leurs maisons ou appartements, dont beaucoup se sont endettés pour cela. Les salaires sont relativement faibles en France. Beaucoup de gens gagnent moins de 2 000 € par mois et quand on gagne moins de 2 000 € par mois, très souvent, une grande partie du salaire qui… avant même d’être touché est déjà dépensé en dépenses fixes et que si ce salaire est amputé de 100, 200 € ou 300 €, parce qu’on a fait plusieurs jours de grève dans le mois, et bien pour beaucoup de gens, c’est absolument impossible.
Donc là, il y a vraiment quelque chose qui rend les mouvements de grève très, très, très durs et difficiles. Voilà donc pour l’instant, il est difficile de se prononcer. Mais on a l’impression que malgré la forte opposition à ce projet – au report de l’âge de la retraite à 64 ans – dans l’opinion publique, on n’a pas l’impression que cette opposition se traduise par un mouvement social très fort.