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Je n’aime pas le mot génie. Je crois qu’on arrive tous à faire quelque chose avec une motivation personnelle et puis le travail. Je me botte peut-être les fesses tous les matins en me levant, et puis le travail c’est un travail acharné à travers un service et un devoir qu’on doit envers notre client, le petit détail. Anticiper sur le client je crois que c’est un petit peu comme? c’est un code de la route en fait, on apprend les bases, et puis à vous de ne pas avoir d’accidents et puis de ne pas avoir de mécontents dans vos clients. Eh bien là, c’est un petit peu pareil, ça veut dire que tous les jours vous devez être attentif et regarder aussi bien dans le rétroviseur qu’à droite, qu’à gauche, et puis à pas griller le feu rouge de façon à pas créer un incident et puis? c’est la qualité, c’est la rigueur. Voilà, c’est ça. C’est un travail de tous les jours en fait.
Oui, comme Nicolas Le Bec nous le rappelle, le métier de grand chef n’est pas fait pour les fainéants. Tout le monde a vu que peut être le revers de la médaille pour le service, avec le tragique suicide du grand cuisinier Bernard Loiseau, apparemment blessé à mort par la perte de deux points dans son appréciation par le guide Gault & Millau.
Mais la carrière de M. Le Bec est ascendante et la vie est en rose dans son restaurant de la Cour des Loges. A l’âge de 31 ans il vient de recevoir sa première étoile dans le Guide Michelin. Il a déjà une note de 18/20 dans le Gault & Millau. C’est une performance étonnamment précoce et, vu l’unanimité des critiques, il s’est établi comme la grande vedette de la nouvelle génération des cuisiniers français. Les éloges, il les reçoit avec une modestie charmante:
Une nomination comme ça fait toujours du bien, pour l’équipe. Et puis… une surprise? Si, parce qu’il y en a qui attendent des années avant d’avoir une étoile et ils en ont jamais?
Ça a bouché les quelques trous qu’il y avait parce que le restaurant affiche quinze jours à trois semaines de complet déjà depuis pas mal de temps.
M. Le Bec n’a que 31 ans, mais il a déjà 18 ans de métier derrière lui. Il nous raconte son ascension au sommet:
Je suis rentré à treize ans à l’école hôtelière. Je suis sorti à seize ans avec un diplôme en poche et puis je suis parti aux Etat-Unis, à New York, travailler pendant une année dans ma famille. Je suis, d’origine, Breton et beaucoup de Bretons sont partis au début du siècle pour finalement, bâtir New York, aussi bien dans la restauration que dans la construction. Mes oncles sont restés, ont développé des affaires, donc je suis resté un petit peu, non pas pour le savoir-faire culinaire, mais pour la culture, pour voir différentes choses. Je suis revenu en France, j’ai travaillé dans des maisons qui étaient très dures et qui ont toutes quasiment aujourd’hui trois étoiles parce que, finalement il faut s’investir de sa personne pour pouvoir aller jusqu’en haut. C’est dans ces maisons où il y avait un gros turnover de personnel, où il y avait beaucoup de changement, il y avait beaucoup de choses et qui sont aujourd’hui donc ces chefs trois étoiles? donc c’était à chaque fois des étapes pour me faire mon propre carnet de livres et puis de savoir-faire. Je prenais les meilleures techniques aux meilleurs endroits, et ce qui m’a amené à la place à vingt-deux ans à la Réserve de Beaulieu à Beaulieu Sur Mer, donc chef. Donc c’était le palace des années soixante-dix, le plus beau palace des années soixante-dix, le plus prestigieux, avec une équipe d’une trentaine de personnes. Et puis après j’ai été sollicité par les Sibuets qui sont les propriétaires du groupe compagnie des hôtels de montagne avec les Fermes de Marie à Megève et qui sont venus me proposer cette place il y a sept ans, en tant que chef. Il y avait sept personnes en cuisine. Il y avait quatre-vingt couverts par jour, et trois ans après il y avait sept-cents couverts, il y avait soixante-dix gars en cuisine, et finalement, j’ai formé tout un bataillon qui s’est éclaté un petit peu dans différents sites sur Megève, étant donné qu’il y a cinq restaurants, sur la Provence, qui a été en ouverture 2000, et Lyon. Pourquoi Lyon? Parce que ça a été une association avec le PDG du groupe, en me disant "écoute, si tu investis? si tu t’associes avec moi sur la Cour des Loges, je la rachète, sinon, je la laisse couler", parce qu’il y avait pas de restauration.
La Cours des loges est en soi-même une des merveilles de Lyon, un bâtiment du XVième siècle, qui fait rêver de la grandeur de la ville au carrefour des routes mercantiles de l’époque médiévale. Le restaurant se situe au milieu de la cour, à laquelle on a mis un toit en verre. Le décor est plutôt moderne – un peu à la japonaise – et c’est une juxtaposition de styles qui fonctionne très bien. Quant aux recettes du grand chef:
La cuisine juste, simple, goûteuse, parfumée et légère, parce que ça fait aussi partie du deal, quand je suis venu à Lyon il y deux ans, j’avais dit que je ne ferai pas du poulet à la crème en fait.
Ça a marché doublement parce que justement c’était une touche nouvelle même dans une ville qui paraissait difficile et qui est très ancrée dans la tradition. Mais le Lyonnais voyage énormément dans le monde entier comme les autres personnes. Donc, ils ont aussi besoin de s’ouvrir. Je pense que la cuisine devient cosmopolite également et que il faut pas dire que, ni les Français sont les meilleurs, ni on a les meilleurs produits, et ça je pense qu’on peut s’en rendre compte quand on fait énormément de démonstrations ou de repas à l’étranger et auxquels on voit que dans le monde entier il y a des hommes de talent, il y a des produits de talent et qu’on mange bien dans le monde entier au jour d’aujourd’hui* et pas simplement qu’avec des Français.
Pour M. Le Bec les clés de la réussite sont de ne pas rester rigide dans ses prestations, mais d’être à l’écoute des attentes des clients:
Tout dépend où on est situé, si on est dans une grande ville, si les gens sont les businessmen qui sont là pour passer un repas d’affaires, tout dépend s’ils sont en vacances, s’ils sont en été, s’ils sont en hiver, s’ils vont faire du ski, s’ils vont finalement rester sur une chaise longue* en été en Provence, donc l’équilibre de la nourriture joue en fonction de ça et de l’exercice du client et de l’activité, tout ça, ça bouge énormément et c’est pour ça qu’à chaque fois il faut être attentif à ça et ça fait partie des clés de la réussite, je pense, oui.
Je ne regarde pas les grands autour de moi. Je pense que j’ai ma propre cuisine, à travers huit restaurants parce que aujourd’hui j’ai en place huit restaurants – donc c’est pas simplement qu’un seul produit – qui sont différents mais qui ont la même trame de qualité et d’exigence. Et puis après tout ça évolue dans le bon sens, quoi.
La cuisine est maintenant un centre d’affaires en France. Le grand chef Paul Bocuse a lancé la tendance avec ses produits surgelés – et maintenant ‘les produits dérivés’ font partie du jeu. M. Le Bec n’a pas encore dévoilé sa prochaine démarche, mais ce qui est clair, c’est que huit restaurants déjà ne satisfont pas un homme de grande ambition.
Il y a encore des projets ailleurs, simplement il y a eu énormément de choses de faites en trois ans de temps. Il faut, au jour d’aujourd’hui, consolider, voir les choses qui sont pas intéressantes, les éliminer. Quand on a envie d’apprendre on évolue tous les jours. Je suis meilleur, je pense, que l’année dernière, et l’année prochaine je serai meilleur qu’aujourd’hui. Donc après, effectivement, il y a beaucoup de choses qui peuvent s’ouvrir professionnellement parce que ça reste ma vie, à travers la France, à travers l’étranger, seulement on se lance pas dans du n’importe quoi. Il faut avoir des gens pour, il faut que ça soit des choses sûres. Je reste dans l’image d’une qualité d’un nom auquel les gens savent qu’ils vont en avoir pour leur argent et qu’on va essayer de surtout pas les décevoir et qu’on se mettra en quatre* quoi, voilà, et qu’on veut pas des restaurants attrape-nigauds*, voilà.