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Parti vraiment, l’ancien français ? Pierre Rézeau en préserve néanmoins les traces. Il est, avec une équipe de douze rédacteurs, éditeur du Dictionnaire des régionalismes de France, un énorme ouvrage qui rassemble le vocabulaire, français, des différentes régions de France.
S’intéresser au français à travers la France, c’est quelque chose en effet d’assez difficile parce que la France est très variée à beaucoup d’égards, les paysages sont variés, la cuisine est variée, les églises, les cathédrales, les vignes, tout ça est varié, et le français aussi, il est différent dans les régions de France. Toutes les régions parlent le français mais c’est un français qui n’a pas la même couleur si on est au nord, si on est à Strasbourg, si on est à l’ouest en Bretagne, ou au sud à Nice et dans le soleil de la Provence.
Il a fallu bien longtemps pour mener l’entreprise à son terme.
Alors nous avons? C’est une équipe du CNRS, du centre national de la recherche scientifique, qui a lancé ce projet d’un dictionnaire des variétés du français, des variétés du lexique français. C’est un projet qui a été lancé il y a une douzaine d’années. Nous avons donc fait des enquêtes sur le terrain. C’est la première fois qu’on a fait des enquêtes à travers toute la France. Il n’y en a pas eu beaucoup mais quand même à peu près 500 enquêtes sur la façon dont les gens parlent le français. A côté de ces enquêtes, en parallèle, nous avons dépouillé*, comme nous disons, beaucoup d’ouvrages : des romans, des romans policiers, des pièces de théâtre, des chansons, bon, très variés selon les régions, tout ce que nous avons pu collecter. Nous avons aussi mis en place – pour étudier l’histoire de ces faits – nous avons mis en place toute une documentation métalexicographique. C’est pas un mot grossier, ça veut dire une documentation de tous les glossaires, de tous les dictionnaires très nombreux qui ont été faits sur tel ou tel coin de France. Bien.
Et le jeu en valait la chandelle* !Alors ça nous a permis de dégager, disons, les principaux faits de variété linguistique et de faire un gros ouvrage – il est gros, il fait 2,7 kg, c’est lourd – et qui ne donne pas toutes les variétés, bien sûr, il y en a beaucoup que nous avons laissées à la porte parce que le travail ne serait pas fini, hein? Nous avons donné les principales formes, bien, et c’est un travail qui a été très bien reçu, dont beaucoup de gens ont été très contents.
Est-ce que cela signifie que ce dictionnaire est absolument nécessaire pour voyager à travers la France et que vous allez devoir rajouter presque 3 kilos dans votre sac à dos cet été pour négocier le pain, le fromage et le vin dans les fermes ?
Maintenant quand on se promène à travers la France, il peut arriver aussi que l’on rencontre dans bien des régions, dès que l’on sort des villes, on peut rencontrer des gens en milieu rural, en particulier, qui, non seulement parlent le français avec un accent ou avec des mots particuliers, mais qui parlent aussi ce qu’on appelle habituellement, qui parlent le patois, ou qui parlent le dialecte, comme on dit. Alors ça, ça n’est pas du français, c’est une façon de parler qui n’est pas non plus, même si beaucoup le veulent, ça n’est pas une langue, c’est le reste de la façon de parler d’autrefois, si vous voulez, quand le français s’est constitué, la langue française actuelle, elle s’est pas faite en un jour, elle s’est faite lentement.
La situation actuelle des patois est très diverse à travers la France. Pour aller vite, on peut dire qu’ils sont en voie de disparition très forte. On dit même qu’ils sont presque morts ou moribonds, mais on le dit depuis deux siècles et ils sont toujours là quand même.
Alors il y a plusieurs discours si vous voulez à l’égard de ces patois. Vous avez des discours militants. Vous avez des gens qui disent ‘non, c’est un moyen de communication tout à fait vivant’. D’ailleurs le mot ‘patois’ est refusé par ces gens-là. Ils disent qu’il s’agit d’une langue. Ce sont des langues comme le français, des langues qui n’ont pas eu de chance, des langues mises de côté, marginales, écrasées, si vous voulez, mais qui ont autant de noblesse et de vitalité que les autres, mais il faudrait que l’école, il faudrait que? une certaine littérature les aide davantage. Alors c’est tout à fait vrai que, au point de vue de? linguistique, ce sont en effet des vrais moyens de communication. Mais une langue, elle n’a pas simplement qu’une étiquette linguistique, elle a aussi une étiquette sociale. Une langue, il faut aussi, pour qu’elle existe, qu’elle soit parlée, et qu’elle soit parlée par toutes les générations. Et on s’aperçoit quand même que les jeunes générations, ici et là, conservent pas trop mal, comme elles peuvent, mais elles peuvent, conservent le patois. Ça leur permet de dialoguer avec les parents ou les grands-parents, et puis, bon, il y a en ce moment, souvent, un petit peu une recherche d’identité, une recherche d’affirmation d’un paysage linguistique local. Alors il y a quelquefois un certain ‘revival’, une certaine mode qui revient, mais ça reste quand même, face au rouleau compresseur du français, de la télévision, des médias, ça reste quelque chose qui, je pense, va en se marginalisant toujours davantage. Mais on peut pas dire que c’est mort. On peut pas non plus dire que ce soit très vivant, hein? Donc, si vous voulez, vous avez, selon les personnes, vous aurez des discours très militants disant ‘non, non, ça existe, mais nous sommes opprimés, nous sommes écrasés. Pourquoi est-ce que ça n’est pas plus vivant ? C’est parce qu’on nous empêche de parler !’ Mais qu’est-ce qui empêche de parler, c’est en fait que tout le monde actuel a changé, donc ces patois on beaucoup de peine au point de vue du vocabulaire à se renouveler. Ils sont victimes, ils sont toujours obligés de faire des emprunts au français.
Les patois ont leurs propres mots et aussi des constructions particulières, une syntaxe, une grammaire.
Moi je connais bien, disons, le patois de ma région, par exemple, de Vendée. J’ai travaillé dessus depuis assez longtemps. C’est sûr qu’il y a des faits qui sont tout à fait distinctifs de ces patois. Vous avez par exemple un pronom neutre qui a plusieurs siècles. On le voit déjà au treizième siècle apparaître. C’est un pronom, c’est ‘o’. ‘O’ pour dire ‘il’, hein. Au lieu de dire ‘il pleut’, c’est le cas actuellement, au lieu de dire ‘il pleut’, on dit ‘o mouille’, le verbe ‘mouiller’ au sens de ‘pleuvoir’, ‘o mouille’. Si? mais devant une voyelle, ce ‘o’ ce sera ‘ol’, du genre, si vous dites ‘il y en a beaucoup ‘, on dira en patois ‘ol en a bé raide’, hein. Si vous analysez, le bé raide’? moi j’ai mis du temps, quand j’étais enfant, je savais pas ‘bé raide’, pour moi ça voulait dire ‘beaucoup’ –et ça veut dire ‘beaucoup’ en patois, mais on l’analyse : ‘ol’, c’est ‘il’, ‘ol en a’, ‘il y?’, le ‘y’ il saute, hein. ‘Ol en a’, ‘il y en a’. ‘Be raide’ c’est ‘bien raide’ en fait, ‘raide’ étant comme on dit ‘raide dingue’, un ‘raide fou’ quoi. Ça veut dire? c’est un intensif. ‘Ol en a bé raide’, bon. Eh bien disons que c’est surtout les? des mots comme ça qui sont les plus longs à disparaître. Le vocabulaire, si vous voulez, lui, il est en effet très typique des régions.
Par exemple, vous avez un mot – il est même passé dans le français de la région – un mot comme, pour désigner les haricots blancs qu’en français familier on appelle ‘des faillots’, les haricots blancs dans la région ici on appelle ça de la mogette. Et en descendant en Saintonge vous avez un phonème très particulier avec une certaine aspiration. On dit de la mohette’, comme dans certains coins du Québec d’ailleurs. Et la mogette, bon, c’est un mot? maintenant il est même passé en français. Il fait partie de ces mots qui, depuis plusieurs années, ont quitté le domaine un petit peu, disons, ancien ou retardé du patois pour apparaître dans le français de la région, bien sûr. Mais vous allez dans les magasins, vous voyez sur les conserves, vous voyez ‘mogettes de Vendée’. Le mot est écrit. Il est sur les menus de restaurant, hein. Ça veut dire que c’est un mot qui fait tilt*, qui est attractif, si vous voulez.
On pourrait croire que les différents patois sont le reflet des mentalités différentes selon les régions.
Pas forcément. On a souvent dit ‘les personnes de telle région sont des gens travailleurs, sérieux, bon? et leur patois montre bien qu’ils ont un accent assez lourd, qu’ils parlent lentement’ … bon, vous allez dans la région d’à côté, on trouve? ‘non, ce sont des gens? ils se mettent facilement en colère, ils sont nerveux, très travailleurs et leur patois traduit bien ça?’ C’est tout à fait faux. C’est tout à fait faux. La musique, bon. La musique générale, elle est différente au sud de la France et au nord de la Loire. Ça c’est vrai. Ça tient à beaucoup de phénomènes, si vous voulez. Tout ce qui est au sud de la France, les variétés nombreuses d’occitan sont beaucoup plus chantantes apparemment, beaucoup plus musicales – à Lyon déjà on le remarque, hein – que dans le nord de la France où le débit est plus? peut-être un peu plus lent, certainement et moins musical, je sais pas comment dire. Mais d’un patois à l’autre, selon une certaine? mettons à cent kilomètres de différence, d’écart, il n’y a pas vraiment de différence, si vous voulez. Il y a une différence à l’oreille. C’est pas le même patois, mais avec? autrefois avec l’habillement des gens, avec les coiffes qui étaient différentes, là on pouvait très bien identifier les villages, avec les patois aussi quand on les connaît, on dit ‘ça c’est de telle région, ça c’est le nord de la Vendée, ça c’est la Charente, bon. Mais on peut pas dire que il y a une différence caractéristique dans l’intonation, dans la musicalité, dans le débit. Non, c’est pas? c’est plutôt dans la phonétique, quelquefois, qu’on va voir de la différence, comme tout à l’heure, je vous disais, l’exemple, là, du mot ‘mogette’ que en Charente Maritime on prononce ‘mohette’. Bon, là, on voit que c’est pas le même phénomène.
Et puis il y a encore bien sûr – alors là ce sont de vraies langues – quelques, tout à la périphérie de la France, vous avez des langues comme le basque, aux environs de Bayonne, dans le sud-ouest, en Bretagne, le breton, en Alsace, le dialecte alsacien qui est une variante de l’allemand. Vous avez aussi un peu de flamand dans le nord de la France, vous avez la Corse qui parle corse, une langue très proche de l’italien, ça ce sont des langues très différentes, tout à fait distinctes du français et distinctes des patois.