Version Ralentie
C’est combien le kilo ?
– 500 !
– 500 euros ?
– Oui !
– D’accord !
500 euros le kilo ! Pour des champignons ? On peut croire qu’il y a une erreur, qu’on a rajouté un zéro … mais non, c’est bien le prix et pour cause. Ce ne sont pas n’importe quels champignons, ce sont des truffes noires et on vient de partout dans le monde pour s’approprier leur arôme unique.
Nous sommes au fameux marché aux truffes de Richerenches. Les gens se dissimulent tellement qu’on dirait un marché clandestin, d’armes ou de drogues. C’est surtout un marché pour les professionnels; les négociations entre acheteurs et vendeurs se déroulent devant les coffres des voitures à l’abri des regards indiscrets et si l’on cherche à comprendre ce qui est en train de se passer la réponse des mécontents ne se fait pas attendre:
– Ça, on l’explique pas. C’est un secret de famille qu’on garde.
– Pas de photos, s’il vous plaît, pas de questions? Allez dégagez un peu la piste!
Pour saisir le mystère qui entoure la truffe il faut comprendre qu’elle ne se cultive pas comme d’autres plantes. Pour se développer, la truffe vit en symbiose avec un arbre – le plus souvent un chêne. Donc il faut commencer par avoir un terrain qui convient aux arbres:
– Il vous faut un terrain, tout d’abord, qui soit bien calcaire parce qu’il vous faut un PH qui soit entre huit et huit et demi. Ça, c’est très important ! Et, après, plus le terrain est drainant, caillouteux? En fait, plus il va pas retenir l’eau plus c’est intéressant parce que la truffe n’aime pas baigner dans l’eau. Il lui faut un petit peu d’humidité et beaucoup de chaleur donc les terrains les plus drainants possible. Ça, c’est ce qu’il y a de mieux.
Une fois le terrain trouvé on va planter les arbres. Autrefois, trouver un arbre qui donnait des truffes était le fruit du hasard . Aujourd’hui on augmente ses chances en utilisant des chênes mycorhizés – déjà implantés de spores de truffes:
– Des plants truffiers, vous en avez de deux types. Vous avez, en fait, les chênes qui ont poussé localement, bon, qui poussent dans la nature ici et, donc, dans des terrains qui sont naturellement mycorhizés parce qu’on a des terrains qui contiennent le mycélium donc qui donnent, on va dire, un arbre sur dix au bout de dix ou quinze ans. Et après, vous avez les chênes mycorhizés. Donc, c’est ce que j’ai là ! Et c’est des arbres sur lesquels on a implanté? sur les racines desquels on a implanté le mycélium. Donc, en fait, on a mélangé au terreau une semence qu’on a tirée des truffes et, en poussant, les racines prennent ce mycélium et font ce qu’on appelle les mycorhizes. Et avec ces arbres-là, donc qui sont contrôlés après par l’INRA*, ben, on est sûrs qu’en plantant un arbre, l’arbre a la capacité de donner et va pouvoir donner et donc on a, au bout de cinq à dix ans, les premières truffes qui apparaissent et après, si on entretient bien, si on arrose, etc. Ça peut durer pendant vingt ans, trente ans; trente ans c’est un peu la limite, on va dire, mais vingt ans tranquillement.
La science est une précieuse auxiliaire, mais cela ne signifie pas pour autant que la culture soit facile:
– Ben, il faut savoir qu’il faut entre huit et vingt ans pour avoir des truffes sur une plantation. Donc, on prend des plants qui sont mycorhizés et on attend. Voilà. En sachant que, bon, tous les arbres ne vont pas produire. Il y a? sur un hectare, on met trois cent cinquante plants et il y a 30% de plants qui risquent de donner. C’est pour ça que la truffe a tout son mystère.
– Mes parents, avec un hectare, ils en faisaient autant que moi avec dix maintenant. Ça se perd. La truffe se perd.
Et pourquoi cela?
– On ne sait pas. De pollution ? Oui peut être, oui peut-être !
On a son terrain, son chêne truffier… maintenant il faut un climat adéquat. Pour les professionnels qui veulent garder leur réputation, il est hors de question d’arroser:
– Si vous voulez, ça fait comme un fruit qui a été arrosé et un fruit qui n’a pas été arrosé. Eh bien, le fruit qui a été arrosé, il sera très beau mais, au point de vu gustatif… il en a beaucoup moins *. Tandis que? Et là, c’est pareil. Voilà ! Elle est peut-être moins belle mais elle est beaucoup plus parfumée. Elles ont plus de parfum parce qu’elles n’ont pas été arrosées. Elles ont pris que l’eau qu’il est tombé.
Trouver les truffes sur un terrain de quelques hectares n’est pas évident, c’est pourquoi la plupart des cultivateurs utilise des chiens bien dressés.
– Dans une vie, les? vraiment les bons chiens se comptent sur les doigts d’une main. Il faut les dresser. Ce n’est pas une petite affaire. Eh bien, c’est les vieux chiens qui dressent les jeunes. Ils voient faire, ils voient gratter, ils voient? Mais si vous avez qu’un chien qui n’est pas dressé, pour le dresser, c’est difficile. C’est très difficile !
Et si après tout ça on arrive enfin à récolter des truffes, il faut encore savoir protéger les diamants noirs, comme on les appelle.
– À Bulat Marondis ! Là ! Ils se sont fait braquer ce matin. Quarante kilos de truffes ! Alors ils disent maintenant que la gendarmerie va s’en occuper. Mais les gendarmes? il y a gendarme et gendarme aussi. Il y a plein de gendarmes qui hurlent, d’autres gendarmes qui volent, alors c’est difficile.
Maintenant qu’on a compris les difficultés des cultivateurs, on admet le prix de 500 euros le kilo. Pour beaucoup entre eux, ce prix n’est d’ailleurs pas assez élevé:
– J’ai vu des lots qui sont partis à cinq cents, c’est inadmissible ! C’est inadmissible !
Mais les courtiers qui achètent – souvent pour des restaurants – sont des négociateurs impitoyables:
– Ah ben ça, c’est l’offre et la demande ! C’est à nous à nous débrouiller. Ah ben, je suis courtière, j’achète ! Ils demandent combien je donne et s’ils sont contents, ils me laissent, sinon, ils vont voir un autre courtier.
Quel est leur critère de base?
– Qualité ! Qualité de la truffe ! On peut avoir plusieurs lots mais pas le même prix parce que c’est la qualité de la truffe. Eh ben, qu’il n’y ait pas de brumales, pas de petites? tout ça !
Quant aux cultivateurs, ils se débrouillent comme ils peuvent :
– Il y a deux façons de faire. Ou vous faites tous les vendeurs ou deux, trois vendeurs et vous vendez à celui qui vous donne le meilleur prix ou alors vous avez votre vendeur attitré qui vous fait confiance et qui connaît votre qualité et vous restez avec celui-là. En général, beaucoup font comme ça. Moi aussi ! C’est-à-dire que quand on connaît, il y a? il peut? Dans la truffe, c’est un produit cher, il vaut mieux être sûr de la qualité. Donc le courtier qui connaît son producteur va payer le prix raisonnable pour une qualité qui ne sera pas décevante.
– Cette année, c’est difficile, c’est irrégulier, vous voyez. Compte tenu que la production est très faible, le prix est insuffisant parce qu’il y a une production très faible. On aimerait mieux un prix plus bas encore mais plus de production. Et voilà. Mais enfin l’année prochaine ce sera peut-être mieux s’il y a un peu de pluie.
– Moi, je ne vends pas encore au courtier. Je vendrai au courtier, au dernier moment, si je ne veux pas les vendre aux particuliers mais je sais que le jour où j’irai voir le courtier? quand j’irai voir le courtier, il me les payera la moitié du privé.
Nous, les particuliers, devons payer le prix fort. Encore faut-il être un acheteur averti.
– Et là où il faut faire attention c’est qu’en ce moment, sur le marché, il y a de la truffe chinoise : de la Tuberindicome ! Elle n’a aucun goût la truffe de Chine. Et le néophyte se fait prendre au piège -pas le courtier, bien sûr-, mais le néophyte se fait prendre au piège car elle a le même aspect que la Mélanosporum et, où on peut la reconnaître, c’est qu’elle rebondit. Alors c’est une truffe qui vaut vingt euros le kilo ou trente euros le kilo et, sur le marché, on en voit la vendre six cents ou sept cents euros.
Il y a la qualité et il y aussi une question de maturité.
– C’est des Mélanos. Alors celle-là, elle n’est pas trop noire, hein, quand même.
– Oh ah si si si !
– Elle est un peu blanche.
– Non non non ! Là, elle est en train de mûrir à fond. Non non, elle sera? si un petit peu plus noire. Elle pourrait être, légèrement plus noire.
– Vous êtes un producteur ?
– Oui bien sûr !
– Il y en a… alors moi, j’en ai trouvé des blanches. Est-ce que vous pensez que je vais finir par en trouver encore ?
– Des blanches. Mais vous faites quoi ? Vous faites la production ?
– Non non, moi, j’ai quelques truffiers chez moi.
– Oui mais des blanches, c’est de la Mélano qui n’est pas mûre ou bien?
– C’est de la Mélano qui n’est pas mûre.
– Ah ben oui, mais il faut attendre. Il faudrait attendre qu’il fasse froid.
– Et il fallait la laisser ?
– Il faudrait les laisser normalement. Mais vous l’avez trouvée comment ? Avec un chien ?
– Avec un chien, avec un chien, avec un chien.
– Et le chien vous l’a sentie ?
– Le chien l’a sentie.
– Et oui, hum hum !
– Alors comme il a gratté, on a dit : ce n’est pas la peine.
– Il l’a abîmée en plus. Il a dû l’abîmer.
– Il l’a abîmée et donc?
– Et donc au bout d’une semaine, elle pourrit.
– Et ben non, on l’a ?
– Vous l’avez mangée !
– On l’a mangée !
– On a dit, c’est trop dommage
– Et ouais mais c’est pas le top. C’est pas assez mûr, hein.
– C’est pas assez mûr, ouais !
Et si enfin on arrive à négocier l’achat de bonnes truffes, que faut-il en faire? Tout le monde s’accorde à le dire à dire: il faut rester simple :
– Moi, je les aime en omelette baveuse. C’est la seule chose?
– En brouillade !
– En brouillade, c’est?
– Une omelette, bon, vous dites une omelette mais il ne faut pas la faire cuire la truffe.
– Non non non non non, elle?
– Une bonne brouillade ! Pour faire une brouillade, il faut trois quarts d’heure.
– Il faut qu’elle soit crue.
– Il faut trois quarts d’heure.
-Voilà, il faut qu’elle soit crue.
– Il faut qu’elle soit crue parce que j’ai essayé d’en farcir, vous savez, d’en glisser sous la peau de la dinde, d’en mettre dans la farce, ça pas plus l’odeur de truffe que? enfin?
– Non, gardez-les? voilà !
– Donc j’ai dit, maintenant, la meilleure façon de me régaler, eh bien moi, je fais comme le chien, je les mange crues en les déterrant?
– Absolument !
– Pour qu’elle ait vraiment du goût, il faut qu’elle soit crue.
– Crue bien sûr !
– Ça a un goût particulier et cru, c’est super bon ! Là où on apprécie le mieux la truffe, c’est sur une tranche de pain grillé avec du beurre, des truffes coupées en lamelles et des fleurs de sel, un peu de champagne et c’est le meilleur ! Après, tout ce qui est de la mettre sous des peaux de chapons, de? pffffffff? Cru, c’est le meilleur : la truffe ! Et la Mélanosporome crue, c’est le summum !