Version Ralentie
On parle souvent de la vieillesse avec tristesse, quand ce n’est pas avec angoisse. Et pourtant, il y a moyen de profiter de la vie à tout âge. La clef de la réussite? C’est l’amour, toujours. Comme dit Henri, "Ça aide". Reportage Loïc Dupas.
J’ai eu le 16 novembre dernier quatre-vingt-dix ans. En novembre. Scorpion. C’est une question de santé physique qu’il faut entretenir évidemment avec un peu de sport. Tous les genres de sports d’ailleurs – si on peut mettre des sous-entendus- et ça m’a réussi; la preuve, c’est que je suis encore là, assez en forme.
Si je vous raconte en trente secondes ma vie, j’ai été marié trois fois. La première fois, trois ans, divorce. Deuxième fois, veuvage malheureusement, j’ai perdu la mère de ma fille après dix-huit ans de mariage. Donc deux fois célibataire, donc libre. Ensuite, remariage pendant vingt-quatre ans. Séparation et divorce, et je suis à nouveau célibataire. Et je croyais à ce moment-là que c’était fini. Je me disais, j’ai tel âge. J’ai loué un studio dans le…, ici à Paris et je vivais en me disant, eh bien, ça durera ce que ça durera1. Et puis, par… un mauvais hasard j’ai rencontré Madame Mailleux, Alix, mais je vais vous dire comment : son mari est décédé et j’ai vu dans le journal le… On s’était perdus de vue. Et quand je lui ai envoyé, donc, des condoléances, madame Mailleux m’a répondu pour me remercier. Je lui ai dit, mais on pourrait boire un verre ensemble, il y a longtemps qu’on ne s’est pas vus, et tout… On a bu un verre, on a bu deux verres, on a bu trois verres, à la fin on a bu la bouteille, si je puis dire. Et voilà comment ça s’est fait. Et nous avons décidé, étant libres l’un et l’autre, de nous unir – mais chacun chez soi, parce qu’ à nos âges, vivre ensemble c’est pas si facile. Alors on a mis trois ou quatre ans pour bien étudier le problème, s’étudier réciproquement et on s’est aperçu qu’on pouvait très bien vivre ensemble, et je peux vous dire que depuis que nous vivons ensemble c’est à croire qu’on a toujours vécu ensemble parce que tout coule très facilement, très simplement. Il n’y a aucun problème.
Viens,2 découvrons toi et moi, les plaisirs démodés,
Ton coeur contre mon coeur, malgré les rythmes fous,
Je veux sentir mon corps par ton corps épousé.
Dansons joue contre joue…
– Je suis heureux de la vie que j’ai eue et, je peux dire, que j’ai faite. Il y a eu des ratés3, hein. Oh, il y a eu beaucoup de ratés mais il y a aussi beaucoup de satisfactions, beaucoup de moments heureux. Il y a de tout. Et je m’en rends compte maintenant : plus on avance en âge, plus on trouve que ça va très vite. Vous ouvrez votre agenda, vous dites, bon, eh bien j’étais là il y a six mois. Vous ouvrez, non, c’était il y a un an et demi. Vous comprenez, il y a des tas de trucs. La mémoire étant moins fraîche, on situe mal un événement et effectivement ça passe très vite, et c’est dommage; ça passe toujours trop vite mais quand on a la chance d’arriver à mon âge et d’avoir l’espoir encore que ça dure, c’est réconfortant. La vie se prolonge alors qu’on dit toujours, la vie est brève, la vie est trop courte, j’ai pas eu le temps de faire ça, j’aurais voulu faire ça. Ça ne veut pas dire qu’on le fait plus facilement à quatre-vingt-quinze ans parce qu’on ne l’a pas fait à soixante, mais ça donne des raisons de vivre quand même. Vous regardez un reportage à la télévision sur un pays, sur un voyage. Même si vous n’y êtes pas allé, ça vous donne envie d’y aller. Même si vous n’avez plus la possibilité ou financière ou physique d’y aller mais vous avez envie d’y aller. Donc, quand, âgé, on a encore des envies, c’est bon signe. Des désirs.
Un clair matin4 de printemps, le réveil a sonné dès le lever du soleil,
Et j’ai dit à mon Henri, sors du lit, c’est aujourd’hui qu’il passe!
On arrive sur le boulevard sans retard, pour voir défiler le roi de Zanzibar,
Mais sur le champ on est refoulés par les agents, alors j’ai dit :
"Permettez,permettez, bousculez pas maman!"
– Il est évident que je ne crois pas que l’on profite actuellement de la vie, que l’on prend le temps d’en profiter et d’en jouir tel que j’ai pu le faire pendant les années précédentes et surtout il y a trente, quarante ans. La vie était plus ralentie mais on en profitait. Que ce soit pour les plaisirs, que ce soit pour s’alimenter6 dans un restaurant ou ailleurs ou avec des amis, on est toujours pressés. On ne déguste pas. On ne profite pas de toutes les bonnes choses que nous apporte la vie, et c’est dommage. Et maintenant tout le monde est pressé, tout le monde est pressé. Pourquoi? Pourquoi? Ça n’avance pas. On ne fait rien de plus, rien de plus qu’avant. Ça nous vient peut-être un peu d’Amérique aussi car on a tendance à nous faire vivre à l’américaine mais, on n’a pas pris les meilleurs côtés de la vie américaine. On a pris plutôt les mauvais côtés.
Viens5 m’embrasser et je te donnerai un frigidaire, un joli scooter, un atomiseur et du Dunlopillo,
Une cuisinière avec un four en fonte, des tableaux sous verre et des pelles à gâteau.
– C’est l’amour, hein, vous, qui jalonne votre parcours, non, votre vie?
– Ah oui! Ça aide, ça aide à vivre, croyez-moi. On attend toujours l’Ascension, mais avec un grand A, comme dans le signe religieux, c’est-à-dire la montée vers le ciel. Il y a des étages. Et maintenant je vous dirai une chose, c’est qu’on dit toujours "le dernier amour est le premier", eh bien je le crois sûrement parce que j’ai eu pas mal d’amours dans ma vie – les plus divers – et maintenant, c’est de l’amour véritable, et vu mon âge, j’espère qu’il se pérennisera – si on peut employer ce mot – jusqu’au jour du grand voyage. Donc, je suis optimiste. Je suis bon vivant. La mort ne m’a jamais fait peur mais j’envisageais une routine de vie qui m’aurait mené, bon… Alors que le rencontre avec madame Mailleux a été un rebondissement et je suis reparti vingt ans en arrière. Donc ça m’a redonné un tonus que j’allais perdre inévitablement et maintenant je… Pour mon âge, enfin je peux dire, si on peut dire "je pète le feu7", c’est le mot. Nous voyageons. Nous allons dans les restaurants. Nous sortons. Nous vivons comme des gens beaucoup plus jeunes, aussi bien elle que moi car elle a quatre-vingts ans. J’ai très bien rempli ma vie et il y a maintenant, comme je vous l’ai déjà dit, ma compagne qui pour moi est tout maintenant. Et je suis parfaitement heureux. J’aimerais qu’elle le sache. Et croyez-moi, nous fêtons tout ce que nous pouvons fêter avec joie, avec amour – il n’y a pas d’autre mot. Comme disait la mère de Napoléon «Pourvu que ça dure, mais je sais que ça durera!».
Serre-toi8 encore plus fort, t’occupe pas des autres.
On est bien comme ça, ta joue contre ma joue.
Tu te souviens?
Ça fait un drôle d’effet tout de même.
On a l’impression de danser comme nos parents.
Dans le fond, ils avaient peut-être pas tout à fait tort.
Les époques changent.
L’amour reste. Allez.
Dansons joue contre joue. Dansons…
People often speak of old age with sadness if not anguish. And yet it’s possible to take advantage of life at any age. The key to success? Love as usual. As Henri says, "It helps…" Loïc Dupas reports.
I celebrated my 90th birthday on November 16th last year. In November. Scorpio. It’s a question of physical health, needless to you say need to look after yourself with a little bit of sport. All forms of sport moreover – if you get the hint – and I’ve done very well by it. The proof is I’m still here in pretty good shape.
If I were to tell you my life in thirty seconds, I’ve been married three times. The first time, three years… divorce. The second time, widowed unfortunately, I lost the mother of my daughter after 18 years of marriage. So twice a bachelor and therefore free. Then remarriage for twenty-four years. Separation and divorce and I’m a bachelor again. And this time I really thought that it was finished. I said to myself, I’m at this age, I rented a studio here in Paris and I lived saying to myself, well, it will last as long as it lasts. And then, by a sad chance I met madame Mailleux, Alix, but I’ll tell you how : her husband died and I saw it in the newspaper… We’d lost touch. And when I sent her my condolences, madame Mailleux replied thanking me. I said, but maybe we could go out for a drink together, it’s a long time since we’ve seen each other and so on… We had a drink, two drinks, three drinks, we end up drinking the bottle, if I can put it like that. And that’s how it started. We decided, both being free agents, to get together – but live apart; because at our age, living together isn’t so easy. So it took three or four years for us to get a measure of the problem, to weigh each other up and we realised that we could live together very easily and I can tell you that since we’ve been living together it feels like we’ve always lived together because everything flows very easily, very simply. There’s no problem.
Come, lets discover, you and I, old-fashioned pleasures,
Your heart against mine, despite the crazy rhythms,
I want to feel your body squeezing mine,
Let’s dance cheek to cheek…
– I’m happy with the life that I’ve had and I can say, what I’ve done. There’ve been mistakes. Oh yes, there’ve been a lot of mistakes but also lots of satisfaction, lots of happy moments. There’s been a bit of everything. And now I’ve realised : the older you get, the more you find that it goes very quickly. You open your diary, you say, well, I was there six months ago. You open it, no, it was a year and a half ago. You see, there are so many things. With the memory being less clear, you don’t situate what’s happened properly and in fact it goes very quickly, and that’s a pity; it always goes too quickly but when you’re lucky enough to reach my age and still have a hope that it’ll last, that’s comforting. People are living longer and yet people are always saying life is short, life is too short, I haven’t had the time to do that I would have wanted to do that. That’s not to say that it’s easier to do something at 95 years of age because you didn’t do it at 60, but it gives you reasons for living all the same. You see a documentary on the television about a country, about a journey. Even if you haven’t been there, it makes you want to go there. Even if you’ve not got the financial or physical means to go there, but you’ve got the desire to go there. So when you’re old and you’ve still got desires that’s a good sign. Desires.
One bright spring morning, the alarm rang as soon as the sun rose,
And I said to my Henri, get out of bed, it’s today that he’s coming!
We got to the Boulevard without delay, to see the passage of the King of Zanzibar,
But when we were there we were pushed back by the policemen, so I said:
"Please, please don’t push mother around!"
– Of course I don’t think people today take advantage of life, take the time to take advantage and enjoy in the way I could in years gone by and above all thirty or forty years ago. Life was slower but we took advantage. Whether it’s for pleasures or to eat in a restaurant or elsewhere or with friends, people are always in a hurry. They don’t savour. They don’t take advantage of all the good things that life brings us and that’s a pity. And now everyone’s in a hurry, everyone’s in a hurry. Why? Why? Things don’t go forward. We don’t do anything more, anything than we used to. It’s maybe come to us a little bit from America as well, because they tend to make us live in the American way, but we haven’t taken the positive aspects of American life. We’ve more taken the bad aspects.
– Come and kiss me and I’ll give you a fridge, a pretty scooter, an atomizer and a Dunlopillo,
a cooker with an iron stove, pictures under glass and cake slices.
– It’s love, isn’t it, that marks out your journey through life?
– Ah yes! It helps! It helps you to live, believe me. People are always waiting for the Ascension, but with a big A, in the religious way, that’s to say an Ascension towards heaven. There are stages. And now I’ll tell you something, they always say "Your final love is the best" and well I certainly believe it because I’ve known quite a few loves in my life – quite a variety – and now it’s true love, and given my age, I hope it will last – if I can put it like that – until the day of the final journey. So, I’m optimistic. I live well. Death’s never frightened me. But I imagined my lifestyle would lead to… Well, the meeting with madame Mailleux was a reversal of fortune and I went twenty years backwards. So that gave me back an energy which I was inevitably going to lose and now I… For my age, I can say it, I’m full of beans, that’s the expression. We travel. We go to restaurants. We go out. We live like people much younger than us, her as well as me because she’s 80 years old. I’ve had a very full life and now, as I’ve already told you, there’s my companion who is everything for me now. And I am perfectly happy. I would like her to know that. And believe me, we celebrate everything that we can celebrate with joy, with love – there’s no other word. As Napoleon’s mother would say "Let’s hope that it lasts, but I know it will".
Hold on tighter, don’t worry about the others.
We’re fine like that, your cheek against my cheek.
Do you remember? It’s a strange feeling all the same.
It feels is though we’re dancing like our parents.
In the end, maybe they weren’t wrong.
Times change.
Love remains. Come on.
Let’s dance cheek to cheek. Let’s dance…