Version Ralentie
On passe l’année à rêver des vacances, mais parvient-on vraiment à se décontracter quand les congés arrivent? Loïc Dupas est allé au village de Lacanau Océan sur la côte atlantique pour enquêter à ce sujet.
– Nous, on1 constate une chose, c’est que les vacanciers qui viennent ici sont bien plus stressés et prennent bien moins le temps finalement que nous qui vivons ici, même en travaillant. C’est-à-dire que les vacanciers arrivent stressés et en quinze jours j’ai l’impression qu’ils arrivent pas à évacuer leur stress. Donc c’est peut-être un peu périlleux mais notre objectif dans un endroit comme celui-là, c’est justement de faire redescendre un peu la pression, quoi.
– J’aime plus le travail que les vacances, hein.
– Non!
– Ah si, si, à force, bon c’est bien de prendre une semaine, deux semaines, mais après ça devient lassant, hein.
– Moi, je pense que les gens ont du mal à se décontracter. Ils ont peut-être une semaine ou deux semaines dans l’année. Pour certains, ils se privent un petit peu toute l’année aussi pour se payer les vacances et les gens par rapport à ça ont du mal à se détendre. La vie un petit peu chère, les achats, le restaurant, les sorties, je pense que tout ça, ça crée une certaine tension. Les gens ont du mal à se relaxer, ouais.
– C’est comme s’ils avaient pas assez de temps finalement?
– Peut-être. Pressés par le temps, ouais. On les sent un peu pressés par le temps. Ils veulent en profiter un maximum et en fait, eh ben, ils se speedent, ils se speedent, ils se stressent2, ils ont du mal à profiter de ce qu’ils veulent, quoi.
– Donc, dans le village, ouais, cette semaine, c’était un petit peu plus tranquille mais c’est vrai que les deux premières semaines, on a eu beaucoup de vacanciers qui étaient un petit peu stressés, exigeants, enfin pas… Un peu râleurs, on va dire.
– Pourquoi les gens sont-ils stressés? C’est le mal du siècle. Eh bien, les gens ont du mal à faire la coupure, quoi. Ça, c’est indéniable. Les gens ont du mal à ne plus penser à leur boulot. Aujourd’hui, moi, je vois des gens en vacances qui ont leur portable juste à côté de leur main, qui sont pas capables à un moment donné de couper le téléphone parce que c’est les vacances donc il faut couper, qui sont pas capables de faire la queue dans le supermarché et qui veulent toujours aller plus vite que la musique3, qui sont pas capables de sourire à quelqu’un parce que tout simplement on leur dit bonjour et ils vont pas répondre. C’est vrai qu’ici, on vit quand même malgré tout dans un village. On s’en aperçoit peu quand on vient en été parce qu’il y a beaucoup de monde mais le reste de l’année il y a cinq mille habitants. Donc, nous c’est vrai qu’on prend le temps au supermarché de papoter avec les gens. Vous croisez votre voisin à la boulangerie, au marchand de journaux. Le matin vous allez voir les personnes âgées du coin se raconter les dernières histoires.
– Alors, j’ai une autre question obscure : on va où comme ça?
– On va où comme ça?
– Projection dans les années à venir ou les décennies à venir. Aïe, aïe, aïe!
– Aïe, aïe, aïe! Ouais. On va vers les pays des fous. C’est pour ça que nous, on se retranche. On se réfugie en Asie l’hiver parce que ce sont encore des pays où par exemple perdre son calme, c’est perdre la face. Donc, ça, c’est quelque chose déjà qui est fondamental. Moi, je sais que j’essaye de jamais perdre mon calme. J’y arrive pas toujours mais lorsque j’ai affaire à un client, j’essaye quoi qu’il arrive de pas perdre mon calme, même si la personne en face de moi est agacée. Donc, c’est ramené un certain respect d’autrui. Après, je sais pas si on y arrivera, à ça.
– C’est intéressant, ça. En Asie, c’est perdre la face, perdre son calme. Ça veut dire que c’est presque un déshonneur, alors?- Ah, c’est un déshonneur. La personne qui s’énerve est un moins que rien4. Alors que chez nous finalement c’est la personne qui s’énerve qui a raison. Donc on est dans une conception de la vie radicalement différente. Vous marchez en Asie, vous allez par exemple à Bangkok qui est une véritable fourmilière, vous pouvez marcher dans la rue, personne ne vous bousculera. Ici, vous marchez sur un mètre cinquante de trottoir, on va vous rentrer dedans forcément parce que les gens ne se poussent plus. Ça ne se fait pas en fait.
– Vous êtes pas quelqu’un de trop préoccupé5 par le temps?
– Non, pas trop, non, ça va.
– C’est-à-dire, vous aimez prendre votre temps?
– Ah ben oui, quand même, oui. Il faut, hein.
– Pour vous les vacances – parce qu’elles vont arriver fatalement – c’est synonyme de quoi.
– Bé, détente, loisir et puis ne rien faire.
– Vous êtes capable de rien faire?
– Ah pas trop quand même, hein.
– Vous avez pas de montre là. Si? Ah si, vous avez une montre.
– Oui, oui.
– Même en weekend, alors, sur la plage?
– Ah toujours, oui, oui. Je suis malheureux, moi, sans ma montre.
– Pourquoi?
– C’est comme ça, c’est…
– Non mais malheureux, vous dites, quand même, c’est fort.
– J’aime bien avoir des repères.
– Même en vacances on vit plus pressé. Les gens, on le voit, ils ont pas le temps de prendre le temps de rien. Même s’ils discutent avec vous. ‘Ah oui, maintenant, j’ai un rendez-vous. Il faut que je voie quelque chose. Ils ont toujours quelques choses dans la tête qui les obsèdent et qui font qu’ils prennent même pas le temps de discuter un peu avec les gens comme on fait là maintenant. C’est vrai, ils sont toujours pressés pour aller on sait pas où. Pour aller dans un autre endroit où ils feront la même chose, mais bon. Je sais pas. Je comprends pas. On a l’impression de jamais arriver à faire tout ce qu’on veut faire dans la journée. Donc on se fixe des tas d’objectifs et puis quand on les fait, eh ben on est content mais en fait on a survolé tout, et en fait on n’a pas vraiment vécu intensément chaque chose. Et ça empêche justement de vivre surtout la relation avec les autres. C’est vrai que c’est toujours très superficiel, très sommaire. On rentre pas trop dans les détails, quoi.
– Allez, la tomate, la banane!!!!!!!!
– Vous êtes au travail quand même. Vous avez des occupations, des préoccupations. Le temps est compté. Comment vous le gérez ce temps?
– Comme je peux. Très mal. Très très mal. Donc beaucoup de stress. Beaucoup d’angoisses. Un bon ostéopathe, déjà ça aide à respecter le temps, et après, arriver à se ménager des petits moments dans la journée, même brefs, un petit quart d’heure, une petite demi-heure face à la mer, face au soleil, aller promener ses chiens dans la forêt, voilà. Ça, c’est prendre un bref moment pour soi hors du monde de consommation où simplement on va faire une immersion dans la nature et à un moment donné se retrouver seul avec soi-même et avec le calme et se ressourcer. Moi,je… Moi, c’est ma recette à moi. Mais un bon ostéopathe, quand même.
– Oui, c’est de la méditation alors finalement. C’est ça qu’il nous faudrait peut-être un peu, non? Parce que je cherche des solutions en même temps, évidemment.
– En même temps, oui. Moi, j’ai trouvé mes solutions, hein. C’est-à-dire que boire l’apéro en front de mer déjà c’est vivre les choses à fond, quoi. C’est-à-dire savoir, même dans une journée de fou, savoir s’arrêter et se dire que, ben, finalement on a bien dix minutes à perdre, entre guillemets, pour gagner du bonheur, quoi. Perdre son temps, moi je trouve que c’est gagner du temps, ça c’est la conclusion à laquelle je suis arrivée. C’est peut-être un peu contradictoire mais depuis que je perds du temps à prendre du bon temps, je gagne de la sérénité.
We spend the year dreaming about going on holiday but do we really manage to relax when we get them? Loic Dupas went to Lacanau Océan village on the Atlantic coast to find out.
– If there’s one thing you notice, it’s that holidaymakers who come here are a lot more stressed and take their time about things much less than those of us who live here, even when we’re working. What I mean is holidaymakers arrive here stressed out and I don’t get the impression that in a fortnight they manage to get rid of their stress. So maybe it’s a bit risky but our goal in a place like this is precisely to take the pressure off a little.
– I prefer work to holidays.
– No!
– Yes really. It’s OK for a week, two weeks, but after that it gets tiresome.
– I think people find it difficult to relax. They’ve maybe one or two weeks in the year. Some of them have gone without a little bit all year round so they can pay for their holiday and people have difficulty relaxing over all that. The cost of living gets to be a little bit expensive with the shopping, the restaurant, the nights out… I think that all that creates a cerain tension. People find it difficult to relax, yes.
– It’s as if they didn’t have enough time in the end?
– Maybe. They’re in a rush over time, yes. You get the feeling they’re a little bit rushed by time. They want to take advantage to the full and so in practice they rush, they rush, they get stressed, they find it difficult to realise their wishes, if you like.
– So in the village, yes, this week things are a little bit more relaxed, but during the first two weeks we really had lots of holidaymakers who were a little bit stressed, demanding, well.. they were moaning a little bit, put it that way.
– Why are people stressed? It’s the disease of the century. People find it difficult to switch off, if you like. It’s undeniable. People find it difficult to stop thinking about their work. These days I see people on holiday who have their mobile phone just by them, who aren’t capable of switching the telephone off for one moment – because during the holidays you should switch off – who aren’t capable of queueing in a supermarket, who always want to dance faster than the music, who are incapable of smiling at someone : because, putting it simply, say “hello” to them and they won’t reply. Afterall we’re living in a village here. You don’t notice that very much when you come in summer, because there are lots of people, but the rest of the year there are five thousand inhabitants. So we’re used to taking our time in the supermarket, nattering with people : you bump into your neighbour at the baker’s shop, at the newsagent’s. In the morning you’ll see the old folk from the neighbourhood giving each other the latest news.
– So, I’ve another obscure question : where is this all heading?
– Where is this all heading?
– Throw yourself forward to the years to come, the decades to come. It’s painful!
– It’s painful alright! We’re heading towards a country of madmen. That’s why we get away from it all a bit. We go to Asia in winter, because in countries over there if you lose your calm, it’s you that loses face. So there already is a fundamental difference. I know I try never to lose my calm. I don’t alway succeed, but when I’m dealing with a client, whatever happens I try not to lose my calm, even if the person opposite me is getting wound up. So it’s about having a certain amount of respect for the other person. But I don’t if we’ll ever achieve that.
– That’s interesting. In Asia, you lose face if you lose your cool? You mean it’s almost dishonorable?
– It’s dishonorable. The person who gets angry is the lowest of the low. Whereas with us, it’s the person who gets angry who ends up the winner. So we’re dealing with a radically different conception of life. You walk around Asia, you go for example to Bangkok which is a real ants’ nest, you walk around the street and no-one will push you around. Here, you walk for a metre and a half down street, someone’s bound to bump into you, because “Not pushing each other around?” – it’s not done.
– Would you say you’re someone who’s a little bit too preoccupied by time?
– No, not too much, I’m balanced.
– You mean you like to take your time?
– Well yes, of course, yes. You have to.
– What do holidays mean for you? Because inevitably they come round…
– Well relaxation, leisure and then doing nothing.
– Are you capable of doing nothing?
– Well not really I suppose.
– That’s not a watch you’ve got there is it? Yes? Ah yes, you’re wearing a watch!
– Yes, yes.
– Even at the weekend, on the beach?
– Ah yes, always, always. I’m unhappy without my watch.
– Why?
– It’s just like that, it’s…
– But unhappy, as you put it, that’s quite strong.
– I like to have reference points.
– Even during holidays, people are in more and more of a hurry. People, you see it, they don’t take time to do anything. Even when they’re talking with you, it’s “Oh yes, now, I’ve got a meeting. I’ve got to go and see something.” They always have something in their minds that’s obsessing them. It’s true. They’e always in a hurry to go I don’t know where. To go to another place where they’ll do the same thing, but well… I don’t know. I don’t understand. You get the impression that they never manage to achieve everything they want to do in the day. So they fix themselves so many objectives and then when they achieve them they’re happy; but in fact they’ve skimmed over everything and in fact they’ve not really lived anything intensely. And that’s precisely what prevents them living relationships with other people. It’s true. It’s always very superficial, very reduced. People don’t go too much into the details if you like.
– There you are, the tomato, the banana.
– Still you’re working. You’ve got occupations, preoccupations. Your time is precious. How do you manage your time?
– As best as I can. Very badly. Very, very badly. So lots of stress. A lot of anguish… A good osteopath to start with, that helps you respect time. And after that, you manage to organise yourself little moments during the day, even if they’re brief, a little quarter of an hour, a little half an hour on the seafront, facing the sunshine, walking the dogs in the forest… that’s what it’s about. Taking a brief moment for yourself, outside the world of consumption, where simply you go and immerse yourself in nature and at a certain point you find yourself alone with yourself and calm and you build up your strength. There we are, that’s my personal recipe. But a good osteopath all the same.
– Yes, so in the end it’s meditation. That’s maybe what we need a little of, isn’t it? Because of course at the same time I’m looking myself for solutions.
– At the same time, I see. I’ve found my solutions. Drinking an aperitif looking out to sea : that already is living things to the full. That’s to say knowing how to, even in a mad day, knowing how to stop and say to yourself well in the end we’ve at least got ten minutes to “lose”, in inverted commas, to capture a bit of happiness. To lose time is to gain time, I think, that’s the conclusion I’ve come to. It’s maybe a little bit contradictory, but since I started losing time in order to have some quality time, I’m more serene.