Version Ralentie
Tous les ans dans le petit village de Soucieu en Jarrest, des centaines de gens se rassemblent pour rendre hommage à Georges Brassens.
Comme dit la chanson de Charles Trenet :
Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
Brassens est mort en 1981, nous laissant des regrets et beaucoup de textes mis en musique. Les pèlerins du festival sont réunis par leurs souvenirs, leur respect et leur envie de passer un bon moment ensemble. Brassens était un très bon vivant. Beaucoup d’entre eux se déguisent pour illustrer leurs chansons préférées. – Dans Brassens, j’aime un peu son anticonformisme, un peu sa révolte par moment aussi. J’aime bien, oui, oui… Les copains, tout ça, cette atmosphère-là, c’est toujours d’actualité, ça.
– Alors qu’on a tendance à opposer les générations, il y a beaucoup de jeunes qui écoutent Brassens.
– C’est un festival bon enfant1 qui est organisé dans la bonne humeur. Je trouve ça très bien.
– C’est une référence et je crois – enfin, je suis même sûr – on étudie des textes de Brassens, alors qu’il a fait des chansons très provocatrices et qu’il a été interdit à la radio. Il y avait peut-être pas encore la télévision, donc il était pas interdit à la télévision et moi je trouve enfin que c’est… Il était en avance sur son temps. En plus, c’était sur la fin de sa vie, c’était un très bel homme. Moi je trouve qu’il avait un charme à la fois par sa timidité, sa réserve et sa stature, voilà. C’est un tout, mais c’est surtout un grand poète. Enfin, moi je vois… Enfin, moi, dans mon Panthéon il y a Brassens, Brel, Ferré, Aznavour, Bécaud, mais Brassens, Brassens est au-dessus.
Les chansons de Brassens sont à la gloire des gens foncièrement honnêtes et bons. C’est parfois simplement l’éloge de la vie et de la grandeur d’âme, sans tralala2, sans préjugés. Quelques accents de guitare, des mots de tous les jours pour dire la misère quotidienne – mais qui mérite d’être dite puisqu’elle constitue la vie des gens – Brassens embrasse le paysage des paysans pauvres dont la vie occupe aussi ses pensées. Ainsi la chanson intitulée “Pauvre Martin” retrace-t-elle d’une manière fulgurante la relation d’un laboureur à la terre qu’il travaille durement et sans se plaindre toute sa vie …jusqu’à se coucher humblement dans cette même terre, le moment venu. Les vies sans histoires des oubliés de l’histoire3.
Sans laisser voir sur son visage
Ni l’air jaloux, ni l’air méchant
Il retournait le champ des autres,
Toujours bêchant, toujours bêchant
Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps
Et quand la Mort lui a fait signe
De labourer son dernier champ
Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant
Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps4L’interprétation de ce chanteur au festival est proche de celle de Georges Brassens – la voix, le rythme.
En continuant à travers les rues du village, on rencontre des collectionneurs.
– Il est rare celui-là.
– Il est rare, c’est vrai. Voilà!
– Les collectionneurs cherchent des disques anciens, des 78 tours, des 25 centimètres, des vinyles, des 33 tours 25 centimètres, mais également des vieilles revues comme Paris-Match, notamment des premiers articles sur Georges Brassens de 1954, 1955. Et puis des livres, des livres sur Brassens ou les textes des chansons de Brassens ou alors les livres des amis de Brassens, des écrivains amis de Brassens.
Ami, amies. Car Brassens sans les femmes ne serait pas Brassens…
Sans sa gorge, ma tête,
Dépourvue de coussin,
Reposerait par terre
Et rien n’est plus malsain.
Tout est bon chez elle, il y a rien à jeter,
Sur l’île déserte il faut tout emporter.
…rien d’étonnant à ce qu’il soit payé de retour, du fond du coeur féminin. Chloé Radiguet, auteure du livre “Brassens à la lettre”:
– Laisse-moi tenir ton jupon, je saurai ménager tes dentelles, chante Brassens dans “Il suffit de passer le pont”. Amateur avoué de la genre féminine, il égraine dans ses couplets de jolis mots pour évoquer ses atouts. Ainsi tourbillonne la femme en corsage et jupon, en robe à froufrou ou à festons, en cotillon à guipure ou fanfreluches et gorgerettes, le pied léger dans de jolis bottillons.
C’est un abécédaire. C’est un hommage fervent à Brassens. Je suis partie des mots de ses chansons, des titres de ses chansons et des noms de ses amis pour raconter par petites touches successives toute son histoire. Donc ses chansons me sont entrées dans le coeur. Il est pas sorti de ma vie. Il est resté dans mon coeur. Et comme j’écris, il a fini par arriver ce qui devait arriver : j’ai eu envie d’écrire sur sa vie, moi qui ne connaissais que ses chansons. D’abord j’ai lu 140 livres. J’ai relu, lu et relu beaucoup toutes ses chansons. Je les ai écoutées. J’ai rencontré des gens. J’ai rassemblé tout ça. J’ai “tricoté”. Ça fait plein d’histoires et plein d’anecdotes.
Au bois de Meudon, il y a des petites fleurs
Il y a des petites fleurs,
Il y a des copains, au bois de mon cœur
Ils m’accompagnent à la mairie,
Chaque fois que je me marie
Que je me marie
Au bois de Saint-Cloud il y a des petites fleurs
Il y a des petites fleurs
Il y a des copains, au bois de mon cœur
Quant à Josée Stroobants, c’est une de ses amies du passé, venue présenter son livre “Une vie d’amitié avec Georges Brassens”:
– Ce livre, j’ai voulu l’écrire donc parce que j’ai eu une grande, très grande amitié avec Brassens et sa compagne et j’ai quand même eu une belle histoire également, c’est que j’ai été la compagne d’un ami très intime de Brassens. Donc, c’est comme ça que j’ai quitté ma petite Belgique pour venir habiter à Paris. C’est Georges qui a voulu que j’habite Paris, et donc j’ai fait ma vie avec son compagnon, avec donc mon compagnon qui était un ami intime et qui était aussi le facteur de et le facteur de Brassens. Nous étions plusieurs copains et Brassens nous téléphonait et disait, vous venez ce soir, on va faire une bouffe. Alors, c’était son mot “bouffe”. C’était la famille. Des soirées très agréables. Nous avons passé des réveillons, fêté la galette des rois, fêté l’anniversaire des uns et des autres. Il parlait même pas de ses chansons, ou il les chantait pas. C’était vraiment tout différent, vraiment comme on peut passer une soirée entre amis, même blaguer, rire et tout ça. C’était comme ça, quoi, la vie chez Brassens, quand on était en amis. Et je dois dire que les amis, ce n’était qu’un petit groupe. C’est-à-dire, c’était un petit groupe, c’était pas des artistes de music-hall ni rien, parce que Brassens avait un contact avec les amis qui chantaient sur scène, qui sont des artistes, quoi. Donc c’était autre chose. Nous autres, c’était totalement différent, donc, hein. Et voilà tout ce que j’ai voulu mettre dans ce livre.
La célébrité était-elle une épreuve difficile pour Brassens, lui qui montrait une modestie exemplaire dans sa vie privée et dans ses chansons?
– Oh, eh bien écoutez, je crois qu’il a vécu ça très simplement parce que, franchement, il était heureux et content de ce qu’il faisait et il a aimé ce qu’il faisait mais enfin c’était quand même pas l’homme qui se montrait, vraiment, comme il y a parfois des artistes qui se croient tout. Lui, pas du tout. Il est resté l’homme le plus simple possible. La preuve, c’est qu’une fois qu’il avait fini de chanter il rentrait et c’était l’homme nouveau le plus simple chez lui. Ses pantoufles, ses habits d’intérieur. Il travaillait beaucoup, en plus, hein. Vous savez qu’il y avait Püpchen, sa compagne, qui venait les weekends, et comme elle disait toujours, moi, je vais me coucher quand Georges se lève, parce que lui, il travaillait, il allait se coucher très tôt, Püpchen allait se coucher très tard. Alors, lui, étant couché très tôt, il se levait très tôt, mais alors c’est l’heure où Püpchen allait dormir. Donc, il travaillait énormément, et c’était pas l’homme à fêter la nuit et tout ça. Au contraire, c’était l’homme qui allait se coucher très tôt, justement pour travailler et être en forme et justement il avait quand même besoin de beaucoup d’esprit pour composer tout ce qu’il a composé, donc, hein.
D’amour et d’amitié, la famille Brassens s’agrandit encore et encore. Prénom : Delphine. Nom de famille : Brassens.
– L’année dernière j’étais déguisée en fille de joie et j’ai rencontré ces gais lurons et j’ai chanté avec eux . C’est une osmose totale. Depuis, on s’est plus quitté.
Bien que ces vaches de bourgeois
Les appellent des filles de joie
C’est pas tous les jours qu’elles rigolent
Parole, Parole,
C’est pas tous les jours qu’elles rigolent
Car, même avec des pieds de grues
Faire les cents pas le long des rues
C’est fatigant pour les guibolles
Parole, parole
C’est fatigant pour les guibolles…
Every year in the little village of Soucieu en Jarrest, hundreds of people gather to pay homage to Georges Brassens.
As the song by Charles Trenet goes:
Long, long, long
After the poets have disappeared,
Their songs still echo through the streets…
Brassens died in 1981, leaving us sadness and plenty of songs set to music. The pilgrims to the festival are united by their memories, their respect and their desire to spend a good time together. Brassens knew how to live well. Many are dressed up to illustrate characters from their favourite songs.
– I liked Brassens’s anti-conformism, his occasional rebellion too. I like him alot, yes, yes. Friendship, all that, that atmosphere, it still rings true.
– Although people tend to set the generations against each other, there are lots of young people who listen to Brassens.
– It’s very jolly and organised with good humour. I think it’s very good.
– He’s a reference point and I think – well, I know in fact – that Brassens’ lyrics are now on the syllabus, even though some of his songs were very provocative and were banned on the radio. There wasn’t television may be at that time, so he wasn’t banned from television and I think that… He was ahead of his time. And by the end of his life he was a very fine man. I think he was charming because of his timidity, his reserve and his status. It was everything together, but more than anything he’s a great poet. In the end, for me, in my Pantheon there’s Brassens, Brel, Ferré, Aznavour, Bécaud, but Brassens, Brassens is above the rest.
Brassens’ songs honour people who are profoundly good and honest. Sometimes it’s simply an elogy to life and broad-mindedness, without tralala, without prejudice. A few guitar notes, everyday words to describe the daily grind – which is worth being spoken about because it’s what constitutes people’s lives – Brassens’ vision encompasses the world of poor country folk too, whose life concerns him. For example the song called “Poor Martin”, which tells in dazzling fashion about the relationship a labourer has to the earth which he works hard – and without complaining – all his life… until he lies down humbly in that same earth, when the time comes. The unexceptional lives of people forgotten by history.
Without ever showing a trace
Of jealousy or meanness
He tilled other people’s land
Always digging, always digging
Poor Martin, poor misery
Digging the land, digging time
When Death gave him the signal
To work his final field
He dug his grave with his own hands
Quickly, hiding himself.
Poor Martin, poor misery
Digging the land, digging time
The performance of this singer at the festival is close to that of Brassens in voice and rhythm. As we continue to cross the village streets, we come across collectors
– It’s rare that one.
– It’s rare, that’s true.
– Collectors look for old discs the 78s, the 45s, the vinyls, the LPs, but also the old magazines like Paris-Match, in particular the first articles about Georges Brassens in 1954, 1955. And then there are books, books about Brassens or Brassens lyric books or books by friends of Brassens, writer friends of Brassens.
Friends and girlfriends. Because Brassens without women wouldn’t be Brassens…
Without her breast, my head
Deprived of its cushion
Would lay on on the ground
And there’s nothing more unhealthy.
Everything about her is good, there is no waste,
On a desert island you’d have to take everything
…and it’s not surprising that in women’s hearts the admiration is reciprocal. Chloé Radiguet is the author of the book “Brassens à la lettre”:
– Let me take care of your petticoat, I’ll know how to handle your laces, sings Brassens in “You just to have go past the bridge”. A declared fan of the female sex, he slips into his couplets pretty words to evoke their merits. Thus swirls the woman in corset and skirt, in a froufrou or festoon dress, in guipure lace or frills and high collars, light footed in pretty boots.
Its an ABC. It’s a fervent homage to Brassens. I started with words from his songs, titles of his songs and the names of his friends to tell his entire story with successive little brushstrokes. His songs entered my heart. He hasn’t left my life. He’s stayed in my heart. And as I’m a writer, the inevitable finally arrived: I wanted to write about his life, me who only new his songs. To begin with I read 140 books. I spent a lot of time rereading, reading and rereading all his songs. I listened to them. I met people. I assembled all that. I knitted it together and that makes for lots of stories and lots of anecdotes.
In Meudon woodland there are little flowers
There are little flowers
There are friends in the woodland of my heart
They accompany me to the town hall
Everytime I marry
In Saint-Cloud woodland there are little flowers
There are little flowers
There are friends in the woodland of my heart
Josée Stroobants is one those friends from the past, come to present her book “A life of friendship with George Brassens”:
– I wanted to write this book because I had a great, great friendship with Brassens and his partner and I’ve a wonderful story as well, it’s that I was the partner of a very close friend of Brassens. So that’s why I left my little country of Belgium to come and live in Paris. It’s Georges who wanted me to live in Paris and so I built my life with my partner, who was a close friend and was also Jeanne and Brassens’s postman. There were several of us who were friends together and Brassens used to telephone us and say are you coming around tonight, we’re going to organise a supper. Supper, that was his word. It was the family together. Very pleasant evenings. We’d celebrate News Year Eve, King’s Day on January 6th, celebrate one and other’s birthdays. He didn’t even talk about his songs, or sing them. It was really completely different, like you might spend an evening among friends, joking and laughing and so on. That’s how it was, life at Brassens’s place, when you were there as a friend. And I have to say the friends were a small group. That’s to say it was a small group, it wasn’t music-hall artists or anything like that, because Brassens had a contact with friends who sung on stage, who were artists if you like. So that was something else. For us others it was completely different. And I wanted to put all that into this book.
Was fame difficult for Brassens, as someone who’d been a model of modesty in his private life and in his songs?
– Well, listen I think he accepted it very naturally because to be honest, he was happy and pleased with what he did and he like what he did, but he was never the person to put himself forward like some artists who think they are everything. That wasn’t his case at all. He remained the most natural of men. The proof is once he’d finished singing he went home and he’d be completely natural again once he was at home. You know there was Pupchen, his partner, who came around at weekends and she always used to say, “I go to bed when Georges gets up” – because he used to work, he used to go to bed very early, Pupchen used to go to bed very late. So, because he went to bed very early he got up very early, but then that was the time when Pupchen used to sleep. So he used to work enormously and he wasn’t the person who’d party all night. On the contrary, he was the person who’d go to bed very early precisely so that he could work and be on form and precisely because he needed a lot of energy to compose everything that he composed.
Love and friendship, the Brassens family grows more and more.
First name: Delphine. Family name: Brassens.
– Last year I was disguised as lady of pleasure and I met this charming bunch and I sung “Lament of the ladies of pleasure” with them. It was total osmosis. And we’ve not been separated since.
Even though the bourgeois pigs
Call them ladies of pleasure
They’re not laughing every day
Take my word for it
You don’t see them laughing every day
For even with cranes’ feet
(Grue means both crane the bird and prostitute)
The hundred paces down the street
Are tiring on the legs
Take my word for it
They’re tiring on the legs…