Élise Hugueny-Léger anime des ateliers d’écriture créative pour les apprenants de français langue étrangère. Dans cette interview, elle partage son expérience et donne quelques conseils pour ajouter l’écriture créative à votre gamme d’activités d’apprentissage.
J’enseigne le français à l’université de Saint Andrews en Écosse, donc je travaille avec des apprenants qui ne sont pas… donc francophones, qui apprennent le français et pendant longtemps, voilà, on a enseigné la langue de manière assez traditionnelle avec de la grammaire, de la composition et plutôt argumentative, et il me semble que dans l’écriture créative, donc véritablement encourager nos étudiants à produire quelque chose d’assez littéraire, esthétiquement intéressant, il me semble que c’est une manière d’éveiller non seulement leurs capacités linguistiques mais aussi leurs connaissances, leur compréhension des textes, des genres de la littérature, et que ça permet aussi d’éveiller leur singularité en tant que… en tant qu’individu et en tant qu’apprenant, quoi. Et en faisant ça, je crois qu’on va… on utilise toute une gamme de vocabulaire, de lexique, mais aussi même de format, de rythme, etc. qui sont très variés et très différents de ce qu’on trouve dans la dissertation traditionnelle, le texte argumentatif, l’analyse de texte, etc., voilà, ce sont des exercices qui ont tout-à-fait leur place et qui ont leurs vertus, je les remets pas du tout en question, mais ça fait quelques années, donc, que, voilà… avec des collègues on essaie de développer cet approche complémentaire, j’ai envie de dire, à la fois différente et complémentaire de l’acquisition donc du français, dans notre cas.
Donc le travail que je fais ici cette année à Cergy, donc à l’Université de Cergy, il y a tout un cursus en écriture créative, qui commence à la licence et qui va jusqu’au doctorat, et c’est très intéressant de voir comment, donc, l’écriture créative maintenant en France est assez bien intégrée dans les universités. Mais c’est assez récent, si on compare avec les universités britanniques ou américaines, où voilà ça fait des décennies que le Creative Writing existe, en France c’est quand même très, très récent, et ça a été un petit peu critiqué au début, institutionnellement, voilà, mais on voit que c’est quelque chose, c’est une approche qui porte ses fruits et qui redynamise les cursus de lettres, aussi. Donc, donc le travail que moi je… j’essaie de faire, c’est de travailler plutôt avec des personnes dont le français n’est pas la langue natale, et de réfléchir à des dispositifs, des propositions d’écriture, d’atelier, des projets, qui non seulement stimulent l’apprentissage du français, mais aussi qui valorisent le fait d’être multilingue, qui valorise le fait, voilà, de connaître plusieures langues, de venir d’ailleurs, et se poser véritablement la question de ce que ses parcours peuvent apporter à la littérature et ce que l’écriture aussi peut apporter à des étudiants ou des personnes dans cette situation d’être toujours un petit peu aux marges de la langue en fait ou de toujours se situer entre deux langues.
Le travail poétique peut résider dans le décalage
Quand on écrit il me semble qu’on recherche l’originalité, on recherche… ou quand on lit, en tout cas, on a envie de trouver des voix une petit peu différentes, qui sonnent, voilà, de manière un petit peu différente, on n’a pas forcément envie de relire toujours les mêmes métaphores, etc., de livre en livre. Et finalement l’apprenant, on va dire, du français, celui qui, voilà, qui vient d’ailleurs, qui maîtrise d’autres langues avant le français, il ou elle a quand même cette chance énorme, finalement, de posséder cette capacité à trouver des images différentes, alors soit parce qu’il ou elle va aller traduire de langue et ça peut être mal-à-droit mais en même temps très, très joli, “a bunch of people”, « un bouquet de gens », mois je trouve ça magnifique, c’est poétique.
Donc, c’est vrai qu’on se pose beaucoup la question de la tension potentielle, mais je pense pas que ça soit une tension, je pense qu’il faut faire cohabiter tout ça, entre ce qui n’est pas juste, techniquement, ou pas usuelle, pas habituelle d’un côté, mais ce qui est de l’autre côté sera original, ce qu’on peut appeler créatif, voilà. Ce qui va apporter une touche, une touche d’originalité. Et ça, je pense que c’est important quand on travaille dans des ateliers plurilingues, je pense que c’est important d’ouvrir toutes ces possibilités, par exemple en disant clairement aux participants, voilà: « Là, c’est une formule qui est très jolie, qui est très originale, tu peux vraiment faire quelque chose avec ça, tu pourras vraiment la développer, mais, sois conscient que, généralement, on ne dit pas ça en français, on dit autre chose. »
Et c’est ça qui peut devenir aussi… Tout le travail poétique, peut résider dans ce décalage, ou peut même exploiter ce décalage entre ce qui « se dit » entre guillemets et ce qu’on veut dire ou ce qu’on peut dire avec nos ressources. Mais c’est vrai que les étudiants ont tendance à vouloir savoir ce qui est correct. Et c’est tout-à-fait légitime. Et je les comprends tout-à-fait. Et j’encourage pas du tout l’incorrection, c’est pas ça. Mais en tout cas, parfois il peut y avoir des cas, surtout dans un contexte, voilà, d’écriture créative, où quelque chose qui n’est pas usuel va devenir d’autant plus intéressant à travailler.
La dynamique d’un atelier d’écriture
C’est pas rare de se dire, voilà, j’aimerais écrire, mais je sais pas quoi. Je sais pas par où commencer, et ça, ce que j’aime beaucoup, moi dans le format, dans la dynamique d’un atelier d’écriture, c’est qu’on n’a pas vraiment à se poser cette question, parce qu’on arrive en atelier, et il y a quelqu’un qui vous fait la proposition d’écriture, qui vous offre, soit un texte, soit ça peut être une image, un extrait de film, etc. un peu comme stimulus. Et ça, ça ôte cette pression de se dire: « Oh, là, là! Mais c’est terrible, je suis pas inspiré, je sais pas ce que je vais écrire. » Donc c’est vrai qu’ écrire chez soi, bien sûr, c’est formidable, pour développer, voilà, le travail de la langue, et le vocabulaire et le style, mais je trouve que faire ça tout seul, quand on sait pas par où commencer, c’est pas facile. Alors, il existe plein de manuelles d’écriture créative qui sont très bien et qui donnent des suggestions d’activités, d’exercices, voilà, des débuts… par exemple des amorces de phrases à continuer, et cetera et je trouve que c’est très bien, mais c’est très difficile de s’astreindre à faire ce genre de choses quand on est seul. Donc, là, ça peut être par exemple, si on est avec d’autres apprenants, se créer un petit groupe, mais ça peut être un groupe juste de trois, quatre personnes, où on se dit, voilà, on se fait des ateliers d’écriture réguliers, on peut suggérer ça à son prof. Et vraiment pour faire des ateliers d’écriture on n’a pas besoin d’être dans la même pièce, on peut faire ça en ligne et ça marche très, très bien aussi en ligne. Je pense que ça marche mieux si le groupe n’est pas trop gros, mais ça peut aussi très, très bien marcher. Voilà.
Après il y a des personnes qui vous, des tas de gens, qui vous diront, mais, pour écrire, on n’a pas besoin d’être avec d’autres personnes, si on est destiné à être écrivain, être dans son bureau suffit. Bien sûr, on peut penser ça, c’est tout-à-fait juste. Mais, je crois que, dans le contexte de l’apprentissage des langues, qui est notre contexte à nous, voilà, le fait d’avoir cette impulsion, ce stimulus, avoir des propositions d’écriture, c’est extrêmement encourageant. Et le fait aussi d’obtenir des retours de quelqu’un, parce que, voilà, quand on écrit seul, c’est très bien, mais qu’est-ce qu’on fait de son texte ?
Alors que dans une situation d’atelier, même un petit atelier, on lit notre texte, on l’échange, on le donne à quelqu’un et en fait on a des lecteurs. Et ça c’est extrêmement valorisant, d’avoir quelqu’un qui lit votre texte, qui va faire des commentaires. Oui, c’est une des choses vraiment que je trouve très, très dynamisante dans les ateliers d’écriture, c’est aussi le fait que ça donne confiance en soi, par le regard de l’autre.