Version Ralentie
J’ai présenté il y a pas très longtemps une série d’eaux fraîches, ce qu’on appelle aussi des bouquets d’odeurs, de l’époque de Louis XV, à savoir une eau sensuelle que portait madame de Maintenon, une eau couronnée qui était une eau qui faisait appel à des agrumes, à des citrus, parce que c’est l’époque où les citrus viennent dans les orangeries, dans etc? et l’époque, cette époque-là était d’une très grande finesse, la parfumerie de Louis XIV c’est encore une parfumerie relativement lourde, avec les fonds animalisés, teinture d’ambre grise, civette, musc, avec des notes qui sont extrêmement puissantes, tenaces, alors que c’est un contraste, le plus grand contraste qu’on connaisse, parce que avec Louis XV viennent des eaux légères? fugaces qui montent comme ça, très belles, très belles, et la parfumerie va s’affiner, c’est-à-dire que des parfumeurs vont comprendre, enfin des parfumeurs qui ont de la sensibilité et du goût, vont trouver des accords très beaux, un peu comme la musique de Mozart, vous voyez, la musique de Mozart c’est pas complexe, vous avez une musique qui est admirablement bien faite, qui paraît facile, qui paraît légère, qui paraît sublime, eh bien, c’est ça, c’est exactement ça. Je crois qu’il y a eu une époque où vous ne copiez pas, vous avez un héritage qui baisse, c’est-à-dire que les gens vont moins regarder leurs parents, vont moins regarder les coutumes, vont moins regarder ce qui était fait et il y a un esprit de créativité, un esprit de nouveauté et de recherche d’alléger, alors il y a les femmes, il y a les femmes, il y a les femmes, on ne peut pas comprendre la parfumerie de Louis XV sans comprendre cette émulation qu’il y a eu à la cour de plaire, de séduire, de trouver une élégance mais vous avez toujours la femme qui est là, c’est le moteur de tout ce qui s’est fait au 18ème siècle, à l’époque de Louis XV en tous les cas.
Nous sommes dans le jardin des Olfacties avec l’honneur d’être en train de parler avec André Chauvière, historien et même archéologue des parfums. Nez dans une grande société de parfumerie à Genève, M. Chauvière a développé une passion pour la recherche et la reconstitution des odeurs d’autrefois.
Durant mes activités j’ai développé un esprit de collectionneur pour les ouvrages, les ouvrages anciens, qui traitent de parfumerie aussi bien du point de vue historique que du point de vue même technique, pour pouvoir maîtriser un peu ? revenir sur les pas des anciens.
Il y a certains manuscrits, dont certains se trouvent par exemple au British Museum, qui sont assez exacts, et on procède par recoupement c’est-à-dire qu’on va prendre? les premiers traités de parfumerie français sont apparus au 17ème siècle, les premiers traités de parfumerie italiens sont apparus à la fin du 14ème ? à la fin du 15ème siècle. On a les premiers traités avec les Experimenti de Catherine Sforza, qui était la grand-mère des Médicis et on a donc tout un ensemble de séquences que l’on met en comparaison et on peut déceler le vrai du faux. On sait ce qui est juste et ce qui n’est pas juste. Et il y a ? moi, je possède une très grande bibliothèque de parfumerie, je possède des Experimenti de Catherine Sforza dont le manuscrit est à Bologne, je possède la plupart des traités de parfumerie italiens de la Renaissance, c’est-à-dire du 16ème siècle et des documents anglais et voilà donc, de ce point de vue on a suffisamment de fonds de documentation pour présenter quelque chose de solide, de correct.
Quant aux matériaux primaires?
Les alchimistes au Moyen Age ont développé des techniques de distillation pour les alcools à partir de la vigne et on connaît très bien les qualités d’esprits de vin*, les qualités d’alcool que les anciens possédaient à cette époque-là, leur titre*, et on peut travailler sur leurs pas en faisant les digestions, les macérations de plantes aromatiques dans les mêmes alcools et on aboutit au même résultat? les meilleures qualités de benjoin* se trouvent au Siam et à l’époque de Louis XIV en France la qualité de benjoin Siam qui avait été offerte comme cadeau dans les échanges entre le roi du Siam et l’ambassade des jésuites de Louis XIV pour pouvoir convertir le roi de Siam au catholicisme, eh bien, pour revenir à ses qualités, les qualités que nous avons aujourd’hui sont exactement les mêmes, c’est un exuda, c’est-à-dire c’est une gomme résine qui coule de l’arbre.
André Chauvière a mis toutes ses recherches à la disposition du jardin des Olfacties, dont il est le conseiller historique. Céline Tessier en est la directrice.
Le jardin en fait il appartient à la petite ville de Coëx depuis soixante ans, il a été légué par le maire de l’époque en 42 et sous la condition qu’il soit ouvert au public. Donc c’est ce qui s’est passé pendant 50 ans. Ce qu’il y a c’est qu’il s’agrandissait parce qu’il était pas aussi grand à l’époque, et puis la ville de Coëx n’a que 2500 habitants donc il fallait quand même instaurer un système pour que les gens aient toujours plaisir à le voir, mais il est devenu à entrée payante. Alors petit à petit il s’est agrandi et on a choisi cette thématique pour avoir un thème autour duquel développer des choses.
Aujourd’hui c’est un jardin de 4 hectares avec un programme de conférences et d’animations riches et variées, tout autour du sens de l’odorat. Si on a de la chance, on peut par exemple tomber sur une démonstration de distillation par Armel Bureau, spécialiste dans l’utilisation des parfums dans la cuisine?
Les techniques se sont beaucoup plus, suite à l’évolution de la chimie et surtout des procédés d’extraction, se sont beaucoup modernisées donc on.. l’avantage c’est qu’on réussit à avoir beaucoup plus de pureté et beaucoup plus de concentration dans les produits.
D’ailleurs si vous vous promenez dans la Drôme où on distille pas mal de lavande vous voyez que c’est cueilli et distillé tout de suite, quoi, c’est vraiment? plus on va vite et plus on a un produit de qualité. Hein, ça je vous conseille d’aller en juillet dans des régions, chez nous la lavande ou dans la Drôme vous verrez que ces distilleries? parce qu’en plus comme ils coupent les tiges, ils utilisent pour faire le feu, les tiges, donc c’est des odeurs de fumée de menthe qui sont impressionnantes.
Les gens préfèrent les produits de pureté et des produits naturels. Alors c’est vrai que l’huile essentielle est un des produits les plus naturels possible et donc c’est vrai qu’aujourd’hui, que ça soit au niveau médical ou que ça soit au niveau? que ça soit au niveau même culinaire? les gens préfèrent largement ce genre de produits. Vous pouvez très bien faire des barbecues avec les tiges de lavande, par exemple dans votre jardin, ça sent très très bon. D’ailleurs vous avez là-bas une recette de poulet à la lavande d’affichée, très facile à faire. Je crois que vous avez ça, vous devez avoir des filets de sole à l’eau de rose? au lait de rose, différents cocktails aussi, si vous voulez, vous avez de quoi déjà vous amuser dimanche prochain pour le déjeuner.
Toute la qualité de la cuisine des personnes sera la qualité des produits qu’ils feront ou qu’ils achèteront, l’idéal c’est d’avoir un jardin et de faire soi-même ses propres produits, néanmoins on trouve aujourd’hui de plus en plus d’herboristeries et même des produits de base qui peuvent servir, comme de l’eau florale par exemple, comme l’huile essentielle, qui peuvent permettre de faire des produits de qualité et simples en même temps. C’est pas la peine de vouloir faire des choses trop sophistiquées. La fleur est pure et simple et il faut lui rendre et lui laisser surtout cette fraîcheur et cette pureté.
Cette année, pour le plaisir des visiteurs M. Chauvière a réussi un exploit inédit dans les temps modernes? en récréant le parfum de la reine Elizabeth I d’Angleterre. Il nous a expliqué que les goûts du 16ème siècle ont été définis par l’arrivage du tabac dans le vieux continent.
Le tabac, dans tous les cas, même avant que les Européens abordent le continent amérindien, le tabac a toujours été parfumé par les Indiens. Les habitudes du parfumages du tabac des Indiens avec des ambres, des liquides en barres, enfin des différentes techniques très anciennes, très très anciennes ? eh bien le tabac était parfumé et les techniques de parfumage de tabac sont à peu près les mêmes techniques que les techniques du parfumage du cuir. Et je vais vous donner un exemple très simple : la lutte des corporations en France depuis le Moyen Age où les gens sont très, comment dire, très soucieux de préserver leurs domaines de connaissances, d’activité, d’économie, eh bien les gens se disputaient à la fin du 16ème siècle en France le titre de parfumeur. Le mot parfumeur n’existait pas au moyen age. C’est un terme qui n’existe pas. Les gens qui se disputaient le titre de parfumeur à la fin de la Renaissance, c’étaient les merciers, les gantiers, qui travaillent les gants, les cuirs, et les épiciers. Les épiciers, épices, droguistes. Et ce sont les gantiers qui ont obtenu en 1614 sous Louis XIII, les lettres patentes, c’est-à-dire les lettres officielles pour être reconnus gantiers parfumeurs. En 1656 ils obtiennent encore le titre pour les poudres ‘gantiers, parfumeurs, poudriers’, pour les perruques. Et donc vous voyez que le tabac, alors le tabac, c’était une marchandise du parfumeur en France jusqu’à ce que Colbert, qui était un ministre de l’économie de Louis XIV, retire le tabac du libre marché, des mains des parfumeurs en tous les cas, pour le mettre en régie, c’est-à-dire, un produit unique qui appartient à l’état, et c’est ce que la France a vécu depuis Colbert, c’est-à-dire, le tabac est considéré comme une régie, à partir de ce moment-là, à partir de Colbert, le tabac n’a plus fait l’objet d’une technique de parfumage qui aurait évoluer, et ce sont principalement sur l’Europe les Hollandais et l’Angleterre qui ont développé des techniques de parfumage, de mode, de goût, aussi pour les tabacs, que l’on connaît encore aujourd’hui.
Le parfumage du corps est relativement récent. Les premiers usages du parfum étaient plus médicinaux.
Alors vous avez la prophylaxie contre la peste. Pour se protéger du mauvais air, on ne sait pas d’où vient le mal et on pense qu’avec les bonnes odeurs, quand on s’adresse à Dieu on a des bonnes odeurs qu’on fait brûler et les bonnes odeurs montent. C’est la prière à Dieu, ça. Eh bien, d’une autre manière vous mettez des bonnes odeurs pour chasser les maléfices. Et voilà un exemple général de l’Europe depuis le Moyen Age. Le parfumage du corps directement, c’est quelque chose de très récent., dans l’antiquité, l’antiquité romaine ou l’antiquité grecque, il y avait, mais pas pris dans le côté esthétique de dire ‘je sens bon’ mais pris dans le côté d’entretien du corps. L’antiquité avait des techniques de soin du corps avec des huiles parfumées aux fleurs. Et ces huiles, donc des fleurs mises en macération dans des huiles servaient alors à nettoyer enfin, dans un rituel, avec le bain, vous voyez toutes ces étapes qui étaient pratiquées par les Romains dans les thermes, les bains, ça c’est quelque chose qu’on n’a pas réellement retrouvé. Dans les temps modernes ce qui s’est passé pour le corps, c’est extrêmement récent. C’est le 20ème siècle, c’est le 20ème siècle, oui, parce que même au 19ème, 19ème siècle, 18ème siècle, 17ème siècle, le parfumage est un parfumage indirect. Vous parfumez les éventails, les gants, les souliers. Elizabeth Ière d’Angleterre se faisait livrer des souliers de cuir d’Espagne parfumés à la fleur de l’oranger ou avec des senteurs de fleurs très belles. Donc le parfumage est indirect, vous aviez ce qu’on appelle les coussines, c’est-à-dire des bags, des petits sachets, qui contenaient des parfums en poudre que l’on portait sur soi, mais pas vraiment le parfumage du corps. Le corps était avec les fards et avec des cosmétiques comme par exemple des produits un peu d’alchimiste pour enlever les taches, les spots, ou bien pour éclaircir la peau. Le critère de beauté pendant des siècles pendant, en tous les cas, le 16ème 17ème 18ème 19ème, le critère de beauté c’est un critère de blancheur. La peau est blanche.
Si les connaissances de M. Chauvière semblent inépuisables, il faut savoir qu’il y a du travail derrière. L’apprentissage d’un nez est plus long que celui d’un médecin :
C’est un apprentissage très long, donc même si on a des très bonnes capacités pour les senteurs et pour identifier les produits, c’est un travail extrêmement long pour pouvoir mémoriser et connaître toutes les différentes facettes de senteurs des matières premières, que ça soit pour les naturelles ou bien pour toute la palette des matières premières synthétiques oui c’est très très long, oui. Il faut au moins une dizaine d’années pour avoir au moins une maîtrise, une maîtrise intéressante des produits de parfumeries.
Mais le plaisir de sentir reste heureusement à la portée de tout le monde. Mme Tessier est notre guide :
Alors soit vous vous laissez , il y a des gens qui vont être très rationnels, qui vont suivre le plan, qui vont regarder toutes les plantes et puis d’autres qui vont y aller au coup de coeur* en fonction de la couleur, des thématiques. Le mieux quand même c’est de venir à 16 heures avec un jardinier et de faire la visite avec lui parce qu’il va vous montrer des choses certainement que ne verrez pas tout seuls si vous n’êtes pas un spécialiste de l’horticulture.
Les substances odorantes sont soit dans les fruits soit dans les fleurs soit dans les feuilles parfois ça peut être dans les racines, c’est le cas de l’iris. L’iris est odorante par la racine, mais ce qu’il y a c’est que tant qu’on ne l’a pas arrachée on peut pas la sentir mais c’est le cas. Alors ici vous avez donc? la richesse, donc, de tous les agrumes, c’est que vous avez ces trois notes. Ce qui n’est pas forcément évident dans toutes les plantes. Et même dans la feuille si vous touchez vous allez avoir une note d’agrume verte, ce qu’on appelle le petit grain qui est très utilisé en parfumerie. Donc dans le jardin vous avez un tas de végétaux comme ça, on en a à peu près trois mille et les gens jouent comme ça avec les végétaux. Il y a des pellargonium , toutes les plantes aromatiques par les feuilles, eh bien les gens jouent avec les végétaux. Ici on a le droit de toucher, pas de faire boutures mais de toucher.