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Interdits sur le territoire français, les combats de coqs sont toutefois tolérés en Martinique comme une tradition ancestrale. Reportage Axel May.
Enfermés dans des boxes, ces coqs attendent leur tour pour s’affronter. Ces boxes sont installées sous les gradins du Pitt Cléry, le plus connu de Martinique, ce département français d’outre-mer, car contrairement aux autres pitts -terme employé pour désigner les endroits où se déroulent les combats de coqs- celui-ci est ouvert toute l’année. Il se trouve au sud de l’île antillaise. Les gradins sont en bois. Au milieu il y a l’arène, ronde, de cinq mètres de diamètre, délimitée par une petite palissade. Une fine moquette verte recouvre le sol. Le toit est en tôle. Des ventilateurs rafraîchissent la salle. Sur un tableau installé en hauteur, Éric Honoré inscrit à la craie le poids des animaux en train d’être pesés. Chaque match oppose deux adversaires, le plus souvent de même poids.
– Le poids de référence est un kilo cinq; dit en mesure, en poids anglais, trois livres. – Et vous utilisez ‘livre’, ‘ounce’. Vous ne parlez pas en kilos? – Non. Il faut savoir que les combats de coqs sont pratiqués par des Antillais mais il semblerait que ça ait été mis en place en Martinique, disons au temps de l’esclavage, un peu avant, par les Néerlandais, les Anglais.
Sur le tableau, devant les numéros correspondants aux boxes dans lesquels se trouvent les coqs, Éric Honoré ajoute parfois un B. Cela signifie que les animaux sont borgnes, qu’ils ont perdu un oeil lors d’un combat ou à l’entraînement. La pesée terminée, les deux premiers gallinacés sont amenés au centre de l’arène pour être préparés. Les plumes ont été taillées. La peau apparaît à certains endroits. Bertrand Roussi est éleveur. Il fixe sur les pattes de son coq des ergots artificiels.
– Ce sont des éperons, ce qu’on appelle des éperons, qui permettent au coq de blesser l’autre, quoi. – Et c’est des éperons artificiels, hein? – Voilà, ce sont des éperons en plastique qui sont montés à la place des éperons naturels. – Et pourquoi mettre des artificiels? – Ben, on peut les poser, on peut les régler, on peut plus rectifier la position, quoi. – Et là vous utilisez une petite scie, hein? – Voilà. Pour les poser il y a toute une procédure, hein, pour les poser. Il faut savoir faire, quoi. C’est du savoir-faire. – Il y a une bouteille de rhum, là, posée sur la table. À l’intérieur c’est pas du rhum qu’il y a ? – Non, c’est de l’eau. D’ailleurs, ça prête à confusion. Il faudrait rectifier le tir1 parce que c’est de l’eau qu’il y a dedans. – Et qui sert à quoi? – Ben, à leur donner à boire un peu, déjà avant le combat.
Mais l’eau sert aussi à autre chose, explique Éric Honoré, l’homme chargé d’inscrire sur le tableau le poids des coqs. Il y a en effet des tricheurs.
– On va leur faire une toilette avec de l’eau. Un coton imbibé d’eau pour… et ensuite on lui fera ingurgiter cette eau. Pourquoi? Parce que nous avons certaines personnes qui ont des idées un peu mal placées et qui commettent des indélicatesses, c’est-à-dire qui mettent des produits répulsifs ou de l’huile sur le plumage. Donc après cette toilette nous allons essuyer le coq avec du papier absorbant. Il faut que son plumage reprenne son aspect initial. Si ce n’est pas le cas, nous allons procéder à une deuxième toilette et à un deuxième essuyage. Si, après cette deuxième tentative, le coq n’a pas repris son plumage initial, à ce moment-là il est disqualifié.
Les règles du jeu sont simplissimes2 : le match est fini lorsque l’un des deux adversaires se retrouve à terre et qu’il ne parvient pas à se relever au bout d’une quarantaine de secondes. Le match peut aussi se terminer si un animal refuse de combattre ou si l’un des propriétaires, estimant que sa bête est trop mal en point, décide d’arrêter la partie. Durée d’un affrontement : de quelques secondes à plusieurs minutes. Mais avant d’être lâchés dans l’arène, les coqs subissent un entraînement rigoureux que décrit Philippe Cléry, le propriétaire du pitt.
– Bon, en général, tous les matins les coqs sont entraînés. Ils sont baignés au rhum fort, massage, comme un sportif. Ensuite ils sont sous les casiers à prendre un bain de soleil, tous les matins, et puis, beaucoup de crustacés, et on détermine tout ça.
Avec parfois des abus, comme l’admet Galvaro – c’est ainsi que se fait appeler cet octogénaire, éleveur de coqs depuis quarante ans.
– Le coq, c’est comme le boxeur. Il faut le mettre en condition. Il faut lui donner les vitamines appropriées. – Est-ce qu’il y a des problèmes de dopage dans les combats de coqs? – Il peut y en avoir mais il faut être vraiment professionnel pour faire cela. – Et dopés à quoi, alors? – Dopés à quoi, Monsieur, c’est comme l’homme.
En clair des produits pharmaceutiques sont utilisés. La cloche agitée par l’arbitre donne le signal du début du combat. Il faut dire que l’enjeu est de taille3 car les animaux coûtent des petites fortunes comme l’admet Éric Honoré.
– Eh bien, le prix de base d’un coq qui n’a pas une très grosse renommée, on pourrait situer ça autour de cent cinquante, deux cents euros. – Et ça monte? – Alors, ça monte. J’en ai connu des coqs où ils ont offert déjà mille cinq cents euros et le propriétaire ne l’a pas vendu; il l’a gardé comme étalon. Mais le prix varie, ça dépend de ses descendances4.
Et puis il y a les paris. Ils peuvent atteindre des sommes très importantes. Mais pour savoir combien gagnent les éleveurs il faut se rapprocher de Dominique de Persin, chargé au Pitt Cléry (?) de ramasser les paris, et de distribuer ensuite les gains.
– Ça peut arriver à cinq mille euros, quatre mille euros. – Pour un seul combat? – Oui, pour un combat. – Ça fait de sacrées sommes5 d’argent. – Oui, tout à fait, oui, important. – Et donc là, entre les mains, vous avez des billets de dix, vingt, cinquante, et vous redistribuez la monnaie. – Je redistribue. Par exemple, si vous m’avez donné cent euros, je vous donne deux cents euros. Vous avez gagné le double, quoi. – Est-ce que vous diriez que parmi les parieurs certains sont vraiment accro6 et dépensent trop d’argent? – Oui, ça c’est vrai, oui. Par exemple, ils peuvent perdre dans un après-midi trois mille euros. Et une fois même, je me souviens, un, il a perdu neuf mille euros. – Et il y a pas beaucoup de femmes, hein, autour de l’arène? – Il y en a pas beaucoup parce que c’est un jeu d’argent. C’est un jeu assez machiste. Bon, il faut pas non plus que les doudous, elles se retrouvent à se mélanger dedans.
Les doudous, ce sont les femmes. Installée au bord de l’arène, Yvette Emika, son billet de dix euros à la main, n’est pas d’accord. Elle-même éleveuse de coqs, elle estime que les doudous ont leur mot à dire.
– Mais bien sûr, les femmes sont des parieurs, hein. – Eh bien vous dites ça mais il n’y en a pas beaucoup. Vous êtes la seule là. – Je ne suis pas la seule, il y en a une, il y en a deux, trois. – Oui, mais enfin, ça fait pas beaucoup, une, deux. – Aujourd’hui. Mais la semaine dernière on était presque cinquante.
Philippe Cléry, le propriétaire du pitt, reconnaît, lui, que les femmes sont encore peu nombreuses. En revanche il remarque que les combats n’attirent pas uniquement des personnes d’un certain âge. Les jeunes répondent présents.
– Oui, oui. Beaucoup de jeunes. Vous savez, tout le monde aime jouer. Bon, il faut négocier un peu l’argent blanchi7 parce que c’est pas légal en Martinique. C’est une tradition. Donc, on accepte, voilà. Il y a beaucoup d’argent en espèces (qui se déroule (??c’est pas le bon mot) dans le pitt.
– Et vous dites que c’est pas légal, hein?
– Ah non, c’est pas légal. Le combat de coqs est interdit en France. Accepté en Martinique, pourquoi? Parce que c’est une tradition, donc c’est toléré mais c’est interdit en France, et nous sommes français.
Reste que au-delà de l’aspect respect des traditions, les combats peuvent choquer, apparaître comme des jeux barbares. Philippe Cléry :
– Le coq, à partir d’un certain âge, entre frères ils se tuent à mort8. Nous, on ne les excite pas pour qu’ils soient méchants, on les entraîne pour la forme. Ils ont ça dans le sang. Le coq… Les poussins naissent, et à partir de deux, trois mois, ils commencent à se battre à mort, il faut les séparer. Le coq automatiquement c’est la mort. Mais nous, seulement, bon, c’est un sport pour nous, d’accord. On l’entraîne comme un cycliste pour l’endurance mais pas pour le rendre méchant… il a ça dans le sang. Donc, pour répondre à ça, s’il faut être gentil, arrêter de faire les combats de coqs, alors on ouvre les portes à tous les coqs, et puis ça sera le plus grand massacre en Martinique.
Daniel, touriste habitant en Charentes Maritimes9, vient d’assister à deux combats de coqs.
– C’est un peu comme les courses de taureaux. Bon, c’est… On aime ou on n’aime pas10. La préparation est beaucoup plus longue que le combat puisqu’on n’a pas vu grand-chose. En deux minutes c’était fini. Par contre, pour la préparation il faut un quart d’heure, vingt minutes. – Et vous avez parié vous-même? – Pas du tout. Si, mentalement, mais les deux fois j’aurais perdu.
Alors que Daniel assiste maintenant à un autre type de combat traditionnel en Martinique, l’affrontement entre une mangouste et un serpent, les paris autour des coqs continuent dans l’arène. Les cris d’encouragement sont en créole. Les parieurs lèvent les bras au ciel, agitent les mains, l’un des combattants se retrouve à terre. L’arbitre déclenche le chronomètre, un chronomètre sonore. Fin du combat. Des parieurs sourient, d’autres un peu moins.
Forbidden on French territory, cock-fighting is nevertheless tolerated in Martinique as an ancestral tradition. Axel May reports.
Enclosed in boxes, these cocks are waiting their turn to challenge each other. These boxes are installed on the terraces of the Pitt Cléry, the most famous in Martinique, the French overseas territory, because unlike other "pitts" – the term employed to describe the places where cock-fights take place – this one is open all the year round. It’s to be found in the South of the Caribbean Island. The terraces are wooden. In the middle there is the arena, round, five meters in diameter, marked out be a little fence. A thin green carpet covers the ground. The roof is made out of canvas. Fans refresh the room. On a board fixed high up, Eric Honoré writes with a crayon the weight of the animals that are being weighed. Each match opposes two adversaries, usually of the same weight.
– The reference weight is one and a half kilos; in English measures that’s three pounds. – And you use pounds, ounces. You don’t speak in kilos? – No. You should know that cock-fighting is practised in the French Caribbean but it seems that it was put in place in Martinique, lets say in the time of slavery, a little bit before, by the Dutch, the English.
On the table, in front of the numbers that correspond to the boxes where cocks are, Eric Honoré sometimes adds a B. That means that the animals are one-eyed, that they’ve lost an eye during a fight or while training. The weigh-in ended, the first two cocks are brought to the centre of the arena to be prepared. The feathers are trimmed. The skin appears in certain parts. Bertrand Roussi is a trainer. He fixes artificial spurs on the feet of his cock.
– They’re spurs, they’re what we call spurs, which enable the cock to wound the opponent. – And they’re artificial spurs are they? – That’s right, they’re plastic spurs that we put in place of the natural claws. – And why put artificial ones? – Well you can position them, you can, you can rectify the position if you like. – And you use a little saw do you? – That’s right. To position them there’s a complete procedure, for positioning them. You need to know how to do it, if you like. It’s know-how.
– There’s a bottle of rum, there, placed on the table. It’s not rum inside there is it?
– No, it’s water. Indeed that can lead to confusion. You mustn’t give the wrong impression because it’s water inside.
– And what’s that used for?
– Well, to give them something to drink already, before he fight.
But the water has another purpose as well, explains Eric Honoré, the man in charge of writing the weight of the cocks on the board. In practice, there are cheaters.
– We’re going to wash them down with the water. Cotton soaked in water and after we’re going to make it swallow this water. Why? Because there are certain people who’s ideas aren’t quite straight who commit indelicacies, that’s to say they put repulsive products or oil on the feathers. So after this washing down we wipe the cock with absorbent paper. His feathers should get back their original look. If it’s not the case, we go through a second washing down and drying off. If after this second attempt, the cock hasn’t got back it’s original look, at that point he’s disqualified.
The rules of the game are very simple: the match is finished when one of the two adversaries find themselves on the ground and can’t get up after 40 seconds. The match can also end if an animal refuses to fight or if one of the owners judges his animal is in such a bad way that he decides to stop the contest. The length of the combat can be from a few seconds to several minutes. But before being released into the arena, the cocks undergo a rigorous training which the owner of the pitt, Philippe Cléry, describes.
– Well, in general every morning the cocks undergo training. They’re bathed in a strong rum, massaged, like an athlete. Then they’re placed under the lockers to have a sunbath, every morning and then, lots of crustaceans, and we control all that.
Sometimes there are abuses, admits Galvaro, the name of this eighty year old who’s been breeding cocks for forty years.
– The cock is like a boxer. You need to get him into shape. You need to give him the appropriate vitamins.
– Is there a doping problem with cock fighting?
– There can be but you have to be a real professional to do that.
– And doped with what then?
– Doped with what sir, it’s like humans!
To put it bluntly, pharmaceutical products are used.
The bell rung by the referee signals that start of the fight. It has to be said that there’s a lot at stake because the animals cost a small fortune, as Eric Honoré concedes.
– Well the basic price of a cock which doesn’t have a huge reputation can be around a hundred and fifty, two hundred euros.
– And it can go up higher?
– It can go up higher. I’ve known cocks that people have been willing to pay 1500 euros for and the owner hasn’t sold; he’s kept it as a stud. But the price varies. It depends on his offspring.
And then there are the bets. They can reach very high levels. But to know how much trainers can win, you need to get in with Dominique de Persin, the person at the Pitt Cléry in charge of taking in the bets and then distributing the winnings.
– It can reach 5000 euros, 4000 euros. – For a single fight? – Yes for one fight. – That’s a hell of a lot of money. – Yes that’s right, it’s significant. – So there, you have in your hands ten, twenty, fifty euro notes and you share out the winnings. – I share it out. For example, if you’ve given me 100 euros, I’ll give you two hundred euros. You earn the double. – Would you say that some people who bet are hooked and spend too much money. – Yes, that’s true yes. For example they could lose in an afternoon 3000 euros. And one time I remember someone losing 9000 euros. – And there aren’t that many women around the arena? – There aren’t many because it’s a game of money. It’s also a sport that’s fairly macho. Well it’s not right either that the doudous should get involved.
The "doudous", that’s the women. Settled in on the edge of the arena, Yvette Emika with her 10 euro note in hand does not agree. She is a cock breeder herself, and she reckons that "the doudous" have their part to play.
– But of course, women bet. – Well you say that but there aren’t a lot of them. You’re the only one here. – I’m not the only, there’s one, two, three… – Well, but in the end that’s not many, one, two. – Today. But last week there were almost fifty.
Philippe Cléry, the owner of the pitt, recognises, that the women aren’t that numerous. On the other hand he points out that the fights don’t just attract older people. The young people are present too.
– Yes, yes, lots of young people. You know, everyone likes a gamble. Well, you have to be careful a bit with money laundering because that’s not legal in Martinique. It’s a tradition. So it’s accepted. There’s a lot of liquid cash in the pitt.
– And you say it’s not legal?
– Ah no, it’s not legal. Cock-fighting is forbidden in France. Accepted in Martinique, why? Because it’s a tradition, so it’s tolerated but it’s forbidden in France and we are French.
Nevertheless, aside from the idea notion of respecting traditions, the fights can shock, seem like barbarian games. Philippe Cléry :
– The cock, from a certain age, between brothers they fight to the death. We don’t motivate them to become bad, we train them to be in form. They have that in the blood. The cock… the chicks are born and from two, three months old they start to fight to the death, you have to separate them. Cocks, automatically, it’s death. For us, only, well it’s a sport for us OK. We train them like cyclists to endure, but it’s not to make them bad… they have that in the blood. So to reply to that charge, if to be nice you have to stop all the cock-fighting, well open the gates to all the cocks and that will be the biggest massacre that Martinique has ever seen.
Daniel, a tourist from Charentes Maritimes, has come to witness two cock-fights.
– It’s a bit like bullfighting. Well… you like it or you don’t. The preparation is a lot longer than the fight because we didn’t see very much. In two minutes it was finished. Whereas the preparation, you need a quarter of an hour, twenty minutes. – And did you bet? – Not at all. Yes, mentally, but twice I would have lost.
So as Daniel goes off now to witness another type of traditional combat in Martinique – between a mongoose and a snake – the bets on the cocks continue in the arena. The shouts of encouragement are in creole. The punters raise their arms to the heavens, shaking their fists. One of the two combattants finds himself down on the ground. The referee starts the timer, an audible timer. It’s the end of the fight. Some of the punters smile, others a little less.