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Dans les Alpes françaises, entre Grenoble et Chambéry, 30 moines vivent coupés du monde. Ils font partie de la communauté des Chartreux, fondée en 1084. Visite guidée dans un monde de prière et de solitude.
Pour apercevoir le monastère, il faut marcher ! Les moines se tiennent à l’écart du monde, nichés au cœur d’une forêt silencieuse, à plus de 1000 mètres d’altitude, en plein cœur du parc naturel de Chartreuse. Tout a commencé il y a plus de 900 ans… Six hommes, guidés par Bruno de Cologne, décident de se retirer dans un désert de rochers et de sapins pour fuir l’agitation du monde. Nicolas Diederichs est le responsable du musée de la grande chartreuse, situé à deux kilomètres en contrebas du monastère. Il revient sur la naissance de cette communauté.
-Au tout début, Bruno, qui n’était pas encore saint, est arrivé en Chartreuse avec 6 compagnons. Alors, il n’avait pas l’intention de créer un ordre, mais il a créé de simples petites cabanes en bois reliées les unes aux autres par un cloître pour permettre à cette petite communauté de vivre à la fois à l’écart du monde et de vivre le plus proche possible de Dieu. Quand saint Bruno est arrivé ici, ils ont d’abord été éleveurs. Alors ils ont élevé des moutons puis ensuite quelques vaches, ils se sont essayés à l’agriculture mais comme nous sommes à 1000m d’altitude et que le climat était encore plus rude les siècles précédents, l’agriculture a vite été, on va dire, un échec. Au fur et à mesure de l’histoire, ils sont devenus aussi maîtres de forge puisque la Chartreuse possède à l’intérieur de son sous-sol du minerai de fer qu’ils ont su exploiter. Ils ont été aussi herboristes, donc avec une grande maîtrise des plantes pour se soigner eux-mêmes, soigner la population locale… Et puis en 1605, le maréchal d’Estrée a donné aux Chartreux de Paris la recette du fameux élixir et au jour d’aujourd’hui ça fait partie des moyens de subsistance, en tout cas de l’ensemble de la communauté des Chartreux. La recette est toujours conservée par les moines. Il y a seulement un père et un frère qui connaissent le secret et qui élaborent – ce sont eux qui élaborent – cette recette, mais ce secret est vraiment toujours gardé par le monastère, comme bien d’autres.
La Chartreuse, cette liqueur verte ou jaune à base de plantes, est aujourd’hui la principale source de revenus des moines. Ils sont 30 au monastère de Saint-Pierre de Chartreuse. La communauté est volontairement petite, pour pouvoir appliquer la règle du silence. Car les moines ont accepté de renoncer à la parole. Ils ne s’expriment presque jamais. Dans un monastère Chartreux, il y a les pères, qui passent leurs journées dans leur chambre à prier. Il y aussi les frères, qui prient et qui travaillent aussi pour la communauté. Ils s’occupent de l’intendance et des réparations. La vie de tous est rythmée par des moments de prières. Nicolas Diederichs
-Ils se lèvent en général à onze heure et demie ou minuit moins le quart à peu près, pour avoir le premier office de nuit de minuit jusqu’à deux ou trois heures du matin. Ensuite, la vie, elle est rythmée par différents temps de prière qui sont soit pris seuls en cellule (mais l’ensemble de la communauté prie en même temps…c’est à peu près toutes les heures qu’il y a des offices en cellule) et puis il y a une partie des offices qui sont pris ensemble et là cette fois-ci dans l’église, dans l’église conventuelle. Il n’y a que le repas du dimanche qui est pris en commun, le reste des repas sont pris ici, en cellule. Le dimanche et les jours de fête, quand ils prennent leur repas en commun, il y a un des pères qui, pendant que les autres,donc, se restaurent, lit soit des textes saints ou de la liturgie qui est appropriée.
La solitude des moines chartreux est totale. Ils ont donc renoncé à toute influence extérieure : ils ne lisent pas la presse, n’écoutent pas la radio, ne regardent pas la télévision… Ils ne reçoivent la visite de leur famille proche qu’une ou deux fois par an et n’ont le droit de parler entre eux qu’une fois par semaine, le dimanche, lors d’une récréation de quelques heures…
-Ils se retrouvent le dimanche pour, donc, le repas pris en commun. Le dimanche après-midi aussi pour une petite récréation. Comme on peut l’imaginer, une récréation où, là, le silence n’est pas de mise, où la communauté peut échanger, peut rire, peut sourire. C’est vraiment des moments qui sont très forts. Et le dernier temps fort partagé par la communauté ensemble, c’est le “spaciement”, donc c’est cette ballade hebdomadaire qui est obligatoire pour l’ensemble de la communauté et qui permet aux moines, deux par deux, de se promener dans les alentours du monastère.
-Ça veut dire qu’à cette occasion ils peuvent croiser des randonneurs, des gens?
Ah, tout à fait ! Ça arrive, ça arrive à chaque fois, hein, la nature est à tous et effectivement on peut avoir la chance de les croiser, de les apercevoir… Alors bien évidemment, si c’est votre cas un jour, veuillez respecter leur silence et leur vœu de solitude… Ils ne sont jamais en civil. Ils sont toujours avec ce grand vêtement blanc, souvent recouverts aussi d’une capuche pour que le silence et la solitude soient aussi présents lors de leurs déplacements. Et puis c’est aussi un vêtement qui est très chaud et il ne fait pas toujours très chaud à l’intérieur du monastère.
Le monastère de Saint-Pierre de Chartreuse accueille des moines de nationalités différentes. Les nouveaux venus doivent donc impérativement prendre des cours de français. Nicolas Diederichs:
-Ici à la maison mère, sur à peu près une trentaine de moines, alors il y a plusieurs nationalités mais la langue de communication est le français. Les jeunes postulants quand ils arrivent d’Amérique latine, d’Afrique, des pays de l’Est, enfin de n’importe quel pays, ils se mettent à apprendre le français avec le père des novices et c’est vraiment un apprentissage qui est à la fois rapide et qui permet à la communauté de pouvoir, pendant le spaciement (qui est la ballade hebdomadaire) de pouvoir communiquer, de pouvoir échanger. Et alors il y a à la fois un apprentissage verbal -donc là, il y a la règle qui est un peu dérogée où les moines peuvent parler- et puis un apprentissage très important avec la lecture. Ils lisent quotidiennement, donc à la fois des textes saints mais aussi de nombreux livres qui leur permettent, à ceux qui ne parlent pas français, de très vite progresser dans la langue française.
Le choix de vie des moines surprend et soulève souvent beaucoup de questions à l’extérieur du monastère. Prier pour le monde et les hommes en vivant coupé de ce monde et de ces hommes, c’est un choix radical qui n’est pas toujours compris. Les moines ont donc récemment accepté d’être au centre d’un documentaire. Le film s’intitule “Le Grand Silence”. Il est sorti en France en 2006.
-Ce film, qui s’appelle Le Grand Silence, c’est un documentaire qui vous permet de rentrer dans le monastère -chose qui est vraiment impossible pour tout un chacun- et donc permettre de découvrir la vie au quotidien des moines Chartreux. C’est quelque chose qui a été très très long à mettre en place, hein. Philip Gröning, le réalisateur, qui est allemand, a demandé la première fois l’autorisation de tournage il y a plus de 20 ans ! Un des moines m’a confié un jour que pendant les 7 mois du tournage, il y avait deux moines de plus à l’intérieur du monastère. Tellement Philip et sa caméra se sont vraiment immiscés (et sans déranger la communauté) à l’intérieur de… eh bien de ce grand monastère. C’est pas du tout une volonté de répondre à la curiosité parce que les Chartreux se placent au-dessus. C’est une volonté d’information et de montrer que les préoccupations qui nous intéressent et qui nous concernent tous les jours ne sont pas si éloignées des préoccupations quotidiennes des pères Chartreux, de montrer qu’ils sont vraiment dans le temps, et ils sont avec nous tous les jours.
Aujourd’hui, il existe 25 monastères à travers le monde, qui rassemblent quelque 500 hommes et femmes. Une communauté a été créée récemment en Corée du Sud. Mais les moines et les moniales Chartreux se sont aussi établis aux États Unis, en Argentine, au Brésil, au Royaume Uni ou encore en Espagne.
In the French Alps, between Grenoble and Chambéry, 30 monks live cut off from the world. They are part of the Chartreux community, founded in 1084. A guided tour in a world of prayer and solitude.
To spot the monastery, you have to walk! The monks live separate from the world, nestled in the heart of a silent forest, at 1000 metres altitude, in the heart of the wild parkland of Chartreuse. Everything began more than 900 years ago… Six men, guided by Bruno de Cologne, decide to retreat into a desert of rocks and pine trees to flee the bustling world. Nicolas Diederichs is in charge of the Grande Chartreuse museum, situated two kilometres below the monastery. He recalls the birth of this community.
-At the beginning, Bruno, who wasn’t yet beatified, arrived in Chartreuse with six companions. Well, he hadn’t the intention of creating an order, but he simply created little wooden huts linked to one and other by a cloister to allow this little community to live both away from the world and to live as close as possible to God. When St Bruno arrived here, they were firstly farmers… so they raised sheep and a few cows, they tried crops but as we’re at 1000m altitude and the climate was even harsher in previous centuries, the crops quickly… you can say it failed. And as time went by they also became forge masters because the Chartreuse has within it a substrata of iron ore which they knew how to exploit. They were also growers of herbs, so with a great mastery of plants for healing themselves and the local population… And then in 1605, the Marshall of Estrée gave to the Paris based members of the Chartreux order the recipe for the famous elixir and today it’s a means of survival, for the Chartreux community as a whole. The recipe is still guarded by the monks. There is just one Father and one Brother who know the secret and who refine… it’s they who refine this recipe, but this secret is really always kept by the monastery, like many others.
Chartreuse, the green or yellow liquor based on plants, is today the principal source of revenue for the monks. There are thirty of them in the Saint Pierre Monastery in Chartreuse. The community is deliberately small, to enable the vows of silence to be observed. Because the monks have accepted to forego talking. They hardly ever speak. In the Chartreux monastery there are the Fathers, who pass their days in their room praying. There are also the Brothers, who pray and also work for the community. They take care of supplies and repairs. Life is always paced by prayer time. Nicolas Diedrichs:
-They get up in general at 11.30pm or a quarter to midnight to have the first prayer service from midnight to two or three o’clock in the morning. Then life is paced by different prayer sessions which are taken alone in the cells (but the entire community prays at the same time… it’s roughly every hour that there are prayers in the cells) and then there’s some services which are taken together and those this time are in the church… in the conventual church. The only meal taken together is on Sundays, the other meals are taken here in the cells. On Sundays and holidays, when they take their meals together, there is one of the Fathers, who while the others eat, reads either the holy text or the appropriate liturgy.
The solitude of the Chartreux monks is total. They’ve therefore renounced all external influence: they don’t read the press, they don’t listen to the radio, they don’t watch the television… They are only visited by their close family once or twice a year and they can only speak together once a week, on Sundays, during a period of relaxation that lasts several hours.
-They gather on Sunday therefore for the meal that’s taken together. The Sunday afternoon is also a little relaxation period. As you can imagine, it’s a recreation period where silence doesn’t reign, where the community can exchange ideas, can laugh, can smile… they’re really very very powerful moments. And the other time which is very powerful and is shared with the entire community, is the taking of air, so that’s the weekly walk which is obligatory for all members of the community and which enables the monks, two by two, to walk in the surroundings of the monastery.
-That means that on these occasions they can come across walkers, ordinary people.
Absolutely ! That happens, that happens each time, the countryside is there for everyone and you can indeed be lucky enough to come across them. So of course if it happens to you one day, please respect their silence and their vow of solitude… They’re never in civilian clothes. They’re always in this large white costume often covered by a hood so that the silence and the solitude is also their during their trips. And then it’s also a garment that’s very warm and it’s not always very warm inside the monastery.
The Saint Pierre Monastery in Chartreuse welcomes monks from different nationalities. The new arrivals have to take French lessons. Nicolas Diederichs:
-Here at the headquarters, out of about thirty or so monks, there are several nationalities but the language for communication is French. The young novices when they arrive from Latin America, Africa, the countries of the East… well any country… they learn French with the Father of the novices and it’s really a rapid course which enables the community during the taking of the air (the weekly walk) to be able to communicate and exchange… so there is both spoken training… so there the rules are a little relaxed so that the monks can talk and then the very intensive training in reading. They read daily… both the sacred texts and a number of books which enable those who don’t speak French to make very rapid progress in the French language.
The life choice of the monks surprises and often raises lots of questions outside the monastery. To pray for the world and mankind while living cut off from the world and mankind… It’s a radical choice which is not always understood. The monks recently agreed to be at the centre of a documentary. The film is called “Le Grand Silence”. It came out in France in 2006.
-This film, which is called Le Grand Silence, is a documentary which enables you to go inside the monastery, something which is really impossible for everyone… and so enables you to discover the daily life of the Chartreux monks. It was something which took a very very long time to put into place… Philip Groning, the director, who’s German, asked for permission to film for the first time more than 20 years ago. One of the monks confided to me one day that during the seven months of filming, it was like having two extra monks in the monastery. Philip and his camera were so embedded (and without disturbing the community) within… well this great Monastery. It’s not at all a desire to satisfy curiosity, because the Chartreux are really placed above all that. It’s a wish to inform and to show the preoccupations which interest us and which occupy us every day are not so very far removed from the every day concerns of the Chartreux Fathers… to show that they are really in the present and that they are with us every day.Today there are 25 monasteries across the world which bring together 500 men and women. A community was recently created in South Korea. But the monks and friars of Chartreux are also established in the United States, en Argentina, in Brazil, in Britain and in Spain too.